La peur et puis...

carouille

La peur.

La peur qui fait trembler la dernière cigarette avant de pousser la porte. Des jours qu'elle me hante. Que le ventre a pris les commandes. Le deuxième cerveau qui ne sait parler qu'avec l'instinct, en couleurs primaires brutales, sans concession. Des explosions. Aveuglantes. Violentes. Qui se ramassent. Jusqu'à faire vaciller mon centre de gravité. Parce qu'elles pèsent trop lourd. La peur qui absorbe tout. Comme un trou noir. Qui écrase la poitrine. Détraque l'esprit. M'enferme dans une cellule de peau. Infranchissable.

Des tunnels mènent jusqu'à ma prison de peur. Des petites mains. Qui se faufilent entre les barreaux. Des caresses. Qui ouvrent des brèches éphémères dans les murs. Des pensées. Qui flottent depuis l'autre bout du monde. Une présence silencieuse. Sans mots mais immense. Quelques notes des Bee Gees. Qui font voleter les papillons. Une ombre gémellaire. En attente au bout du fil.

Ce sont eux qui canalisent les explosions. Les empêchent de me disperser aux quatre vents.

Mais aucun de ces tunnels ne me permet de m'évader, d'échapper à l'inconnu qui me dévore sournoisement.

Et rien de matériel ne peut non plus les emprunter. Mon ventre déjà sur le point d'exploser se convulse et se rebelle à la moindre nourriture terrestre. Seule l'eau parvient à se faufiler, comme un maigre courant qui tente de nettoyer le champ de bataille de ses toxines mais ne fait qu'effleurer les berges. Ma balance penche trop à gauche, tire la sonnette d'alarme. Bientôt elle ne pourra plus me détecter, je serai emportée par le tourbillon. Elle me harcèle pour que je remplace tous ces morceaux de moi happés par la peur et le trou noir. Je l'écoute mais ne je peux rien faire.

Déminéralisée, désossée, déboutée, dégoûtée, désarmée.

 

La peur et puis le raisonnement.

Au pied du mur, la dernière taffe fait son travail, bascule le commutateur. Pierres rouges autour de mon doigt qui ancrent de force mes pieds dans le sol. Pierre blanche autour de mon cou qui croise le fer avec les mauvaises ondes. Et ce pantalon bien serré malgré la chaleur, qui m'enferme dans sa gangue et me tiendra debout même si mes jambes se dérobent.

Des talismans, des gris-gris. Mais qui font leur œuvre. Court-circuit vers le cerveau du haut.

Parce que c'est l'heure d'écouter, de comprendre, d'analyser, d'explorer, de soupeser. Prendre du recul, froidement, pour évaluer les conséquences vitales ou essentielles derrière les mots. Ecarter le piège de la complexité, ne pas se laisser fourvoyer par la technicité. Forcer la connaissance à livrer tous ses savoirs sans se laisser éblouir par le blanc. Traquer l'incohérence, violer le non-dit et le sous-entendu. A chaque nouvelle phrase, ne pas se laisser bercer, les mots inconnus et exotiques endorment si facilement.

S'obstiner pour grimper jusqu'au sommet, dessiner son propre panorama.

Et puis…et puis rien.

Un point de vue cerné de brouillard. Retour à la case départ. Aux questions sans réponse, aux angoisses sans fond, désarmée de nouveau face à l'invisible sans visage, qui s'acharne à rester dans l'ombre pour mieux disperser les forces.

 

Et puis le silence.

Dans ce moment éphémère et fragile, dans ce moment où le cerveau se retire comme une vague qui reflue parce qu'il a rempli son office, avant que le ventre ne se réveille et ne recommence à envahir tout  l'intérieur ; dans cet instant apaisé où je ne suis plus ni logique ni instinct, prendre mon stylo, et écrire. Griffer à la va-vite le papier avant que la peur ne revienne me bâillonner.

Et à petit pas silencieux et feutrés pour ne pas réveiller le monstre, me glisser jusqu'aux tunnels et chuchoter.

Je ne sais pas. Mais je suis toujours là.

 

Et puis l'isolement.

Fermer soigneusement tous les tunnels. La lame de fond qui monte, emporte tout sur son passage. La colère qui dépose son capharnaüm au milieu du silence. Une humeur à s'assourdir dans du Linkin Park.  L'orage qui gronde, étouffe tout autour de lui. D'abord comme un roulement dans le lointain qui tend les muscles et scelle les mâchoires. Mais qui monte, monte encore. Qui se met à rugir, jusqu'à exploser de rage. A frapper encore et encore sur ce putain de monstre qui reste bien planqué. Affronter l'ennemi invisible, l'arracher à son trou glauque et lui faire rendre son venin en l'étripant. Le battre jusqu'à le crever, hurler jusqu'à le faire imploser. Ne plus être que ce poing fermé qui frappe, ces jambes qui fouettent, cette violence sauvage qui s'écrase contre les murs jusqu'à les faire trembler. Ne plus être cette balle de ping-pong que se renvoient ses foutus pieds nickelés. Réagir, démolir l'impuissance, l'attente, l'incertitude. Foudroyer tout ce qui m'entoure, appliquer la politique de la terre brûlée. Rassembler tous les fardeaux accessoires qui trainent dans mes pattes en un paquet bien ficelé et le foutre au feu. Prendre à la gorge et serrer. Tirer pour tuer, et vaincre. Faire le vide.

 

Et puis le retour.

Me rouler en boule, les mains sur les oreilles, obliger la vague à refluer avant qu'elle ne s'installe et ne m'empoisonne à son tour. Avant qu'elle ne me détruise faute d'ennemi à viser. Poing recroquevillé sur lui-même maintenant. Fermée et menaçante comme un porc épic. Seule la solitude peut enlever les épines une par une avec la patience d'une pince à épiler.

