La patate douce. (1)

La fleur était notre passion, le bouquet sa quintessence. Dans notre jardin enfoncé de piquets à distances régulières, nous élaborions nos semis de jour en jour. Aux floraisons éphémères, lorsque de grands vents ou de fortes pluies nous abbattaient les jeunes pousses, on allait au cinéma pour nous sortir les idées noires de la tête et éviter de tout relire le protocole de mise en œuvre des repiquages en cas d'intempéries. Betty disait que la lecture était réservée aux gens qui se rongeaient les ongles alors que le cinéma les faisaient pousser.

- Regarde ma mère ! Elle cinoche et piscine toute l'année ! T'as vu la longueur des siens !

Betty aimait les avoir aussi longs et bien soignés, car ils représentaient pour elle la perfection féminine sans pour autant y voir un attachement maternel:

- Quand t'as les ongles bien propres et bien peints, on comprend que tu viens pas de laver de la salade !

Betty attachait beaucoup d'importance à la propreté du genre humain, autant qu'à celle de nos vitres. Nous avions des lotions de bien-être, des poudres extraordinaires et des shampoings actifs aux huiles merveilleuses et de l'essence de jojoba plein la salle de bains, de vieux tee-shirts Zara Bob Marley qui sentaient encore l'alcool à brûler de ma jeunesse sous l'évier de la cuisine: - Et frotte bien dans les angles ! C'est dans ceux-là que la saleté niche !

Betty montait régulièrement sur Paris se faire masser le bout des seins et l'entrée du clitoris pour que les peaux soient moins douillettes afin d'aténuer cette sensation de frisson qui lui parcourait le dos durant l'amour:

- J'ai comme des araignées quand tu me pénètre ! C'est super chiant !

Betty avait même consulté un psychanaliste des troubles de la sensibilité pour en finir de cette démangeaison:

- Alors qu'est-ce qu'il a dit ?

- Ben d'aller voir si sous le lit on laisse pas trainer un peu de poussière !

L'aspirateur de dessous l'escalier avait pris place au pied de la psyché. Nous l'avions pour ainsi dire, permuté avec le chien.

- Alors là, c'est l'bouquet !

- Quoi encore ?

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