La malchance d'un chanceux

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Synopsis

Et si vous gagniez le gros lot ?

Cette pensée a aussi traversé l'esprit du héros de cette histoire. Il est question d'un homme trompé et malheureux, anesthésié par une vie détestable et terne, qui nous dévoile ses pensées. Il s'est barricadé derrière une forteresse d'ennui pour l'oublier, Elle, sa femme adultère, qu'il aime toujours et qui le trompe avec son ami Etienne.

Nous vivrons la journée qui verra les choses changer, le jour de sa libération. Le jour ou sa vie a basculé.

Des affres du suicide au bonheur du gros lot, nous verrons que la véritable richesse n'est pas la où on l'attend.

Texte

Qui n'a jamais rêvé de changer de vie ?

Stopper le flot incessant de déceptions, de contrariétés, de douleurs que l'existence nous inflige. Qui ne s'est jamais dit Pourquoi pas moi ? Une grille, c'est pas grand chose, ça pourrait marcher...

 Le gros lot, le jackpot. Cette combinaison gagnante, entêtante comme un parfum brut, cruelle comme un bonheur visible mais fuyant, insaisissable comme un nuage de fumée.

La vie ne m'a jamais fait de cadeaux. Père alcoolique, mère décédée trop tôt, épouse infidèle , une vraie vie de chien ... sans les caresses.

L'argent est mon malheur, j'en ai manqué, j'en ai voulu, j'en ai eu, j'en ai toujours. Il m'a donné une nouvelle vie, m'a transformé en un soleil artificiel, visible et froid, aussi inexistant qu'un mirage. 

La misère dans l'opulence, quelle ironie.

Si je croisais le destin, je le féliciterais pour son esprit.

Toi qui lis ces mots, derniers vestiges d'un homme brisé, s'il te plait, ne m'oublie pas.

 Un matin.

Comme tous les matins, le réveil sonne, encore et encore, mais ne me réveille pas. Il est 5h30, il fait froid, je suis seul.

La lune n'a même pas la décence de me regarder, elle batifole avec ses amants nuageux, préférant refléter son soleil plutôt que de me dire bonjour.

Ma femme n'est pas rentrée de la nuit. Une soirée avec ses copines. Tu parles, une soirée avec mon copain aurait été plus appropriée. Elle me trompe et je m'en fout. Mon seul ami me ment avec le sourire et je m'en fout. Ma vie m'ennui et j'ai mal.

Je me lève, enfin, je me douche, m'envoie un café brulant, aussi noir que mes cernes, enfile mon infâme uniforme et pars au boulot.

 J'ai toujours envié les fourmis, j'en suis une sauf que moi je n'ai pas l'amour de ma reine. Je me tue à la tâche et ma mort n'inquiète personne.

Il faut travailler pour vivre.

Quelle connerie.

J'ai été heureux autrefois. Elève brillant, reconnu, félicité, envié par tous, promis à un bel avenir. J'étais fantasque et glorieux. La fougue de la jeunesse et de la confiance pétillait dans mes yeux. Et l'amour est venu frapper à ma porte. Quelle charmante rencontre. Blonde, mince, gracieuse, cheveux d'ange et sourire cajoleur, feu et glace, aguicheuse et réservée, elle s'est emparée de mon âme d'un battement de ses longs cils, d'un mouvement de son corps délicat et irréel.

L'amour m'a ravi, la passion m'a consumé, la haine m'a dévoré, l'ennui m'a anesthésié.

Arrivé à mon cabinet, le silence est lourd, mes pas résonnent sur le faux parquet de mon bureau monté en kit. Une pile de dossier effrayante m'attend. Mes forces me quittent rien qu'en la regardant. Je pressens son contenu déprimant, divorce, divorce, litige entre héritiers et encore un divorce.

Je t'aimerais jusqu'à ce que la mort nous sépare.

Les avocats sont les bourreaux du 21eme siècle. La cagoule a laissé sa place au costume sombre et la hache funeste s'est transformée en pension alimentaire extravagante.

8h00 

Etienne arrive, il a des cernes lui aussi. 

Tu t'es bien éclaté avec ma femme ?

" Salut, alors ta soirée ça a été ? " je lui demande

"Chaude comme la braise. " Il me lance un clin d'œil. 

Je pourrais me lever, lui serrer la main, lui briser le nez mais je reste assis, lui rend son sourire et me remet au boulot.

Un vrai Stakhanoviste du droit, un lâche , un mort-vivant.

 Midi.

La faim me tenaille, m'obsède, me laboure les cotes, me martèle le cerveau.

