La merde et le chocolat.(1)

« A force de faire de la merde, tu vas finir par tremper tes pieds dedans ! »

Betty a la langue bien pendue quand elle peut entre deux portes, me sauter dessus. En moins de deux phrases de couloir elle arrive à faire atterrir son gros avion de compliments. Dans le salon c'est tarmac : une odeur de piste, de kérosène, de cette odeur que l'on perçoit quand le nez n'est plus en l'air et que les moteurs vont être coupés:

« Tu sens ? »

« Non ! »

« Tu sens pas ? »

Pour Betty, l'hygiène est plus importante qu'un million de dollars reçus dans une boite à lettres aux Caïmans :

« De toute façon, si t'as pas la clé t'es marron... alors qu'avec du savon ! »

A force de doutes, j'en arrive à me renifler de partout... sous les bras, sous les pieds, jusqu'à même comme le chien sous la queue avant d'aller aux fraises. Suis-je en train de pourrir ? Ais-je choppé pour de bon la merde ?

Je me badigeonne de gel hydroalcoolique jusqu'à me faire partir les ongles, et de blanc de Meudon pour si jamais les vitres à faire. Mon regard se pose chirurgicalement sur toute ma surface. J'inspecte ma peau centimètre par centimètre, je reluque à donf mon anatomie. Je suis comme les yeux d'un père à la naissance de sa progéniture : j'observe si j'ai bien tous mes doigts, toute ma tête et tout mon nez... « Non pas son nez ! S'il vous plaît pas son nez ! Redonnez-lui son nez ! » criait Betty dans mon cauchemar.

Dans une maternité, ça sent les eaux, le petit vomi et le mioche.

« Ben t'aurais voulu que ça sente quoi ? Le Saint Laurent ? La Binoche ? »

C'était l'année où j'avais rendu Betty jalouse de Juliette B, tant son rôle dans Le Chocolat m'avait étonné ; j'avalais tablette sur tablette, j'en rappais aussi parfois en cachette d'un placard:

« C'est pas tellement son rôle que t'as apprécié... c'est sa bouche ! Dis-le ! T'as fait un transfert poudre de cacao sur les lèvres à Binoche ! Quand tu bouffes une tablette t'as l'impression de te les taper ! Hein ? Si ça c'est pas de la réalité ! »

...