La mare au Diable

Hervé Lénervé

Je me demande si le titre n’a pas déjà été pris. Qu’importe, il y avait longtemps que je n’avais pas écrit un petit conte.

Donc, il était une fois, pas en Belgique, mais partout ailleurs, pourvu que l'on ne sache pas où.

Il était un garçon ! Oui ! Un garçon de ceux qui grandissent et s'ouvrent aux sentiments en même temps que de nouvelles pulsions les traversent.

Il était une fille ! Oui ! Une fille, encore une gamine, qui charme en jouant à des jeux de garçons. Elle s'appelait du nom de la grâce, de l'appellation de toutes ces belles fleurs qui poussent sauvages dans les champs. Elle s'appelait du nom de celle qui a laissé une cicatrice dans votre cœur. Vous n'y pensez pas toujours, mais toujours vous y revenez. Elle est en vous. Elle ne vous a jamais quittés, même si elle est partie depuis déjà bien longtemps, déjà.

Le garçon est timide, comme il se doit à tout garçon qui ne fanfaronne pas. Il observe de loin, ce joli écureuil. Oui ! Elle est rousse comme la mousse, si la mousse n'avait été verte. Quoique, si vous préféreriez qu'elle eût les cheveux verts, pourquoi pas ! C'est un conte, la logique ne compte pas. Rousse ou verte, son visage respire le naturel à faire pâlir la Nature. Elle saute, elle grimpe aux arbres, elle se roule dans les prés, le tout en riant ou souriant à moins. Voici, une fille contente de vivre et elle le montre.

Notre garçon n'a pas cet élan, il doute. Il doute de lui, il doute des autres, il doute de tout, il douterait même de son doute. Voici, un gars mal dans sa peau. Mal dans ce corps qu'il ne maîtrise plus et qui pousse un peu de partout, mais partout de guingois. Mal dans sa tête qui essaie de comprendre des choses qui ne se comprennent pas, mais se vivent seulement.

Il faut bien une rencontre, autrement l'histoire, qui se passe déjà en un lieu imaginaire, en un temps incertain, risquerait de tourner court à cour de romance.

Evidemment le garçon l'aime déjà, cette fille qui, toute à sa joie égoïste, ne l'a même pas encore aperçu.

-         B'jour ! Lance notre séducteur.

-         Ah ! Oui ! Bonjour, toi ! Je ne t'avais pas vu arriver.

-         Je n'arrive pas, j'étais là, avant que tu n'y sois, toi-même.

Répond factuellement notre boutonneux, ignorant la poésie de sa phrase. Seul l'écureuil (finalement, elle restera rousse, cela m'arrange) semble y avoir été sensible.

-         Tu parles bien pour un garçon.

Et voilà le jouvenceau à rougir, soit du compliment, soit du dénigrement.

-         Allez ! Ne pique pas un fard, je disais cela comme ça, car souvent les garçons disent vraiment n'importe quoi.

-         Quoi ? On n'est pas assez intelligents pour vous, c'est ça ?

-         Ah, oui ! Décidément, tu es, quand même bien, un garçon ! Viens, je vais te montrer un truc.

-         Quoi ?

-         Viens ! C'est dans le bois.

Heureusement que c'est la gamine qui fait cette proposition, l'inverse aurait prêté à  des intentions mal intentionnées.

-         Dépêche-toi un peu, quand même ! Le lecteur n'a pas tout son temps à te consacrer.

Les deux grands enfants s'enfoncent dans le bois. Quitter la clarté  des prairies pour pénétrer l'obscurité des sous-bois, n'a jamais été de très bon augure. Après quelques temps épargnés à se faufiler entre arbres, ronces et taillis les deux débouchent dans une belle clairière où le soleil s'admire sans fausse modestie dans les eaux saumâtres d'une mare.

-         T'as vu ! C'est magnifique !

Chante la jolie en faisant plonger les grenouilles qui s'étaient, quelque peu, assoupies sur les rives. Plouf… plouf… plouf !

-         Vient ! On va se baigner !

-         Quoi ? Là-dedans ???

-         Où veux-tu te baigner ailleurs ? La mer, la plus proche, est à… (je n'ai pas le droit de donner d'indications qui pourraient trahir ce pays qui n'existe pas) … d'ici.

-         C'est pas très propre. Regarde il y a plein d'algues.

-         Ce sont des lentilles d'eau, gros bêta, (nouveau phare du garçon) ce n'est pas sale du tout.

Dit l'ondine en quittant le peu qu'elle portait, pour se retrouver nue, bien entendu, croyez-vous que l'on soit habillé sous nos vêtements ?

Là, la couleur du visage du garçon ne figure pas dans le nuancier du grossiste de peintures. On va dire qu'il est écarlate, cela suffira, même si on en est encore très loin. La fille, elle, reste sereine ou sirène, la Nature n'a pas de pudeur.

Vas-y, dépêche-toi, moi j'y vais.

Elle n'attendit même pas de finir sa phrase, car on la retrouve déjà noyée jusqu'au cou dans l'eau verte et là, on est heureux de l'avoir gardée rousse, car cette fleur, rouge feu sous les feux du soleil, se détachant du vert de la surface est sublime. Allez ! Tous à vos pinceaux !