Enfin une sensation me sort de ma torpeur, me réveille après des heures de travail insipides.

" Ça te dit un japonais, sushis, saké et serveuses sexy ? " me lance Etienne en se passant une main dans ses cheveux noirs et ébouriffés.

Ça te dirait une balle dans la tête ?

" Nan, je te remercie, c'est sympa mais j'ai encore une tonne de boulot, je vais me prendre un sandwich chez Athy et je le mangerai ici. Les Bedier doivent se pointer à 13h00."

" OK comme tu veux. Toi t'es un vrai pro, je t'envierais presque. " Il sourit et il sort.

Je prends ma veste et je descends. La température est montée. Tant mieux, enfin une bonne nouvelle.

Il y a déjà foule, mais j'attends. Je veux mon jambon/crudités/harissa. Ma vie est fade alors je compense. Finalement j'en prends deux.

Je donne un billet de 10 euros, on ne me rend pas la monnaie. La rue est maintenant pleine de working girls à talons hauts, attachés- case, lunettes strictes et couleurs sombres.

Je m'éloigne et  me dirige dans un parc à proximité. Je m'assois sur un banc, un sdf me rejoint.

C'est Eddy, la seule personne honnête qui partage mes repas. Il est sale et miséreux . Sa peau bronzée, marquée par sa vie, ressemble à des pages jaunies d'un livre oublié. Seuls ses yeux le trahissent. D'un vert vifs, ils vous scrutent jusqu'au tréfonds de votre être, vous inspectent et vous évaluent comme un diamantaire détaillant une pierre particulièrement précieuse.

"Tiens Eddy, sandwich et cannette de bière, c'est moi qui offre ... de toute façon je ne m'attends pas à ce que tu me rendes la pareille."

Il sourit. Ses dents sont anormalement blanches.

"Bien dit mon vieux, passe la bouffe je crève la dalle , et pendant que tu y es racontes moi ce qui te retournes la casquette."

Décidément, impossible de mentir à ces yeux. Alors je lui raconte. Ma femme, Etienne, mon boulot terne et répétitif.

" Couille molle" 

L'insulte me glace les os, elle me va droit au cœur, elle me paralyse comme une décharge d'électricité.

Il reprend.

" Tu vois, c'est ça ton problème mon vieux, t'es une couille molle, un dos rond, tu te soumets tout le temps. Tu baisses la tête et tu la ferme. Je viens de t'insulter et tu restes la à ma regarder comme un enfant vexé au lieu de m'en foutre une. Tu te caches derrière ton ennui comme un chien derrière son maitre."

Il termine sa bière.

Il a raison, j'ai peur de résister, de dire non, de tout plaquer. J'ai peur de vivre.

" Te biles pas, je comprends, t'as un boulot et des factures à payer. Le monde te tient la bride, t'es pas le seul va , bois un coup et ça passera. La chance t'aidera p'tete un jour." 

" Tu as surement raison." Même ma repartie est minable. Je me lève, le salut et retourne vers le bureau.

65 millions d'euros.

Plutôt vendeur comme affiche. La loterie. Véritable escroquerie à l'échelle nationale. Un élu pour des millions de déçus. Le commerçant se frotte les mains tandis que les désespérés lorgnent sur la cagnotte en misant leurs derniers sous.

Foutaises, comme s'ils allaient gagner...

Et si ? 

J'entre et le tenancier de l'établissement me dévisage. Je dois jurer dans le décors, un mort-vivant ça ne doit pas être si courant.

Je prends une grille, je la remplis :

2, ma jour de naissance, 8, le prix de mon repas du midi, 45, le nombre de fois où elle n'est pas rentrée, 10 l'âge que j'avais à la mort de ma mère, 32 mon âge actuel, 3 le nombre de fois ou j'ai pensé au suicide.

Je lui rend le ticket, il le valide, je sors. Je suis fatigué, le soleil me brûle les yeux en se reflétant sur l'asphalte chauffé à blanc. Je mets mes lunettes de soleil, je retourne à ma routine

LE soir.

21h30.

Je suis encore seul. Etienne est parti, il devait aller à la salle de gym.

Je suis exténué. Je me masse les tempes , mon mac m'indique une heure indécente pour terminer un journée commencée aux aurores. La journée à été épouvantable, des clients mécontents, des recherches infructueuses, des reproches incessants. La souffrance d'un homme qui subit, qui sombre, qui se noie dans un réalité laide et douloureuse. Je referme brusquement le dossier d'un mari trompé et d'une femme volage. 

Le ticket de loterie glisse négligemment de mon bureau pour venir se poser sur ma cuisse. 

C'est un signe...

