La question de l'Eden

Camille Agard

Il y a dans l'union amoureuse un sentiment de satiété, parfois, que je n'explique que comme ça.

Il était une fois, un garçon qui avait décidé de creuser un trou pour chaque frustration que lui porterait la vie. Un minuscule trou. Une infime poignée de terre prélevée au sol qu'il dispersait au vent. Voyant ainsi la poussière s'éloigner de lui, il sentait cette frustration s'effacer et son coeur s'alléger.
Mais le temps passait, et le trou grandissait parce que les manques et les colères ne disparaissent jamais vraiment. Il commençait à comprendre que les envolées de terre ne résoudraient pas ses tracas.

Par hasard, un soir, il vit un monticule de terre à l'horizon. Une motte aussi importante que le trou qu'il avait mis tant d'années à construire. Intrigué, il vint jusqu'à celle-ci et vit en haut d'un escabeau, une fille qui déposait au sommet de la colline une infime poignée de terre prélevée au sol.
«Chaque fois que les choses que j'attendais ne sont pas arrivées, je suis venue ici pour empiler la poussière.» Dit-elle. «Aujourd'hui, je réalise que les humains ne sont définitivement pas fait pour s'accomplir pleinement, et qu'il y a chez eux un caractère insatiable.»

Voyant cela, le garçon prit la fille par la main et vint lui montrer ce qu'elle n'avait jamais pu distinguer à l'horizon, mais qui représentait aussi ses années de frustration. Chacun était stupéfait du comportement de l'autre, en ce sens qu'ils avaient engendré deux contraires, à la suite du même sentiment. Devant tant de différences, ils étaient enclin à se fâcher, mais ils eurent ensemble une meilleure idée. Pour rassasier l'insatiable, ils agiraient tous les deux.

Quand la fille pensait à ce garçon, elle allait cueillir le sommet de ses frustrations pour le déposer au fond du grand creux.
Quand le garçon pensait à la fille, il comblait ses frustrations passées en faisant la même chose.

Rapidement, leurs gestes se complétaient et leurs idées fusionnaient.
Soudain, il n'y eu plus rien. Le sol avait retrouvé une ligne parfaite et un équilibre simple. Plus de gouffre. Plus de montagne. Et le garçon et la fille n'étaient plus qu'un : un seul être accompli qui avait oublié les frustrations passées et qui vivait avec ses paradoxes librement.
Depuis cette rencontre, les gens se cherchent pour accéder à cet état que l'on nous a toujours vendu avec des pommes et des serpents. Mais les pommes et les serpents n'ont aucune influence : l'Eden revient à ceux qui savent s'unir.

  • J'me souviens l'avoir lu, et je n'ai pas commenté pour te dire à quel point, même si tu dois le savoir, ce texte est beau. J'aime l'histoire et tout ce qui s'en dégage.... Bref, bravo.

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Cat

    dreamcatcher

  • ah oui...

    un retour à " l'horizontale"... qui serait l'inverse du mythe de Sisyphe, roulant son rocher qui n'arrête pas de retomber --- une sorte de parabole sur l'insatisfaction....

    ;-)

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Tulip  avr  21  03

    rechab

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