(3) GEORGES, la peau de qui ?

nyckie-alause

Hélène et Georges

Aujourd'hui, je pense à demain.

Ce matin, je me rejoue la journée d'hier. Surtout la soirée. D'hier. Voilà pourquoi je pense à demain.

……

Hier, le troisième jeu était pour lui. Dans cette situation Charles a pour habitude de gagner. Quelques échanges , quelques services ratés pour lui, pris pour moi, j'ai remporté le dernier set. J'ai gagné le match.

Il m'a serré la main. Il ne m'a pas regardé dans les yeux. Il a regardé la main que je venais de lui serrer et l'a essuyée sur son short blanc. Cela n'y a laissé aucune trace. Il était déjà en train de partir. J'ai hésité entre, lui imaginer une moue de dégoût, ou un rictus d'envie. « A la semaine prochaine même heure », puis il a rejoint sa voiture sans passer par le vestiaire.

Je suis resté longtemps sous la douche à jubiler de ma victoire ; le mieux que j'obtiens depuis deux ans est un pénible ex æquo au blitz ; sous la pluie chaude, j'ai mentalement rejoué tous les points, tous les coups, tous les services. 

Ma conclusion est que si j'ai gagné, je le dois à mon nouveau corps, et que ma performance sportive précède simplement des réussites physiques plus intimes. Avec Hélène. Ou pas. J'ai acquis, à mon corps défendant, de nouveaux atouts dont je vais profiter dès ce soir. C'est une décision et non plus un désir ou une envie. Ma vie a commencé à changer.

……


Hier soir, ma femme et moi nous avons dîné dehors. Elle avait mis sa robe bleue. Celle qui me fait toujours un effet extraordinaire. Hélène, quand elle le veut bien, elle est belle. Je le lui ai dit. Ma voix vibrait un peu, inhabituelle, « Tu es très en beauté ce soir ». Elle aurait dû être séduite mais elle a regardé ma main posée sur la sienne— elle s'est raidi comme si elle se rendait compte du changement. Elle a eu comme une tentative de glissement. Une ébauche de retrait. Un regard inquisiteur. Ses sourcils suspicieux ont rajouté une ombre maléfique sur ses paupières délicatement ombrées d'un fard nacré.

— Tu me trompes…?

Cette hésitation en fin de phrase ! Entre question et constat péremptoire. J'ai, à mon tour, hésité sur le parti à prendre. Explication ou dénégation. Je me suis contenté de lui caresser la main de cette main-là, de lui resservir du vin et de dire « non, non » ce qui ne veut rien dire mais a toujours un effet calmant immédiat. Malheureusement pas définitif.

Exceptionnellement elle a pris un dessert. Je n'ai commandé qu'un café. 

— Tu ne dormiras pas.

J'aurais pu lui avouer que, pour ce soir, j'avais d'autres projets, pour nous deux ; que je comptais bien que nous échappions à la routine ; que j'avais changé ; qu'elle s'en rendrait vraiment compte tout à l'heure, à la maison. 

J'aurais dû. Pour la séduire. Pour l'adoucir. Pour la préparer à ce que nous pourrions vivre. 

En regagnant la maison, je lui ai proposé mon bras ; elle n'a pas saisi l'occasion de rapprochement ; elle s'est contenté de marcher du même pas que le mien, à ma hauteur, en tapant des talons sur le trottoir qui résonnait comme une horloge qui tourne à l'envers ; qui mesure le temps qu'il reste. J'ai ralenti le rythme de nos pas pour calmer mes angoisses et les battements de mon cœur.

— La poubelle jaune, il faut la sortir. 

J'ai obtempéré. Ce n'était pas le moment d'entamer une énième discussion sur qui doit faire quoi et quand. Je l'ai roulée jusqu'au croisement. Des trois autres branches arrivaient trois hommes tirant aussi leur poubelle jaune. « Bonne nuit » à dit chacun. « Merci » avons nous répondu.

Je me suis dévêtu dans la salle de bain et quand je suis entré dans la chambre, Hélène avait déjà éteint la lumière. J'aurais aimé qu'elle s'aperçoive comme j'avais changé. L'explication, si elle devait avoir lieu, en aurait été plus facile, preuves à l'appui. 

Je me suis couché ; je crois qu'elle faisait semblant de dormir ; je l'ai caressée tendrement, longtemps ; et longtemps nous avons fait l'amour ; comme aux premiers jours. Je regrette maintenant qu'elle n'ait refusé que j'allume la lumière.


……

Ce matin, l'allégresse de la nuit m'a sorti du lit de bonne heure. J'ai fait griller des toasts. J'ai préparé du thé vert pour elle, du café pour moi. J'ai pressé des oranges fraîches. Tout était déjà installé sur le plateau pour l'emporter dans la chambre. Quand j'entrerai, je le poserai sur le lit et j'ouvrirai un peu les rideaux. Après avoir déjeuner, nous pourrions faire l'amour à nouveau. Elle ouvrirai enfin les yeux et nous pourrions parler…

Elle a été plus rapide que moi. Elle est entrée dans la cuisine comme une furie, au lieu d'être contente…

« Tu me trompes ! » a-t-elle crié. Elle est ressortie en claquant férocement la porte et elle s'est enfermée dans la salle de bain. Quand je tape à la porte elle ne répond pas. J'ai cru entendre comme un sanglot, mais je n'en suis pas sûr.

Je suis assis à la table de la cuisine, sans voix.

La tête entre les mains, je pense à demain.


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