La Mal Coiffée

mailys

(c'est la première partie d'"Obsession")

-          Mais si, tu sais, la Mal Coiffée ! Celle qui passe dans la rue. Et même qu’il y a l’autre là-bas, planqué derrière son rideau qui l’espionne. Il est toujours à sa fenêtre celui-là. C’est toujours que j’le vois, planqué là à sa fenêtre, tu sais. Lui il me voit pas, mais moi je le vois, tu sais. Toujours. Il est là, il regarde. Il attend et quand la Mal Coiffée elle passe, il colle son nez à la vitre, comme ça, tu sais.

Moi aussi je la regarde la Mal Coiffée. Mais je colle pas mon nez contre la vitre, comme ça, tu sais, hein ? Tu le sais !

-          Oui, je le sais…

-          Et y’a cette Mal Coiffée. Des fois elle boîte. Des fois elle boîte pas. Des fois même qu’elle boîte, elle passe. Et le vieillard, là bas, il le voit qu’elle boîte et il s’en fiche qu’elle boîte. Il la regarde boîter.

Il regarde ses talons hauts. Elle a pas peur de glisser sur le pavé avec ces machins ! Ils sont rouges. Même je le sais parce que je les ai vus un jour où il pleuvait ! Et je les vois ses bas en dentelle troués à la cheville droite. Toujours, toujours les mêmes. Toujours troués. Elle les change jamais, je crois, tu sais ? hein ? tu le sais toi si elle les change ?

-          Je ne sais pas…

-          Ou peut-être qu’elle les a mis qu’une fois. Mais sont toujours d’la même couleur ses bas à la Mal Coiffée, tu sais ? Marron, ou gris. Tu sais toi ?

-          …

-          Il doit le savoir l’autre en face, de quelle couleur qu’ils sont ses bas à la Mal Coiffée. Tu sais, elle a toujours des bas parce qu’elle a toujours des jupes. Tu sais ? Enfin je sais pas parce que j’les vois jamais, ses jupes. Même qu’elle a un très grand manteau qui les cache ses jupes. J’les ai jamais vues moi ses jupes. Même qu’on voit toujours que son manteau. Je sais pas trop moi comment qu’il se fiche son manteau, un manteau qu’est long quoi ! Et foncé ! Comme ses bas à la Mal Coiffée. Et même qu’on voudrait zieuter plus loin, on verrait que ses talons rouges ! Et puis y’a d’la fourrure en haut. Et même que les gens ils peuvent se brosser  pour voir de quelle couleur qu’ils sont ses yeux ! Jamais vus moi. Et l’autr’ vieux non plus ! Même il est pas vieux, tu sais ? Il fait vieux. Y’a des gens comme ça qui z’ont pas d’pot, qui voudraient faire jeunes et qui font vieux, tu sais ? hein, tu sais ?

-          Oui, je sais.

-          Et même que la Mal Coiffée j’sais pas si elle est jeune ou vielle. Tu sais ? Je vois juste qu’elle est mal Coiffée. Je sais pas moi, ça s’raconte pas ces trucs ! Elle est mal coiffée quoi ! Et même elle marche vite, et même elle a pas d’sac. Et même elle passe toujours le soir. Et le matin aussi. Un coup le soir, un coup le matin. Et même que l’autre en face il colle son nez à la vitre, une fois le soir, une fois le matin. Elle passe jamais dans le même sens. Un coup dans un sens, un coup dans l’autre. Mais c’est jamais pareil. Ou peut-être que c’est pareil. Le matin dans un sens, le soir dans l’autre, ou plutôt l’inverse. Le matin dans l’autre, le soir dans un sens. Elle marche toujours seule la Mal Coiffée, et même qu’elle va vite, et même qu’on voit pas ses yeux, des fois dans un sens, des fois dans l’autre. Très tôt, et très tard. Toujours très tôt, ou très tard… Jamais en pleine journée. Même qu’il fait toujours sombre quand elle passe devant la fenêtre et même que j’le vois quand même l’autre vieux, il colle son nez contre la vitre en face. Et même que j’sais pas c’qu’il attend toute la journée, parce que la Mal Coiffée elle passe toujours le soir, ou le matin. Mais toujours très tôt, ou très tard. Mais jamais la journée. Sauf l’autre jour, tu sais ? Elle est passée le jour. Et même que le jour on les voit pas ses yeux. Elle marchait vite. Et même que le jeune homme qui la suivait il l’a appelée. Et même qu’elle a eu peur et qu’elle s’est arrêtée. Et tu sais, avant de lui parler elle a regardé partout autour d’elle. Moi aussi j’ai regardé partout autour d’elle. C’était la première fois que j’la voyais traîner avec quelqu’un. Et elle était belle la Mal Coiffée, je te le dis moi, elle était belle la Mal Coiffée avec ce jeune homme qui lui souriait comme qu’on sourit à une gonzesse qu’est jolie. J’lai vue moi, elle était jolie. Et même que le vieillard en face il a pas dû la trouver jolie la Mal Coiffée, parce qu’il a sorti son pistolet, il a ouvert sa fenêtre et il l’a tuée la Mal Coiffée. Comme ça. Et même que le jeune homme il est parti en courant après. Tu sais. Et y’a l’autr’ vieux là bas que j’ai voulu le regarder, beh qu’il était plus là. Alors moi j’me suis sorti pour voir la Mal Coiffée. C’était la première fois que  j’la voyais de si près. Alors j’me suis penché vers elle et que tu devineras jamais de quelle couleur qu’ils étaient ses yeux. Ils étaient bleus. Bleus qu’ils étaient. Et même que c’était la première fois que j’les voyais. Qu’ils étaient bleus ses yeux à la Mal Coiffée. 

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