La poche à chat.(1)

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J'ai failli mourir, mais quand j'ai vu l'heure, je me suis vite retiré du temps.

Sur notre île, le business de la vente à emporter est chronométré, alors que le temps de nos loisirs s'adapte en fonction de celui de chacun. Le marchand de glaces passe à 15 heures tapantes et celui des sardines dans la demi-heure qui suit. Pour les invites des apéros dînatoires, ce sont plus des horaires de fourchettes, entre 18 et 20 heures selon la météo et les retours de plage.

Le vendredi, c'est le jour de passage du poisson. Betty l'achète à Patrick Des Cheveux En Arrière, au cul de son camion. Dans sa boutique ambulante, pas de loup sableux ou de dorade royale, juste du petit qui frétille, de celui qui se déplace en banc pour finir généralement emboîté sur des étales de supermarché : de la sardine oui, mais de la sardine fraîche de Saint-Gilles-croix-de-vie, de celle qui rend les femmes matures et les maris jaloux, selon les Mathieu.

Ce vendredi-là, Betty avait rendez-vous en milieu d'après-midi chez son Plasticien pour une injection.

- Tu pourras prendre au camion quelques sardines pour ce soir mon chéri, j'ai invité les Mathieu !

- Faut prendre lesquelles ?

- Comment ça lesquelles ? Des Saint-Gilles évidement !

- Je veux dire en taille... quelle grosseur ?

- Y a pas 36 tailles en sardines ! C'est pas des godasses !


L'horloge de la Box indiquait 15H29 quand me parvenait les premiers coups de klaxons du camion. Avec l'éloignement du retentissement, 3 virages et 17 platanes, j'estimais qu'il me restait encore 5 bonnes minutes avant qu'il ne stationne devant la maison, juste assez de temps pour me faire les dents. J'aime bien me les laver avant d'entreprendre une quelconque action, il me semble que cela participe à sa réussite.

- Tut tut tut!

- Oui j'arrive !

- Tut tut tut !

- Oh la la ! Y a pas d'quoi fouetter une crème Mont-Blanc ! J'arrive !

Un homme, le Patrick Machin, fortement bâtit derrière son comptoir aménagé et le moteur en route, semblait pinailler d'impatience.

- Elle est pas là la p'tite dame ? Elle est allée se faire graler ?

- Graler ?

- Bronzer ! qu'ça veut dire en patois Vendéen !

- Euh non ! La p'tite dame elle est partie chez le notaire ! (Je ne dis jamais à quiconque que Betty va à des rendez-vous de mise en beauté, je préfère garder son secret de jouvence pour moi seul).

- Rien d'grave ?

- Non... juste une cousine éloignée qui lui lègue un vieux tapis pleine laine de Mongolie ! Elle hésite à le prendre parce qu'elle dit que ça peut nous rapporter des mites et qu'on a pas besoin de ça en ce moment, qu'avec nos 2 chats Persans on a assez de puces. (J'aurai pu inventer une autre histoire mais celle-ci m'est sorti de la bouche comme une brioche du four).

- Ah ! Bon alors, combien qu'on en met pour la pt'ite dame aujourd'hui ?

- Ben je sais pas... c'est pour 5 ! On a ce soir les Mathieu !

- 30 alors !

- 30 poissons ? ( Je ne sais pourquoi mais je m'imaginais avec 15 paires de chaussures en plus, et Betty me dire : y a plus assez de place dans mon dressing, faut m'rajouter des étagères ! )

- C'est du p'tit ! Et puis si on compte bien, ça fait que 6 chacun quand on en a 30 en tout !

- Ben soyons fous... allons-y pour 35 !

- 35, c'est 7 par personne !

- 7 petits chacun c'est mieux que 6 moins que rien, non ? (Parfois je m'étonne de mes réponses. Elles ne semblent pas correspondre à ma pensée mais elles mettent des points finaux à des doutes.)

L'homme prit un sac et sortit une après une les sardines d'une méga glacière tout en marmonnant dans sa tête. N'ayant rien d'autre à nous dire et pour apaiser ce silence mental, j'intervenais.

- Et sinon, on les fait cuire comment ?

- 18, 19 … à la pochacha !

- A la quoi ?

- 24, 25... à la planche à chat ! 26, 27, 28... ou alors à la poêle !

- Oui, ça j'en ai une !

- 33, 34 et 35 qui nous font... pop pop pop... (L'homme jeta le sac sur une sorte de balance ménagère)... pop pop pop... 9 euros 50 !

Je lui tendis un billet de 10 et comme j'avais les dents blanches et lui les mains poisseuses, j'ajoutais : Gardez tout !

- Merci M'ssieur ! Et le bonjour à la p'tite dame !

- Oui, à la p'tite dame ! Merci !


Le petit camion disparu à 15h41 précisément, laissant retentir derrière lui et jusqu'au pâté de maisons suivant, soit 11 platanes et 6 gendarmes, ses 3 coups de klaxons rituels. Déposant mon sac de marchandise au réfrigérateur, je repensais à cette poche à chat. Était-ce un mode de cuisson, un ustensile ou une expression typiquement Vendéenne, ce fameux ventrachoux ? Était-ce un recyclage animal au même titre que l'est la gourde en peau de vache d'un berger Basque, cette outre ? Betty avait-elle une poche à chat planquée au fond d'un placard de la cuisine ou sous notre lit ?

Inquiet et afin d'améliorer mes connaissances gastronomiques, je fonçais sur mon ordinateur et tapais dans la fenêtre de mon internet, les mots clés suivant :

Poche, chat, poche à chat, poche à matou, pochacha

J'appuyais sur entrée. Le correcteur orthographique de Google m'indiqua : Essayez avec l'orthographe La Plancha

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