La révolte d’une Écriture

izaborkine

A consommer sans modération !

 Il est trop tard. Elle ne peut plus reculer. Toutes ces années où elle s'est défilée. Par le bas, par le haut, par toutes les ouvertures possibles. Une vraie couleuvre. A présent, elle est là, dans cet atelier d'écriture, décidée à vivre son désir, vraiment et pleinement. D'oublier toutes les excuses qui lui ont servi de paravent : pas le temps, pas le talent, pas l'envie parce qu'il pleut, qu'il mouille, que les grenouilles font des claquettes, que le stylo n'a plus d'encre, que la table est branlante comme sa confiance en elle. Elle a saisi à bras le corps l'opportunité d'un week-end découverte et la voilà lancée.

Nous sommes donc dans l'antre de la création, un loft lumineux au fond d'une cour sombre. Un lieu où tout est possible. Le meilleur comme le pire. Des œuvres d'art côtoient une forêt de plantes vertes. Des canapés voluptueux appellent à l'indolence. Deux grandes tables en bois traversent l'espace. Ici, l'accouchement se fait avec ou sans douleur. Elle, elle a choisi de faire sans.

Elle vient une fois par semaine se confronter à sa paresse et à ses doutes. Oui, elle a quelques facilités. Toutefois, elle ne franchit jamais les limites de ce qu'elle sait faire. Elle reste dans la maîtrise des émotions. Elle ne s'aventure pas là où ça pourrait déraper, là où ça pourrait faire mal.

Aujourd'hui, elle est arrivée plus tôt pour avoir le temps de se décontracter après une journée de stress. Un thé l'attend. Elle en consomme beaucoup, du vert, du noir, du rouge. Elle pousse même le vice jusqu'à en boire sans théine. La maîtresse de maison l'accueille avec un large sourire. C'est le signe de ralliement. Maussaderies et soucis quotidiens restent au vestiaire avec les sacs, les portables et autre accessoire inutile.

Les apprentis écrivains débarquent au compte-goutte. Pas besoin de sonner, il n'y a qu'à pousser la lourde porte rouge. La sonnette, c'est pour les non initiés. Argos, le gardien centenaire de la maison, laisse échapper de temps en temps un son de corbeau cacochyme. Il n'a qu'une envie : que tout ce beau monde s'installe et que la partie commence afin de rejoindre son panier et dormir. Son lieu de prédilection est sous l'escalier, là où personne ne peut venir le déranger, le caresser, lui parler comme à un demeuré. Pas bête, l'animal.  

Le moment de créer arrive. Chacun s'assied à une place, presque définie. Les habitudes semblent en rassurer certains. Le silence se fait progressivement. La dizaine de stylos est prête à en découdre avec la nouvelle thématique : « La Serpillière ». Il y a des rires, des chuchotements, des soupirs même. Des regards complices se croisent. Puis, les visages piquent du nez sur la page blanche.

Elle, elle a l'air pensif. Elle contemple les lignes de sa main qui s'entrelacent et de décroisent. Sa plume ne décolle pas. Sa concentration joue les filles de l'air. Un manque d'inspiration, un bruit qui la distrait, encore des excuses pour ne rien griffonner ? Au bout de quelques minutes, ses doigts s'agitent enfin, les mots commencent à rosir sa feuille. Elle aime écrire à l'encre rose sur du papier recyclé, souple et ramolli, car elle déteste quand la pointe du stylo accroche. Elle veut que tout soit lisse, sans aspérités.

Pour une fois, j'aimerais qu'elle aille au-delà de ses frontières, qu'elle déchire le rideau des apparences, qu'elle délaisse le superflu, qu'elle me bouscule, me sonde, me rature et puis qu'elle recommence. Qu'elle me façonne, m'étire, me sculpte, l'envie d'aller plus loin chevillée au cœur.

En aura-t-elle le courage ?

Non.

Elle a déjà terminé. Moins d'une heure s'est écoulée. Les autres planchent toujours, la tête dans les idées, le dictionnaire à portée de main. Elle, elle a encore rusé. Elle a choisi de rester sur des rails confortables sans penser une seconde à mes frustrations, à ma lassitude de ne pas être utilisée comme je le devrais, comme je le pourrais.  

Quand donc se décidera t-elle à vraiment plonger, à faire éclater son inconscient ?

Quand comprendra t-elle qu'Écrire, c'est être ENFIN libre ?

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