La route pour l'Algarve

timotheecharlie

Tout quitter, disparaître, prendre la route vers le sud, pour faire une rencontre inoubliable avec soi-même...

Timothée. Tout avait finalement commencé avec ce simple prénom, ces quelques lettres. Timothée. Tim, depuis toujours. 



Les paysages défilaient lentement, comme une goutte d'eau glissant le long d'une feuille. D'abord, le pays basque, et  ses vertes collines, sa lumière dorée ; Jake, personnage de Hemmingway dans Le Soleil se lève aussi me vient alors à l'esprit. Je m'imagine à sa place, faisant le voyage depuis Paris en train, jusqu'à Bayonne, partir pêcher la truite dans la montagne, avant d'aller aux férias de Pampelune. Mon esprit vagabonde, laissant la nuit tomber doucement, la chaude nuit de cette fin d'été, glisser délicieusement sur le monde.



Une fois à l'approche de Salamanque, je décide finalement de changer de route, de ne pas entrer au Portugal par le nord, mais plus au sud. Je n'ai jamais pris cette route et tant pis, puisque c'est la route qui m'attire. L'espace d'un instant, je me prends pour un Kerouac solitaire, moins l'alcool et les visions psychédéliques. Lentement, je contourne Salamanque, et entame ma descente vers le sud. Quelques étoiles, bravant la lumière de la pleine lune, restent avec moi dans la douceur du voyage. 



Avec les kilomètres, mon esprit se calme. Un banjo, une guitare folk et quelques notes de mandoline chantent dans l'habitacle. La vitre ouverte, malgré la vitesse du véhicule, laisse pénétrer la moiteur de la nuit, et laisse également s'envoler mes pensées. Le calme m'envahit. J'ai besoin de réapprendre à vivre, ou plutôt, de réapprendre à exister. 



J'ai tout quitté derrière moi. Une femme que j'aimais bien mais que je n'aimais plus depuis longtemps. Une maison froide, grande, vide, moderne. Alors qu'un immense lac se dresse sur ma gauche, dans lequel le reflet de la lune vient se tremper sans bruit, je me demande bien à quoi sert une maison lorsqu'on travail tellement qu'on n'y prend même plus un seul repas ?  Qu'on préfère le côté impersonnel d'une chambre d'hôtel quand on ne peut plus faire face aux souvenirs accrochés au mur ? Chassant mes pensées, vient se dessiner dans mon esprit l'Algarve, avec ses odeurs, sa côte sauvage, sa lumière, ses bergers, sa vie où l'on ne sait plus dans quel sens s'écoule le temps.


La frontière et des champs d'oliviers, quelques pâturages, un torrent qui coule, allant sans trêve, nuit et jour, de l'avant, m'accueillent. Je m'arrête pour me reposer et c'est les premières lueurs du soleil qui me réveillent. Je suis reposé, légèrement engourdi et affamé. Un oranger sauvage erre dans les parages, auquel je me permets de cueillir deux oranges, peu amères et très sucrées. Je me rince les mains dans le torrent, le visage ensuite, puis reprends la route calmement. La journée sera chaude, l'été empiète sur l'automne.



J'arrive finalement en fin d'après midi, lorsque la lumière blanche et destructrice du soleil se change en or. Ricardo est là, en chemise blanche, pantalon beige, ses lunettes rondes délicatement posées sur son visage. Il me tend la main, et me demande dans un français timide si j'ai fais bon voyage.
 Muito bom, obrigado, Senhor Ricardo. 
Mon portugais est rouillé, mais le fait sourire. Sa petite maison est blanche, les portes et volets sont bleus, couleurs dominantes dans ce petit village où je vais loger les semaines à venir.  Avec Rita, sa femme, ils me font visiter la maison avant de me souhaiter un agréable séjour. 



Je suis seul, enfin et le soleil disparait lentement derrière la colline. Je m'apprête à décapsuler une bouteille de bière fraichement sortie du frigo, avec une rondelle de citron vert, habitude ramené du Mexique quelques années auparavant. La fraicheur de la maison me parvient, alors que sur la terrasse les murs sont encore gonflés de la chaleur du soleil. Je m'assieds, et sors de ma poche mon porte-feuille. Je le jette loin à l'intérieur de la maison, mais dans le mouvement tombe à mes pieds ma carte d'identité. Identité. Le mot flotte devant mes yeux, je le prononce à voix haute.



Identité… En laissant tout derrière moi, qu'espérais-je trouver ? Je bois une gorgée de bière, mets ma carte d'identité dans la poche, bois tranquillement quelques gorgées puis la ressors à nouveau.



Timothée Charlie Miller. Presque 40 ans que je me fais appeler de diverses manières, dans plein de langues différentes, par toutes sortes de personnes, amis, famille, connaissances, rencontres de passage. Tim, Timmy, Tim'O', Timothy, Timothéo, Timminy... Pourtant, mes yeux ne me trompent pas : il est bien écrit Timothée, Charlie Miller. 



Alors, un courant brûlant descend dans ma gorge ; mon estomac se réchauffe d'un coup, sans bruit, sans prévenir, et le courant remonte dans mon coeur, ma gorge, arrive enfin à ma bouche, mes yeux, mon cerveau, mon esprit.



Lorsque je réalise ce qu'il se passe, lorsque je me mets à sourire avec toute la chaleur de l'univers, lorsque la première larme de joie tombe sur le rebord de la table, le dernier rayon de soleil vient de disparaitre silencieusement dans l'océan, de l'autre côté de la colline.

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