Le garçon sur la berge n'a pas bougé d'un teeshirt. Quand on a des problèmes avec son image, on évite d'exhiber son corps à la vue de tous, même si ce tous, n'est qu'une seule. Il reste pensif à se triturer les trois poils qu'il a au menton et dont il n'est pas peu fier.

-         Bon, tu viens au lieu de te caresser la barbe ? Tu te laisses pousser les moustaches pour ressembler à ta mère ?

Encore une tomate à cueillir.

-         Allez ! Je te taquine, je ne connais même pas ta mère. Viens !

 Puis, la fille se désintéresse de ce pusillanime compagnon pour s'ébattre toute à sa joie, moins qu'à celle des grenouilles qui ont l'habitude d'avoir la marre, toute à eux. Elles désertent l'endroit par vagues, un exode aquatique de batraciens et à contresens, un serpent plus reptile lui, en profite pour se couler dans l'eau tiède. C'est une vipère aspic dont le venin peut être mortel pour l'homme. La nymphette n'a rien vu, elle continue son brassage, par instant, elle croit sentir quelque chose la frôler, mais comme ça glisse sur sa peau, elle laisse glisser. Sur la berge le garçon est en slip, disons… si un slip, quand même. Le corps dégingandé du grand escogriffe, blanc comme un drap, n'en finit pas sa révolution des formes. Il met un pied timide dans le liquide qui ne le repousse pas ou si peu (théorème d'Archimède oblige) et s'y immerge dans un ralenti. Il n'y reste si peu qu'il aurait pu s'abstenir d'y entrer.

-         Aie ! Putain une vipère ! Elle m'a piqué !

Les guêpes piquent, les serpents mordent, mais dans l'action on se fout bien de ces nuances de linguistes dogmatiques. L'important étant de ne se faire, ni mordre, ni piquer, trop tard, c'est fait ! Il s'étend sur la mousse et attend la mort, car le tramway ne passe plus dans les bois. La fille, parce qu'elle est justement fille, ne l'entend pas ainsi, elle n'attend rien, même pas le temps de se revêtir, elle prend le moribond sous le bras et l'emmène dare-dare, illico presto chez l'herboriste le plus près, celui qui est ouvert 24 heures sur 24, même à Noël. J'en profite pour vous le souhaiter joyeux par avance, car après,  je risque d'oublier.

Le garçon n'est pas mort. Il s'est même transformé en un beau jeune homme, pas d'un seul coup, non ! Après le temps, que toutes ses parties se remettent de leur idéologie anarchiste pour se rapprocher de l'harmonie. Sa sauveuse ne l'a pas quitté, ils forment un couple à présent et c'est à deux qu'ils vont avancer dans la vie.

Voilà c'est fini. Oui, on pourrait y voir un remake de la genèse, si je n'avais pas oublié la pomme. C'est con ! Je l'avais noté sur ma liste de courses, mais j'ai oublié de l'acheter... Dommage !

(Ne m'engueule pas, mon écureuil ! Je sais que tu n'aimes pas ce mot. Dommage n'appartient qu'aux sceptiques, dont je suis, qui ne savent pas apprécier simplement le moment pour ce qu'il donne tout simplement. Peut-être me liras-tu de ton exil ? Dans notre pays commun, mais si loin de moi, qu'il est plus imaginaire que celui d'un conte.) 

  • J'aime bien cette mare au diable revisitée, pis c'est une belle histoire qui finit bien. Bravo!

    · Il y a plus de 6 ans ·
    P1000170 195

    arthur-roubignolle

  • George Sand

    · Il y a plus de 6 ans ·
    Tyt

    reverrance

    • Lectures de notre enfance...

      · Il y a plus de 6 ans ·
      Louve blanche

      Louve

    • On tous lu, « La mare au diable » de Sand. Oui ! C’est bien elle ! Quand on était au collège, on y a rien vu de transcendant avec nos yeux d’enfants. Je l’ai relue adulte, c’est magnifique. Mais je suis un admirateur de la femme à la pipe et de ses histoires d’amours impossibles.

      · Il y a plus de 6 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

  • Toujours cette imagination débordante, pleine d'humour, ce qui ne gâte rien ! Bravo !

    · Il y a plus de 6 ans ·
    Louve blanche

    Louve

    • A lire (pas) absolument ! "Le steak tartare" il y a une mare et des lézards...mais pas de serpent !
      Sans abuser, à lire : "La forêt"...ce n'est pas vraiment de l'humour.
      Par contre je rage car "Un bien joli diable" et "Des courgettes " se sont envolés. Textes non sauvegardés ! Ces deux là, à mon humble avis, étaient bien plus drôles, tant pis !

      · Il y a plus de 6 ans ·
      Louve blanche

      Louve

    • Personnellement, je ne sauvegarde rien. Si un auteur me fait l’honneur de me plagier, grand bien lui fasse. « La pensée n’est à personne, le néant est sans loi. » Je viens de plagier Gilles Servat et toc ! je vais lire tes textes.

      · Il y a plus de 6 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

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