La pression monte

merlin

Un monde parfait
Dans un monde parfait, lorsque votre cafetière expresso tombe en panne, le type qui vous reçoit au SAV du grand magasin vous accueille d'un large sourire surligné d'un "bonjour, monsieur" codifié par une direction tatillonne. Il est organisé, rapide, professionnel. Cet homme-là devance toutes vos questions. Il est même capable de vous donner à l'avance le jour de retour de votre appareil dûment réparé, il s'engage aussi à vous avertir par SMS si votre cher percolateur était diponible plus tôt. En cas de retard ? "Mais il n'y en a jamais, monsieur"

Ce monde m'était promis sur la facture d'achat du-dit percolateur. Je n'y croyais pas vraiment. J'avais bien raison.

5 novembre 2007
Mon cher percolateur est en carafe. Je le sentais venir depuis quelques semaines, la pression faiblissait jour après jour, la bête fumait, crachotait comme un vieux fer à vapeur. En bon père de famille, j'avais pris soin de suivre scrupuleusement les recommandations du fabriquant, un détartrage tous les mois, et ce dès le premier mois.
Par acquis de conscience, je fis malgré tout plusieurs détartrage d'affilé ; je n'allais quand même pas déranger le SAV et faire marcher la garantie au premier désagrément venu. Je démontai la buse de l'appareil, nettoyai, brossai, vérifiai. Je remarquai que lorsque j'enlevai la buse, la pression du jet d'eau était normale. Il me sembla donc évident que le problème de cette machine provenait d'une buse défectueuse et non d'un banal encrassement.

Le jour où je pointai ma fraise au SAV avec mon percolateur familiale sous le bras, je constatai à quel point l'enver du décor était nettement moins reluisant que la surface de vente. Les sources de lumières étaient faiblardes et peu nombreuses, les murs étaient couverts de crasse, il faisait froid et les employés avaient remisé le beau costume rouge et la cravate au vestiaire. Ils devaient les mettre le dimanche par aller au stade. La surface du comptoir avait été rafistolée avec les moyens du bord, un angle avait même été renforcé au gafeur. Et puis il y avait ce panneau, plus exactement cette feuille de papier sur laquelle était écrit au marqueur d'une écriture à peine lisible 

"Suite à une panne informatique, le Service-Après-Vente est fermé. Revenir demain"

C'est à dire que lorsque l'ordinateur du SAV est en panne, et bien le monde s'arrête. Je repartis avec ma machine expresso qui me paraissait tout à coup bien plus lourde qu'à l'aller.

Deux tonnes
Le lendemain, ma cafetière de deux tonnes et moi, on s'est retrouvé face au même panneau, exactement au même endroit. Je décidai de m'enquérir de la situation au comptoir d'à côté, celui du Retrait des Achats où l'ordinateur ronronnait, confortablement posé sur son pupitre. Je tentai bien une approche sans faire la queue, mais la jeune femme blonde aux cheveux gras (je précise cet aspect des choses à l'attention d'une nouvelle lectrice que je ne voudrais surtout pas décevoir) refusa catégoriquement de me répondre, conforté dans son choix par la dizaine de vieux coincés qui attendaient qu'on leur livre leur écran plasma ou une yaourtière.
Après une demie heure d'attente, ce fut mon tour. Elle me regarda avec sa paupière lourde, puis désigna le panneau qu'elle me lut : "Suite à une panne informatique, le SAV est fermé. Revenir demain" Après quoi elle se tourna vers ses collègues en ricanant : "Y en a, y z'ont vraiment du temps à perdre ?" Puis elle daigna enfin lever ses paupières pour me regarder de ses yeux, elle haussa les épaules : "Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise de plus ?"

L'oeil du dragon
A la vitesse d'un Samouraï, j'enfonçai deux doigts, les plus gros que j'avais, dans les narines de la blonde et...
Non. Non, évidemment je n'ai pas fait ça. Mais je l'ai pensé si fort. Elle a du l'entendre. Enfin j'espère. J'ai simplement précisé que ce panneau était déjà présent la veille, ainsi que moi et aussi ma machine en panne.

Quatre jours de suite je suis ainsi revenu. La blonde, dès qu'elle m'apercevait, disparaissait d'un coup dans la remise. Je vous entends déjà : "oui enfin quand même, il est un peu con l'auteur, il aurait pu téléphoner, non ?"

Essayez de les appeler, pour voir...

J'ai finalement pu leur confier ma bécane. L'homme qui me reçut était un véritable professionnel, sans la cravate toutefois. Il m'accueillit avec un large sourire surligné d'un "Bonjour, Monsieur" codifié par une direction tatillonne. Il était organisé, rapide, oui un vrai professionnel. Cet homme devança toutes mes questions, il fut même capable de me donner le jour de retour de mon appareil dûment réparé : "le 11 décembre, Monsieur". Il s'engagea même à m'avertir par SMS si mon cher percolateur était diponible plus tôt. En cas de retard ? Non, de cela il ne parla pas.

SMS, mon ami
Aujourd'hui 29 novembre, un SMS m'annonça que ma machine espresso était disponible au SAV du grand magasin. Formidable le monde moderne. Ces types réparent plus vite que leur ombre.

Sourire codifié : "Je tape le rapport, monsieur, je vais pouvoir vous dire qu'elle était la panne" Diagnostic : détartrage, éssai, retour au client.
Je regarde le type, tel Numéro 6 faisant face à Numéro 2 : "sans déconner, ils me prendraient pour une truffe vos réparateurs ? Je vous pari un billet que vous me revoyez demain avec cette machine !"

Essai
Une fois la machine déballée, posée à sa place sur le plan de travail de la cuisine, je remplis le réservoir afin de faire un essai. Je mis un certain temps à m'apercevoir que l'eau que je versais se répandait aussitôt tout autour de la machine : "Merde ! C'est quoi encore ?"

Ces abrutis avaient dû faire tomber le réservoir, l'angle avant gauche du bidon en plexiglass était brisé.

Pari gagné
J'ai déjà gagné mon billet virtuel. Le type me reçut, le sourire en moins, la bienveillance en plus. "Il n' y en a plus en stock, mais je vais vous trouver un autre réservoir dans une machine neuve".
Super.

Triple buse
18h30, le moteur de ma machine expresso ronronne, je penche la tête pour voir ce qu'il se passe. Rien : quelques gouttes de café s'écrasent mollement dans la tasse. Evidemment, c'est la buse qui est défectueuse.
J'ai raté ma vocation...

Signaler ce texte