La porte des villes
Ismail Mohamed C.
Ce matin là avait commencé comme tous les autres. Je m’éveillais aux sons d’une nature que je savais artificielle ; mon tuteur me listait les activités du jour et mes écrans diffusaient un lever de soleil virtuel. Ravis et presque blasé de ce quotidien, j’essayais de m’accrocher à cette idée saugrenue qui me vient toujours en rêve : partir à l’extérieur, je veux dire dans le vrai monde, et voir de près cette lumière du soleil qu’on admire que depuis les promenades et les serres.
Peu après ma toilette, je me rendis dans la cuisine où maman finissait de faire le repas du matin.
- Maman, est-ce que je peux sortir ?
- Bien-sur mon ange, mais seulement après tes exercices ; et surtout tu ne vas pas te salir comme hier.
- Mais maman, tu n’as pas compris ! je veux dire sortir là-haut, dans le vrai monde…
- Tu veux dire l’ancien monde ? mais tu ne parles pas sérieusement mon chéri !
On aurait dit que ma mère venait d’entendre sonner le glas, quand tout à coup mon père entra, prêt à partir au travail.
- Ai-je entendu « partir dans l’ancien monde » ?
- Oui, ton fils veut aller dans l’ancien monde aujourd’hui !
- C’est vrai mon grand, tu veux voir le monde d’où vient ton vieux père ?
- Bah voyons ! Tu ne vas pas commencer avec cette vieille rengaine !
- Oh ! mais tu ne disais pas ça à tes camarades alors…
- Papa, tu veux dire que tu es né là-haut ?
- Oui mon grand ! Et même que j’y ai grandi. Ce n’est qu’après avoir rencontré ta mère que je suis devenu un numérique moi aussi.
- Comment ça s’est passé, pourquoi on ne m’a jamais parlé de ça ?
- Tu poses trop de questions… Mais je vais faire mieux que te répondre : je vais te montrer le secret de notre famille ; le plus grand et le plus fabuleux des trésors.
Mon père sortit son assistant pour donner de nouvelles instructions à ses employés. Nous allions partir dans le monde d’en-haut après mon repas. Maman n’était pas rassurée et commençait déjà à donner milles instructions au tuteur.
C’est ainsi que commença le voyage et son histoire. « Au commencement était la ville, grouillante et polluée… ». Mon père me conta comment il découvrit la vieille cabine abandonnée dans le champ de son grand-père et comment il se rendit la première fois dans la ville souterraine tandis que nous nous rendions aux transporteurs de PANAMANOVA. De là, nous devions prendre un transporteur pour LUNEAVILLE, première cité souterraine et grande métropole numérique. Durant tout ce trajet, environ une heure, il me parla de sa rencontre avec maman, leurs rendez-vous, sa rencontre avec les autres « jeunes souterrains » et comment il devint l’un des leurs. Puis, pendant toute l’ascension, il me raconta toute mon histoire, de sa rencontre avec mes grands-parents maternels à ma naissance, puis jusqu’à la mort de grand-père Paul.
Arrivé au niveau 10 il me dit « c’est là que nous nous arrêtons mon grand ! » ; et nous descendîmes. C’était le niveau des cimetières familiaux et aussi celui de la première colonie autonome de LUNEAVILLE. Mon tuteur crut bon me faire réviser un peu d’histoire mais papa l’arrêta net, en lui indiquant que nous étions des explorateurs, pas des historiens.
LUNEAVILLE était une cité ancienne, bâtie en plusieurs générations et sur des niveaux dont l’architecture évoluait avec les technologies. Les premiers niveaux, devenus obsolètes, servaient de cimetières aux riches familles. C’est comme ça que mes grands parents maternels ont profité pour acheter le bloc qui sert de cimetière familial. Ce bloc est loin en profondeur de la cité et pour s’y rendre nous avons pris les tubes, anciens transporteurs « intra cité ». C’était la première fois que j’empruntais un transporteur à « automate ». Il y’a plusieurs véhicules liés et ils s’arrêtent à toutes les stations. Arrivés au terminus du tube, papa a ensuite sorti son assistant de la poche puis a comme qui dirait pianoté dessus. Je n’ai pas bien compris ce mode de communication, mais aussitôt un plan 3D est sortit et il s’est retourné vers nous en disant de ne pas trainer et de surtout faire attention aux portes dérobées.
- Papa, pourquoi tu pianotais sur ton assistant ?
- C’est une ancienne façon de communiquer mon grand ; on utilise un clavier virtuel.
- Et c’est quoi un clavier virtuel ?
- Je t’expliquerais ça plus tard. Pour l’instant il faut retrouver le caveau familial.
On chemina encore quelques dizaines de mètres dans les dédales du cimetière puis on arriva devant la porte du caveau. Je l’avais déjà vu en projection, mais j’avais jamais remarqué à quel point le portail était immense. Dessus, en lettre d’or, était écrit la phrase « JE SUIS L’ENTRE DEUX MONDES ET LA PORTE DU SALUT ». Papa se mit devant la porte et, à nouveau, pianota sur son assistant. La porte ne s’ouvrit pas mais on entendit un lord bruit de vérins puis une trappe s’ouvrit, affichant un sphérocode. Il y plongea ses mains et pianota quelques instants, sans bouger aucun bloc, puis activa le sommet comme s’il avait fait une combinaison. On vit alors une porte se sur-dessiner sur le portail avant de s’ouvrir.
- On peut dire tout ce que l’on veut sur ton grand-père Paul mais c’était un génie !
- C’est un passage secret papa ?
- Tout à fait mon grand ! C’est le grand secret de notre famille. Et tu en es le gardien désormais.
On traversa la porte puis il dit « sésame, ferme-toi ! ». On vit la porte se refermer et ensuite le bruit des vérins retentit. Au bout du sas, on s’arrêtât de nouveau et il se fit identifier puis une lourde porte s’ouvrit sur une vaste salle avec une grande cabine en plein milieu. Devant nous, face à la cabine, il y avait un pupitre avec une série de touches et de petits écrans d’un autre âge.
C’est ainsi que je découvris la porte des villes, secret des mondes numériques, et comment mon père et mon grand-père sont devenus les gardiens du PONT entre les villes modernes, numériques, et l’ancien monde redevenu rural et « Bio ».