M'enfermer dans mon terrier. Laisser l'indifférence du silence me désarmer. Me ramener à moi, au milieu de cette cellule. Vidée, épuisée, mais revenue. M'asseoir sur le sol froid, m'appuyer sur le mur, les yeux fermés. Renouer avec les mots et la lumière.

Et puis rouvrir les tunnels, maintenant que je peux leur répondre sans blesser. Laisser le ventre reprendre les rênes, se nouer et se verrouiller, commander le reste du corps, son souffle saccadé et ses mouvements heurtés.

 

Mais pas que. Parce que la colère a laissé une traînée d'écume derrière elle. Parce que la peur n'est plus seul maître à bord. Tenir les deux en laisse bien serrée, avec muselière. Fragile équilibre. Balance épuisante.

Mais maintenant je peux enfin rentrer chez moi.  Pour les trois petites mains qui se tendent à travers les barreaux. Qui ne doivent pas voir l'ombre du monstre qui plane dans ma tête.

 

Reprendre ma place, tenir mon rôle.

Me rouvrir au monde. Faire chanter les crocodiles et tracer des chemins. Apprivoiser des origamis et enfouir le nez dans un bouquet de roses. Remettre mes oreilles magiques et éclater de rire.

 

Et puisque le combat doit se poursuivre en aveugle, laisser le corps tout entier dans le brasier.

Sauf le cœur. 

  • secouée. j'peux pas bien dire. J'ai envie de dire "putain". ça me fait... je peux pas dire. merci d'avoir livré ça.

    · Il y a plus de 8 ans ·
    248407193 78b215b423

    ellis

    • Merci de l'avoir reçu. Du coup ce n'est pas perdu.

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Ananas

      carouille

    • de rien. et puis, rien ne se perd jamais ;)

      · Il y a plus de 8 ans ·
      248407193 78b215b423

      ellis

    • ;) non, tout se transforme. la preuve ;))

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Ananas

      carouille

  • wahou... Tu m'as happée ! J'étais avec toi, dans ta tête, ton ventre en te lisant. Tous les combats ont un jour un armistice. Le tien se rapproche...

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Yeza 3

    Yeza Ahem

    • Merci Yeza. Oui, c'était une journée difficile, mais maintenant cela va beaucoup mieux. L'effet thérapeutique de l'écriture et des tunnels mélangés ;)

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Ananas

      carouille

    • Tant mieux. En plus, ce qui te fait du bien au cœur nous donne du plaisir à le lire : parfait ;)

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Yeza 3

      Yeza Ahem

    • ;) promis, le prochain sera beaucoup moins poignant ;) mais tu sais qu'en écrivant ton ratel m'a trotté dans la tête !?! Je trouve qu'il collait bien à la situation !! ;))

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Ananas

      carouille

    • Son côté sauvage, déterminé, carnassier, me !?!

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Yeza 3

      Yeza Ahem

    • oups : "même"

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Yeza 3

      Yeza Ahem

    • Oui, exactement ! Je me disais qu'avec Ratel-Josh pour bouffer le monstre, ça m'aurait bien aidée :)) A défaut, je me suis transformée en ersatz de ratel moi-même, mais je te rassure, seulement un petit moment !! ;)))))

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Ananas

      carouille

  • Ces jolies petites mains vont te donner la force de remporter ce challenge, , d'apprivoiser cette peur , et tu gagneras haut la main, douces pensées à toi

    · Il y a plus de 8 ans ·
    W

    marielesmots

    • Merci Marielesmots ;) Oui, c'est dingue comme ces petites mains qui te pompent toute ton énergie peuvent te donner comme force, n'est-ce pas ? Merci, une fois de plus, de ton passage chez moi ;)

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Ananas

      carouille

  • Parce qu'il y a dans tes mots..des échos..
    Parce qu'il faut se battre mais apprendre aussi à se laisser aller, lâcher les vannes pour ne pas imploser..
    Parce qu'il y a des oreilles magiques :)
    Parce qu'il y a une jumelle quelque part et un ours (grincheux parfois)
    Parce qu'il y a toutes ces petites choses...parce que ce sont des armes, il y aura KO mais ce ne sera pas toi !
    Et il y a les rires et le coeur et ça, ça ne changera pas !! grrr grrr

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Ade wlw  7x7

    ade

    • T'oublie pas ton bonnet, hein ?? ;)

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Ananas

      carouille

    • Nan ! je n'oublie pas ah ah :))

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Ade wlw  7x7

      ade

  • Tu nous fais exploser Carouille. T’es toujours là et le resteras parce que la peur tu vas l’apprivoiser. T’as intérêt. Parce que des petites mains sont autour de toi, des pensées avec un coeur gros comme t’as jamais vu au dessus de toi …et des papillons aussi.

    · Il y a plus de 8 ans ·
    479860267

    erge

    • Alors il faut pas exploser, parce que je serais bien embêtée après !! J'aurai plus tout ça !

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Ananas

      carouille

    • OK on met les gants et on combat !

      · Il y a plus de 8 ans ·
      479860267

      erge

    • Tu vas voir c'est jouissif ! Après tu pourras plus les enlever, c'est addictif !! Tu voudras tout faire avec !! ;)))

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Ananas

      carouille

    • Ok ou KO comme tu veux ! On y va pour le premier ! Ok ?

      · Il y a plus de 8 ans ·
      479860267

      erge

    • Ben oui, KO c'est l'autre en face, c'est pas nous !

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Ananas

      carouille

    • OK :)))

      · Il y a plus de 8 ans ·
      479860267

      erge

Signaler ce texte