La Nonnette
Julie Anne De Sée
Nous avions pris notre premier rendez-vous dans ce salon de thé assez chic et branché de la rive gauche.
Je suis arrivée un peu en avance, lui est en retard. Je commence à douter de sa venue. Soudain, je le vois entrer en trombe, l'écharpe au vent et un grand sourire éclairant son visage quand il m'aperçoit. Il n'est pas vraiment beau, mais un charme étrange émane de cet homme à la cinquantaine affirmée. Il s'excuse de m'avoir fait attendre -les embouteillages parisiens-, me glisse un gentil compliment en faisant un signe discret à la serveuse qui accourt.
- Bonjour, vous avez choisi ? Aujourd'hui, le chef pâtissier vous propose des religieuses et des éclairs au chocolat glacés mandarine, des nonnettes fourrées abricot-verveine ou fraise-rose.
Je crois voir passer une lueur gourmande dans les yeux de Lionel qui fronce légèrement les sourcils, dubitatif.
- Des nonnettes ? Pourquoi pas ? Et vous Diane, vous laisserez-vous tenter par les saveurs nouvelles de ces petits gâteaux ?
- Va pour les nonnettes. Avec une grande théière d'Earl Grey !
Les gourmandises rondes sont fondantes à souhait. Lionel ne dit mot, semblant soudain perdu dans une lointaine rêverie, les yeux fixés sur un point inexistant et lointain. Puis, il me prend doucement la main sur la table, plongeant son regard si bleu dans le mien.
- Pardon de ce silence mais cette pâtisserie m'a tout-à-coup rappelé un souvenir que je pensais enfoui très loin dans ma mémoire. Un souvenir d'adolescent que je n'ai jamais raconté à personne…
- Voulez-vous me le confier ou préférez-vous le taire encore ? Est-il agréable au moins ?
- Oui, c'est une réminiscence chargée d'émotion, j'aimerais vous la conter.
Sans lâcher ma main, comme s'il se jetait à l'eau et avait besoin de conserver un point d'ancrage, Lionel remonte le fil de sa mémoire pour me livrer son récit. Sa voix se fait plus basse, il s'exprime avec une certaine lenteur, choisissant ses mots.
- Je venais d'avoir quatorze ans et si j'étais d'assez grande taille pour mon âge, je n'étais guère déluré. Bien sûr, j'étais encore puceau mais je fantasmai déjà sur les jeunes femmes que je voyais dévoiler leur nudité sur la plage. Lorsqu'elles sortaient du bain et que les petits triangles du bikini dévoilaient les formes de leur sexe, j'en étais bouleversé. J'étais l'enfant unique d'un couple déjà plus très jeune. Nous vivions alors en Basse Normandie. Le grand plaisir de mes parents en cette fin des années soixante était les trois semaines de vacances d'été que nous allions passer en août à Malaga. J'adorais ce long périple qui nous faisait traverser la France et l'Espagne, prometteur de soleil et de jeunes filles en fleur déshabillées au soleil. Nous rejoignions d'abord Paris, puis nous passions le reste de la journée dans le train qui nous emmenait à Irun. Ensuite, il nous fallait changer pour Madrid après avoir passé la douane. L'uniforme vert et le tricorne de cuir noir poli de la Guardia Civil de Franco, bien présente, m'impressionnaient beaucoup. Dans la capitale espagnole, à la gare d'Atocha, nous montions enfin dans le train de nuit en partance pour Malaga. Les Espagnols aussi partaient en villégiature.
Les compartiments étaient bondés. Mes parents se trouvèrent ensemble côté fenêtre et moi côté couloir sur le siège d'en face, avec une religieuse pour voisine. Je n'entends rien aux ordres religieux. Je ne sais pourquoi, je décidai qu'elle était clarisse, peut-être parce que j'aimais le prénom qui me semblait aller comme un gant à cette bonne sœur qui semblait bien jeune. Elle était vêtue d'une robe brune qui s'arrêtait aux chevilles, découvrant ses petits pieds nus à la peau laiteuse dans de sobres sandales noires. Une corde blanche ceignait sa taille. Sur sa poitrine, un plastron blanc la couvrait chastement, laissant à peine deviner le bombé de ses seins. Un bonnet qui occultait entièrement sa chevelure - était-elle brune, blonde, rousse ? - sur lequel était fixé un voile aussi virginal que le plastron encadrait son visage presque enfantin et faisait ressortir par contraste un teint clair, des prunelles noires à damner un saint et une petite bouche charnue toute rose. Elle tenait un chapelet dans une main qui négligeait de l'égrener. Était-ce une novice ? Se rendait-elle dans un couvent pour prononcer des vœux définitifs ? Je l'observai à la dérobée, échafaudant sur cette compagne de voyage inattendue mille et un fantasmes tout en simulant l'endormissement. Un voyageur baissa les rideaux de la fenêtre et de la porte du couloir, demanda s'il pouvait éteindre la lumière. Les autres passagers acquiescèrent. Seule subsista la veilleuse du plafond qui dispensait une pâle lueur bleutée. Ma mère dormait déjà, appuyée sur l'épaule de mon père dont la tête dodelinait au balancement du train.
