La planète où c'est tous les jours Lundi matin
Pierre De Gerville
C'est lundi matin. En fait, c'est tous les jours lundi matin, sur cette planète lointaine. D'ailleurs, elle s'appelle la Planète Où C'Est Tous Les Jours Lundi Matin. L'astronaute qui l'a découverte voulait rentrer vite chez lui et n'avait plus le temps d'imaginer des noms poétiques, comme Saturne, Vénus ou Pluton.
Là-bas, les gens sont toujours fatigués, tristes et ronchons : personne n'aime le lundi matin et un lundi matin par jour, ça fait trop. On se presse d'aller au travail et on oublie toujours quelque chose chez soi. Demandez à quelqu'un si ça va, il répond : « Comme un lundi. » En plus, il ne fait jamais nuit, puisque c'est tout le temps le (lundi) matin.
C'est une planète très bizarre : elle est plate comme une pièce de deux euros. Elle a un côté pile, toujours au soleil, où tout le monde habite. Un côté face, toujours à l'ombre. Personne n'y est jamais allé de peur de tomber dans le vide. Et puis, un côté tout sombre, ça ne fait pas très envie.
Sur cette planète vit un petit garçon qui s'appelle Ali. Ali va tout le temps à l'Ecole. Il oublie tout le temps son manteau, comme tous les lundis matins.
Mais Ali est un garçon très spécial. Il aime les aliments qui sentent mauvais. Comme le chou. Ou les brocolis. Ou les andouilles. Ou le camembert. Il aime écouter de la trompette. Et aussi, il aime faire du vélo. Mais surtout, surtout, Ali est un enfant TRES curieux.
Ce lundi matin-là, il part pour l'école. Il emporte un sandwich chou – brocoli – andouille – camembert, écoute un air de trompette et enfourche son vélo. Sa planète est un peu penchée et sa maison du bon côté : il n'a qu'à se laisser descendre. Bientôt, le vent siffle à ses oreilles. Il va très, très vite. Trop vite. Et soudain, il s'aperçoit que ses freins sont cassés.
Il traverse la planète comme une fusée. Il arrive là où personne n'a jamais osé aller : au bord du vide.
Mais juste avant qu'il ne tombe au milieu des étoiles, une grosse chose se met en travers de sa route : et CRASH ! Il s'écrase dessus.
« Aïe ! », crie la chose.
La chose est un coffre à pattes qui parle et qui s'appelle Jean-Pat le Coffre à Pattes. Jean-Pat aime beaucoup les pâtes, surtout à la sauce tomate, mais se sent seul.
« Veux-tu être ami avec moi, demande-t-il à Ali. Je suis tout seul.
- D'accord, dit Ali.
- Monte, je t'emmène de l'autre côté. »
Ali saute dans le coffre qui enjambe le rebord de la planète avec ses longues pattes. Les voilà sur le côté face. Là, c'est toujours dimanche soir. Au début, Ali croit qu'il n'y a personne. Et puis, plein de lumières s'allument et il s'aperçoit que le côté face est habité par le peuple des lampadaires. Ils sont très gentils. Il y a des lampadaires électriques et des vieux lampadaires à gaz conteurs d'histoires. Comme c'est toujours dimanche soir, ils sont très décontractés, parce qu'ils n'ont rien à faire. Mais à force, ils s'ennuient et aimeraient bien travailler un peu. Alors Ali a une idée :
«Chaque jour, Jean-Pat le Coffre à Pattes emmènera quelques lampadaires là où c'est toujours Lundi matin et ramènera quelques habitants là où c'est toujours Dimanche soir. Comme ça, les lampadaires travailleront un peu et ne s'ennuieront plus, et les habitants du côté pile pourront enfin se reposer. Et Jean-Pat aura plein d'amis.»
Aussitôt dit, aussitôt fait. La planète s'appelle maintenant la Planète Où C'Est Tous Les Jours Lundi Matin Mais Aussi Des Fois Dimanche Soir, et Jean-Pat le Coffre à Pattes est devenu Jean-Pot le Coffre à Potes.