La maison idéale
Christian Pluche
La maison de rue, pompeusement baptisée « Villa Charles » comme le précisait l'incrustation en faïence (d'origine ?) sur la façade, devenait peu à peu notre maison. Il faut du temps pour s'approprier un lieu. Trois pièces en enfilade composaient le rez-de-chaussée. La première, devenue le salon, donnait directement sur la rue.
Une latte de plancher qui grince quand on marche dessus. Des bruits qui deviennent familiers, des craquements. Les bruits étouffés des maisons mitoyennes. Tous ces bruits assourdis et réguliers font le quotidien de la vie et donnent leur densité aux maisons anciennes.
Un placard plus grand qu'il n'y paraît
Un grand placard aux portes en bois massif occupait tout un pan de mur dans le couloir menant à la cuisine. Sophie avait décrété que l'intérieur du grand placard où la vaisselle s'entreposait, avait besoin d'une couche de peinture « lumineuse ».
Un bruit mat et sourd retint mon attention quand je le vidais. Cela sonnait creux, comme si un espace vide se dissimulait derrière les planches. Une fois celles-ci enlevées, je découvrais une porte ancienne. Allais-je passé de l'autre côté du miroir comme dans le roman de Lewis Carroll ?
Je le savais, le mur donnait sur la maison mitoyenne d'un vieux retraité sans histoire. Sa cuisine ou un couloir sans doute. Pourquoi cette porte de communication dissimulée ? Malgré le temps, la porte s'ouvrit sans bruit sur une pièce où régnait l'obscurité et une odeur de renfermé, de poussière.
Malgré les ténèbres qui m'entouraient, j'avais la sensation de me trouver dans une pièce aux dimensions trop imposantes pour une maison de rue. Un interrupteur judicieusement situé à portée de main, me permit d'allumer un magnifique lustre à pampilles. Je découvris alors une pièce très haute de plafond, plafond mouluré, cheminée en marbre. Des panneaux de tissus aux couleurs délavées tapissaient les murs. Ils semblaient anciens. Comme tout ce qui se trouvait dans cette pièce.
S'approprier les lieux
Les meubles étaient recouverts de grands tissus blancs, une atmosphère sortie de l'univers d'Henry James. La pièce n'avait de toute évidence pas été occupée depuis une éternité. Une couche de poussière recouvrait les tissus et une odeur de renfermé flottait dans l'air.
J'ôtai les draps blancs qui couvraient les meubles et mis un peu d'ordre. Le mobilier bourgeois, fin XIXe n'avait pas souffert du passage du temps. De la vaisselle fine était entreposée dans un buffet bas dominé par un grand miroir qui agrandissait encore la pièce.
Après avoir balayé, aspiré, je décidais de dresser un couvert pour un dîner romantique. De beaux chandeliers raviveraient les tentures murales. Les bougies autrefois rouges avaient adopté une couleur délavée due au temps.
Je refermai avec précaution le passage du placard laissant un couvert pour deux sur cette grande table de réception.
Au retour de Sophie, je lui annonçais que nous dinions à l'extérieur…sans sortir de chez nous. Mystérieux, je la pris par la main et la guidais à travers le passage secret. elle contempla la grande pièce éclairée à la bougie, la table dressée. Ce fut un dîner étrange, comme un voyage hors du temps. Nous murmurions, intimidés par le lieu et par le silence.
Le lendemain je me renseignais auprès d'un voisin féru de l'histoire du quartier et qui nous avait assommés de détails sur son évolution et ses transformations. Discrètement je lui posais la question qui me brûlait les lèvres. « Et notre maison, « villa Charles », tu connais des histoires, des anecdotes ? ».Il sourit. « Désolé mais je ne connais pas d'histoire relative à cette maison. Non, elle n'a pas d'histoire particulière … Toutes les maisons ne peuvent avoir des histoires. Les maisons sont comme les gens… ».
Nous continuons à l'appeler « la pièce cachée », le mystère ne s'est pas éclairci et aucune explication rationnelle n'a permis d'expliquer cette présence défiant toute logique architecturale. Nous avons pris l'habitude de recevoir nos amis dans cette pièce hors du temps. Elle étonne de moins en moins. « La pièce cachée » fait désormais partie de la maison et de nos vies.
Tous nous envient secrètement cette pièce, celle qui manque dans chaque habitation. Je soupçonne certains de sonder discrètement le fond de leurs vieux placards. On ne sait jamais...
Merci Maud pour cette lecture et ce commentaire ! Je n'avais pas lu les clauses écrites en petits caractères, peut-être la pièce cachée était mentionnée? Mais je ne le crois pas, le prix de vente aurait été bien plus élevé !
· Il y a plus de 8 ans ·Christian Pluche
C'est bien étrange cette pièce secrète !... était-elle mentionnée en m2 dans l'acte de vente ??? il n 'y a que les maisons anciennes qui recèlent des secrets.... une jolie histoire ;-)
· Il y a plus de 8 ans ·A bientôt sur "ailleurs land" ;-) Maud
Maud Garnier
Très joli texte. On en rêve tous, de cette pièce là!
· Il y a plus de 8 ans ·Fabienne Bruchig
Sonde le fond de tes placards, on ne sait jamais... Merci Fabienne !
· Il y a plus de 8 ans ·Christian Pluche