La voyageuse à mon côté avait fermé les yeux mais je ne pus savoir si elle sommeillait aussi. Elle était assise très droite, la tête à peine abandonnée à l'appui-tête. Sa bouche entrouverte découvrait légèrement des dents d'une étonnante blancheur. Je pouvais sentir la chaleur qui émanait de son corps, ses épaules, son bras et ses jambes côtoyant les miens. Il se dégageait d'elle des odeurs mêlées de savon, de sueur, de fruits, de douceur. Une irrépressible envie de la toucher me taraudait. J'avais très chaud, mes mains tremblaient, moites de ce désir tout neuf que je ne pouvais nommer. La curiosité l'emporta sur mon inexpérience, l'audace de mon innocence me permit de surmonter mes peurs. Très doucement, je vins poser ma tête sur ses genoux, un bras ballant touchant le sol. Mon cœur battait, je n'osai plus bouger, craignant que quelqu'un ne s'éveille parce qu'elle aurait crié ou manifesté une quelconque désapprobation. Quelques minutes s'écoulèrent ainsi, une éternité. La jeune dévote, les yeux clos, semblait aussi figée qu'une statue. Mais cette korê était ardente sous ma joue, bien vivante, sa respiration devenue plus rapide à présent. Je posai alors délicatement ma main sur sa cheville juste au-dessus de la bride de la sandale. Ce premier contact avec sa peau nue m'électrisa. Mes doigts curieux se glissèrent sous la robe bistre qui me parut rêche tant le mollet dont ils suivaient la courbe était délicat. Mon sang battait à mes tempes, ma main s'enflamma. Je lui imposai une infinie lenteur pour poursuivre plus avant cette excursion en terra Femina. J'enrobai de la main entière la jambe pour en apprendre la forme, m'égarai un instant sur la rondeur du genou, en fis le tour, ému de la délicatesse de cette peau sur laquelle un léger duvet attisa mon trouble. La nonne ne bougeait toujours pas mais elle tressaillit et je sentis un frisson se propager sur sa cuisse quand je l'effleurai, poursuivant mon chemin vers un paradis certain. La chair de poule qui naissait sous ma main vagabonde me ramena un instant à l'étrangeté de la situation dont j'étais l'instigateur. Je me tétanisai, retenant mon souffle. N'allait-elle pas se lever brutalement, me faisant choir aux pieds de mon vis-à-vis qui, de fait s'éveillerait ? Elle m'accuserait publiquement de perversité (je connaissais ce mot depuis peu, sans toutefois en avoir saisi le sens exact), me vouant aux éternelles flammes d'un enfer que je n'aurais pas volé. N'exigerait-elle pas que l'on me remit à l'affreuse Guardia Civil ? Mes pensées s'enfiévraient, des bruits de menottes m'enserrant les poignets, de chaînes dans des geôles humides et froides me traversèrent l'esprit. Mais non, la nonnette ne bougeait pas. Ma main toujours posée sur la cuisse de ma belle hiératique décida de se remettre en mouvement, faisant à nouveau naître d'imperceptibles frémissements. Mon oreille collée à son ventre fut surprise d'entendre son cœur battre si vite, tambour rythmique que je pris pour un encouragement. Je repris donc l'ascension, tremblant d'approcher le Saint des Saints. Je me heurtai à la barrière de sa petite culotte. Je la visualisai blanche et des images se formaient dans ma tête d'une toison blonde et soyeuse. A cette époque, mes pensées érotiques se cristallisaient sur les chevelures flavescentes des femmes. J'ignore pourquoi, sans doute était-ce dû aux stars hollywoodiennes peroxydées dont les photos faisaient les unes des magazines de ma mère. Je ne pouvais pas rester au bord de la rivière, j'avais trop soif d'exploration. Mon souffle désordonné me fit craindre qu'il ne me trahisse, je restai un instant encore immobile, sur un qui-vive exaspérant. Mon anxiété se mua en bravoure. Je persévérai dans la découverte de ces secrets qui s'offraient à ma hardiesse. Je glissai un doigt inquisiteur entre le pli de sa cuisse et l'élastique qui l'enserrait. Pour la première fois de ma jeune vie j'éprouvai alors l'exquise sensation d'un buisson féminin touffu que je caressai avec délectation. Des ondes étranges me parcoururent les reins, mon sexe prisonnier se