La métamorphose

Jean Patrick Chatel

Ah qu'elle me semble lointaine cette période estudiantine où l'insouciance fleuretait avec la légèreté.

Je me souviens de notre rencontre lors d'une soirée arrosée, où nos échanges furtifs furent vite évincés par la bière et le rosé. D'une nature discrète voire totalement effacée, ta présence a mis plusieurs années avant de véritablement s'imposer. Les week ends tu étais là, tu errais, tel un fantôme dégingandé. Ta voix fluette, presque étouffée survolait le brouhaha ambiant, ce qui pour certaines personnes s'avérait être soûlant. Tel un spectateur passif, tu te délectais des saillies drolatiques sans jamais te mettre en avant comme un comique. L'amitié enivrée rythmait toutes nos soirées et cela perdurait au fil des années. Mais qu'en était-il de tes relations amoureuses ? La gente féminine était souvent raillée, dédaignée voire détestée. Mais alors quoi ? Cet hédonisme que tu cautionnais, ne pouvait-il pas inclure un brin de sexualité ? Arrivé à Paris, tout a changé.

Tu as trouvé comment t'exprimer, à la manière d'un internaute caché. La silhouette s'est affinée, les costumes se sont « fités », le verbiage s'est affuté. Tes absences répétées nous ont alertées. Tu essayais de nous duper, sans jamais réussir à nous flouer. Impossible de voir tes conquêtes, tout était fait dans le secret. Mais une chose est sûre, elles commencent à grandement s'accumuler. Ta timidité en société est compensée et s'exprime autrement. Derrière un écran, il est bien plus aisé de se transformer en prince charmant. Le frêle et timide jeune homme est dorénavant un  Don Juan. Tu connais tous les sites et la manière de procéder. Rien ne t'échappe, il suffit de te regarder. Ta dextérité dans l'utilisation du clavier, pourrait presque te conférer le statut de geek sexué. Le jeu de la séduction s'est métamorphosé en totale compétition. Tu as rallié d'autres adeptes, aussi à l'aise sur mobile que sur tablette, préférant tchater plutôt que pérorer. Les sentiments, les émotions sont relégués au second plan, plus que de raison.

Tu as pris l'habitude de consommer puis de jeter. Les relations pour toi, c'est de l'obsolescence programmée. La femme est chosifiée, tu la délaisses, elle reste cloitrée, au profit d'un verre dans un troquet. La compromission n'existe pas, la relation pour toi c'est de mettre au pas. Le rapport de domination n'est pas qu'une abstraction. Prendre son pied rime avec docilité. Veni vidi vici : je suis venu, je t'ai vu, j'ai fait de toi mon plan cul.

Parfois, ton cœur chavire, tu aimerais pouvoir te poser. Mais, systématiquement, à force de vouloir jouer, tu fais tout péricliter. Après quelques minutes à sangloter, il faut déjà effacer les affres du passé. Vanessa, Victoire et Salomé, ce sont tes prochaines cibles, il ne faut surtout pas les rater. On serait presque tenté de t'appeler le serial fucker des beaux quartiers. Ces conquêtes massifiées sont pour toi un amplificateur de virilité. Orgueil et vanité semblent être les termes les plus adaptés pour te caractériser. Doit-on t'envier ?

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