La potence

Mathilde Régnier

Résultat d'un Devoir Maison sur le thème du meurtre.

Les cris de la foule couvraient les hurlements déchirants de la jeune femme, qui se débattait en vain de la poigne des deux soldats. Du sang gouttait de son visage pour aller s'échouer sur son unique vêtement, une chemise auparavant blanche.

Elle avait dû être très belle, pensa Alaric, du haut de son échafaud.

Les soldats l'escortèrent jusqu'au pied de la potence. À partir d'ici, elle était sous la responsabilité du bourreau. Ou de l'exécuteur des hautes œuvres, comme ils se plaisaient à l'appeler.

Alaric l'empoigna par l'épaule, et la hissa sur son lieu de mort, à la vue de tous. Le peuple s'enthousiasma. Dans un élan de sauvagerie animale, poussée par son instinct de survie, la jeune femme eu un brusque sursaut qui la poussa loin du bourreau. Malheureusement pour elle, le-dit bourreau avait déjà plusieurs années d'expérience, et avait eu affaire à des hommes doublement plus corpulent que lui même. Il eut donc vite fait de la rattraper, et sans plus attendre, la plaça sur la croix de Saint-André. Il lui lia d'abord les mains, pour l'empêcher de se relever, puis les pieds, la taille, et finalement la tête, au niveau du front. Ses bras, ses jambes et sa cage thoracique n'avaient ainsi donc aucun support.

L'exécuteur empoigna la barre de fer. Réclamant vengeance, la foule s'enhardit. La jeune femme avait été condamnée à mort trois semaines plus tôt, pour avoir cogné son ventre, portant depuis huit mois un enfant, contre un mur, jusqu'à ce que le bébé sorte, écrabouillé. ''Je ne pouvais pas m'en occuper'' et ''Je n'ai pas les moyens de prendre soin d'un sixième enfant'' avaient été ses principaux arguments durant le procès. Apparemment, le Juge ne les avait pas considéré assez significatifs pour justifier l'assassinat.

Adressant un dernier signe de croix vers le ciel, Alaric leva la barre au-dessus du bras gauche de la suppliciée. Le fer tomba dans un craquement qui surplomba la place principale. Puis, la foule reprit ses acclamations, et la meurtrière recommença ses hurlements, cette fois-ci de douleur, et non de peur. C'était un moment béni par le bourreau. Quand la victime acceptait son sort, et remplaçait ses cris d'horreurs par des cris de souffrance. Sans savoir pourquoi, cela enlevait de la culpabilité à son cœur.

Le travail reprit : bras droit, avant-bras gauche, avant-bras droit, tibia gauche, tibia droit, fémur gauche, fémur droit. On jeta ensuite un verre d'eau à la figure de la torturée pour la sortir de son évanouissement. Puis, le pire commença : la cage thoracique. Chacune des côtes devait être brisée, une par une. Le tortionnaire s'enferma alors dans une bulle de concentration, loin des rugissements des villageois, afin de pouvoir frapper chacun de ces os avec force et précision. Les craquements détonnaient, faisant résonner dans le village une mélodie régulière, comme le tic-tac d'une horloge, un décompte avant l'heure fatidique.

Enfin, un silence complet se fit entendre. La foule s'était tue, la jeune femme s'était ré- évanouit, le bourreau contemplait son œuvre. Si on tendait l'oreille, on pouvait croire entendre, quelque part vers le fond de la place, cinq petites voix sangloter, telle une quintette symphonique.


***


L'attroupement se dispersa, retournant à ses occupations, tandis qu'Alaric montait le corps désarticulé jusqu'à la roue, où il l'attacha, prenant bien soin d'orienter la face vers le ciel, pour lui permettre un dernier salut. Les corbeaux se chargeraient du reste.

Alors qu'il rangeait le matériel, maintenant seul sur l'immense espace bétonné, il laissa ses pensées prendre le dessus. Voilà sept ans qu'il avait offert ses services à la municipalité.

Offert était un bien grand mot, puisqu'il n'avait en effet pas eu beaucoup de choix. Durant ses jeunes années, il s'était adonné à des activités de contrefaçon -faux monnayage, pour être précis. L'ancien exécuteur des hautes œuvres venant de mourir, la municipalité lui avait laissé un choix : subir la potence, ou faire subir la potence. Le choix n'avait pas été très difficile à prendre.

Alaric repensa à l'exécution qu'il venait d'accomplir. Voilà bien longtemps qu'il avait cessé de ressentir de la culpabilité. Il se l'était promis. L'exécuteur avait fini par se convaincre qu'il ne faisait qu'accomplir la volonté de Dieu. Pourtant, aujourd'hui, il avait la boule à l'estomac. Ayant vécu sans présence maternelle, il repensa soudainement aux cinq marmots qui attendraient inutilement que leur mère apporte la soupe sur la table du soir. Qu'allaient- ils faire ? Leur père était-il seulement en vie ? Les souvenirs l'assaillirent, et les larmes lui montèrent aux yeux. Non, il n'était tout de même pas sur le point de chialer après une exécution tout de même ? Il en avait fait des centaines, d'exécutions. Des femmes, des vieillards, il en avait déjà tué des dizaines !

J'accomplis la volonté de Dieu, j'accomplis la volonté de Dieu, ne cessait de se répéter Alaric.

La volonté de Dieu ou la volonté du Juge ?

Tu as répondu à cette question il y a des années, cesse de te tourmenter avec cela !

Et pourtant, l'insigne sur sa manche représentait une échelle et une potence, symboles de la justice, et non de la religion. Tuer des meurtriers, n'était-ce pas un des combles les plus présents dans ce monde ? Ça paraissait logique, mais cela l'était-il vraiment ? Les questions tourbillonnaient dans sa tête, tornade emportant ses plus profondes convictions. Son enfance lui revenait en mémoire, ses débuts de voyou, sa toute première exécution, toutes ces cicatrices qu'il croyait guéries se ré-ouvraient une par une, déchirant chaque fois un peu plus son cœur. La tristesse, la rage, la compassion et peut-être un peu de remords se mêlaient à cette tempête enflammée. Les visages de ses victimes défilaient dans son esprit, horrifiés, suppliants, apeurés. La machine à tuer cédait sa place à l'homme.

Un mouvement au-dessus de sa tête le sortit de ce cyclone diabolique. La femme s'était réveillée.

Le bourreau chassa ses larmes d'un revers de la main, et fit de même avec ses pensées morbides. Mécaniquement, il finit de ranger les installations, qu'il embarqua sur un chariot. Sans un ultime regard pour la jeune femme, il lança son cheval au trot, non sans avoir fait une encoche sur le poteau de la potence.

Une 666ème pour sa carrière.

Signaler ce texte