mit à palpiter. Le plaisir naissant exigeait bien davantage. Mon pouce, par une bienheureuse fortune, rencontra un bouton saillant, plus haut, qui durcit plus encore sous la pression que je lui infligeai. Je ne maîtrisai plus deux autres de mes doigts quand ils trouvèrent l'orée de la fente. Pour mon plus grand bonheur, l'entrecuisse s'écarta très légèrement, comme pour mieux les accueillir. Je m'y engouffrai, me noyai dans cet océan de chaleur tendre et veloutée, ma verge à présent raidie du plaisir que ma main pérégrine lui adressait. Soudain, une abondante humidité s'écoula sur toute ma paume. Instinctivement, ma main adopta un mouvement plus vif d'allers-retours, dedans, dehors. Il me sembla que le corps entier se laissait glisser sur le siège, le bassin ainsi relevé se mit à onduler. Les cuisses se raidissaient, s'écartant plus largement. Mon visage se retrouva dans la dépression ainsi provoquée, au plus près de ce sexe que je découvrais sans le voir. Mon nez huma à travers la barrière du tissu de la robe des senteurs jusqu'alors inconnues, qui évoquèrent le ressac d'une mer agitée. Sous le mouvement régulier de mes doigts qui persistaient à vouloir connaître l'épilogue de leur vagabondage, le fourreau qui les enserrait déversait à présent de tels flots que ma main s'en trouva trempée. Ma bouche affolée sentit alors l'étoffe s'en imbiber et ma langue put enfin goûter sur le coton rêche et pour la toute première fois la saveur exquise de la cyprine. Soudain, des spasmes violents enveloppèrent les doigts devenus prisonniers de l'écrin en émoi. Sans que j'en aie eu vraiment conscience, mon autre main avait libéré ma queue de son contenant devenu trop étroit. Adoptant le même rythme que celui de la main qui tenait le sexe invisible de ma compagne, je retrouvai les gestes parfois accomplis dans le secret de ma chambre close. Étonnés de le trouver si raide, mes doigts s'étaient mis à branler à vive allure mon jeune dard, aspirant au plaisir qu'ils voulaient mêler à celui des autres si fortement étreints par cette chatte brûlante. Ce fut presque en même temps qu'elle que je jouis, éprouvant un plaisir fulgurant lorsque ma sève s'échappa en jets crémeux qui s'étalèrent en ronds blanchâtres sur le bas de la robe brune. Jamais jusqu'alors les sensations n'avaient été aussi intenses. La jeune femme ne bougeait plus. Relevant la tête un instant, je lus sur son visage aux yeux toujours clos, sur sa bouche ouverte qui avait retenu un cri, l'air extatique qu'ont sur les tableaux les vierges médiévales. Pantelant de ce bonheur nouveau, sans plus oser remuer, refermant les yeux à mon tour sur cette jouissance inouïe, je m'endormis sans même m'en apercevoir, ma tête revenant tout naturellement au creux des cuisses si hospitalières, ma bouche suçant doucement mes doigts encore poissés de la liqueur du sexe qui venait de s'offrir à eux.
Le train au bercement régulier déchirait la nuit. Lorsqu'elle s'éloigna et qu'un premier rayon de soleil se posa sur mes yeux, je les ouvris très doucement, osant à peine les lever vers les autres voyageurs. Je réalisai alors que ma tête reposait sur la moleskine de la banquette. Ma nuque était endolorie et les cheveux de ma tempe étaient mouillés, un peu collants. Ma mère, déjà éveillée, me regardait en souriant. Je rougis quand elle me demanda :
- Tu as bien dormi ? As-tu fait de beaux rêves ? Nous arrivons bientôt, tu peux descendre ta valise du porte-bagage.
Après m'être étiré, je m'exécutai quand je sentis sous mon pied le crissement d'un objet glissé sous la banquette. Posant ma valise au sol, je ramassai un chapelet aux grains de bois que je glissai subrepticement dans ma poche.
J'ai toujours conservé cette relique tombée des mains d'un ange, ma nonnette…
La fraicheur du temps allié à l'innocence, respire à plein vent sous la plume de Julie-Anne ; oui nous avons et sommes gourmands de tes prochaines découvertes, Lion
· Il y a presque 10 ans ·Lionel Graux
Comme toujours, le style de Julie-Anne de Sée fait mouche! Un auteur à suivre!
· Il y a presque 10 ans ·Anne Estelle