Ridicule. Me voila pris de délire. Néanmoins, je décide de consulter les résultats, le tirage était prévu pour ce soir.

L'ordinateur prend son temps, me fait languir. Je clique, j'attends, je bois une gorgée de café froid, la page apparait, je cherche fébrilement le signe de ma désillusion.

2 8 45 18 32 3

Un silence pesant règne dans le bureau. La sueur perle sur mon front. Je vérifie encore et encore la combinaison de chiffres. Une tempête fracasse mon esprit, de violents tremblements agitent mon corps, et sans prévenir un hurlement explose de ma gorge, si bruyant, si riche d'émotion qu'on le croirait arrivé de la nuit des temps.

65 millions d'euros. Je suis multimillionnaire. Je suis libre.

Cette idée me perfore le cœur, délivre mon esprit de son carcan habituel de peines et de défaites. Le sort m'a choisi, la chance m'a aimé. Enfin je vais être libre d'elle, de lui, de moi.

Ma camisole est rompue, mon esprit vagabonde en dehors de mon corps, en dehors de cette carcasse ruisselante de larmes et de sueurs. Je suis le vagabond des étoiles de J.London. Je voyage, je m'amuse, je dépense, j'achète, je gagne, je m'enivre de luxure et de plaisirs. Je suis un autre , je suis le moi que tous le monde voudrait être.

La fatigue me saisit, la tête me tourne, je me lève, je chancèle, je m'appui sur ma bibliothèque, une photo d'elle et de moi tombe et se fracasse au sol. Le sofa m'attire, la conscience me quitte, je sombre dans l'inconscience.

LA nuit, plus tard.

J'ouvre les yeux, l'immense pièce dans laquelle je me trouve est baignée par la lumière de la lune.

Tiens tu t'intéresses à moi maintenant.

Je me retourne, un tissu délicat et frais me caresse la peau, de la soie. A mes côtés dort une sculpturale brune, entièrement nue. Je ne me rappelle pas de son nom. Des bouteilles de champagne gisent sur le sol , cadavres d'une soirée trop arrosée.

Je me lève et entreprend de me rendre dans ma salle de bain. L'appartement est gigantesque, si grand qu'il me tétanise. L'architecte qui l'a conçu y a apporté une touche " résolument moderne sans pour autant délaisser le confort du vintage ". Enfin, c'est ce qu'il m'a dit.

Moi je me sens juste perdu dans cette espace comme mouton égaré au milieu d'une foule dense et compacte. En évidence, au centre d'une vitrine au prix aussi farfelu , qu'inconnu à mes yeux trône ce fameux billet de loterie.

Quatre ans.

Voila ce qui me sépare de mon ancien moi. J'ai dis adieu à mon boulot, à ma vie, à elle, sans prévenir, sans me retourner. 

J'ai vécu tous les excès , j'ai fais le tour du monde , j'ai fais la fête dans tous les lieux mythiques de la planète , j'ai dépensé au-delà de toute raison.

Voitures, appartements , vêtements de luxe , filles à acheter et amis à vendre.

je suis une carte de crédit , un compte en banque ambulant , une assurance vieillesse et un plan épargne fais homme. J'intéresse les gens pour mon argent. Je ne suis plus le mari trompé , je suis le divorcé délaissé.

Mon ennui passé me manque, ma solitude me tue, ces corps qui défilent ne me satisfont pas.

Elle me hante. 

Couille molle ...

Eddy avait raison, je suis lâche. J'ai eu peur de l'amour. Le travail puis l'argent, la fête et sa décadence ne sont que des masques derrière lesquels j'ai déguisé ma souffrance, mon orgueil.

Elle me faisait tellement mal mais sa cruauté me manque. Je n'ai pas su être la pour elle , je l'ai délaissé et je me suis indigné de ma sanction.

Rendez moi mon ange, redonnez moi mon démon, rendez moi ma vie.

L'argent sans but ne vaut rien. 

La richesse a ruiné ma vie.

J'allume la lumière, l'ambiance est feutrée, le marbre reflète ma silhouette comme autant de miroirs aux milles couleurs.

Les antidépresseurs me toisent fièrement, je tends le bras, les saisis, les avale.

Encore une fois la tête me tourne, mes forces me quittent. Je titube jusqu'à l'ordinateur le plus proche. La créature aux formes sublimes, paisiblement endormie, ne se rend compte de rien. Ma vue se trouble, mes pensées s'entremêlent. Seul un visage reste parfaitement clair. Mes doigts hasardent sur le clavier. Une phrase s'inscrit tandis que je disparais dans le néant.

Je t'aime Chloé.

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