La sirène

Martine Vigne

Obligé de partir en vacances avec ses parents, Vivien est sûr de passer le pire été de sa vie mais une nuit...

 

Nu dans son lit, Vivien se  tournait et retournait sans pouvoir dormir. Malgré la porte-fenêtre grande ouverte par  laquelle entrait la brise marine, il avait chaud et s'énervait.

L'année avait pourtant bien commencé : il venait de fêter ses dix-huit ans, était en terminale et, avec ses trois meilleurs amis, ils avaient mis sur pied un magnifique projet. Un mois avant l'examen, tout était prêt et ils attendaient avec impatience le moment des vacances pour partir à l'aventure sur les routes d'Italie jusqu'en Sicile avec la vieille « deux-chevaux » qu'ils avaient achetée et réparée… Malheureusement, il avait un peu trop négligé les études et il avait échoué au baccalauréat. La sentence était tombée comme le couperet de la guillotine : ses parents avaient refusé qu'il parte avec ses copains. En ce moment même, les garçons découvraient, à bord de « Sophie la de-deuche » les plages, les belles touristes et  les  Italiennes au sang chaud. C'est du moins ce qu'ils se feraient un plaisir de lui raconter à la rentrée. Et lui, que pourrait-il leur dire ? Il se retrouvait  avec papa et maman dans une espèce de pension de famille dans un petit village de la Costa Brava. Il cultivait sa rancœur et sa mauvaise humeur, n'adressait pratiquement pas la parole à ses parents : ce mois d'août serait le pire de sa vie !

Il repoussa le drap, se leva,  enfila le short qui trainait sur le sol là où il l'avait laissé tomber et sortit  sans  bruit pour ne pas alerter ses parents qui dormaient dans la chambre contiguë.

Mu par un étrange instinct, longeant le petit port de plaisance, il se dirigea vers la plage de l'autre côté du promontoire. Il choisit de s'asseoir un peu en retrait, dans l'ombre des rochers. La grève était déserte à cette heure mais la lune ronde  et pâle éclairait presque comme en plein jour et il ne voulait pas être vu. Le sable était frais, le léger ressac marquait la cadence et la mer semblait un lac argenté. Cela lui donna envie de se baigner et il fit ce qu'il n'avait jamais osé faire jusqu'à ce jour : il enleva son short et s'avança vers l'eau complètement nu. Mais alors qu'il allait dépasser la zone d'ombre pour se retrouver illuminé par la lune, il la vit. Ce ne fut d'abord qu'un point dans l'eau à quelques dizaines de mètres puis il distingua de longs cheveux sombres flottant comme une cape autour d'un visage pâle. Elle nageait vers la plage avec des mouvements fluides et souples : l'apparition était tellement surprenante qu'il s'étonna presque de ne pas voir sa queue de poisson fouetter l'eau tranquille. Elle prit pied sur le fond sableux et se dressa, l'eau ruisselant sur sa peau en gouttelettes de diamants. Elle resta un instant immobile tournée vers lui mais elle était encore trop loin pour qu'il puisse  distinguer  ses traits. Elle était nue également et, sous les rayons de la lune, son corps paraissait une statue d'argent. Quelques zones d'ombres complices dessinaient le relief d'une poitrine impertinente, les mamelons durcis par l'eau froide, la courbe d'une hanche généreuse, le triangle sombre en haut d'une paire de jambes interminables. Vivien se sentait paralysé. Il ne savait plus s'il était victime de son imagination ou si l'apparition était réelle : elle n'avait pas de queue de poisson mais cela ne pouvait être qu'une sirène ! Il avait la gorge sèche, oubliait de respirer et son membre était tellement tendu qu'il lui faisait mal. Il pensa qu'elle allait s'enfuir, surprise de ne pas se trouver seule à cette heure avancée de la nuit mais elle se dirigea vers lui sans hésitation. Le jeune homme sentait son cœur battre la chamade si fort que surement elle l'entendait. Elle s'arrêta à moins d'un mètre de lui. Il découvrit que ses cheveux étaient noirs comme le jais et ses yeux très clairs même s'il ne pouvait en définir la couleur à cause de la lumière argentée et irréelle de cette nuit. Elle souriait, la bouche légèrement entrouverte, les bras un peu écartés comme espérant un geste de sa part. Il n'osait y croire et la regardait médusé. Puis malgré sa timidité de grand adolescent, soudain il ne put résister à l'appel de ce corps sublime. Il tendit la main et  caressa son épaule, joua avec une mèche de cheveux, suivit la courbe de sa nuque qu'il enserra de ses doigts tremblants tandis que son autre main se refermait sur un sein de neige à l'aréole sombre. Leurs lèvres se rencontrèrent et ils échangèrent un baiser hésitant, tendre, léger comme la caresse d'un papillon.  La sirène se retira un peu et plongea son regard dans les yeux chavirés de Vivien : elle ne voulait pas l'effaroucher mais le jeune homme se trouvait au-delà de la timidité et des interrogations. Il répondit de façon primitive à l'appel du sexe et  prit son visage à deux mains pour forcer ses lèvres en un baiser sauvage. Elle avait le goût de la mer et il explora sa bouche, affamé, ivre et tremblant de désir.

Ils se laissèrent glisser sur le sable. Malgré son impatience et la peur de ne pouvoir se contrôler, il explora son corps, l'embrassa,  lécha le sel que la mer  avait déposé jusque dans les endroits les plus secrets. Il découvrit émerveillé la saveur de son intimité et but à son calice. Elle le repoussa doucement, le plaquant sur le sable  elle le chevaucha et ils s'unirent. Vivien frémit et attendit. Elle commença à se mouvoir  lentement puis de plus en plus vite et fort. Elle avait renversé la tête en arrière et cambré les reins, ses longs cheveux mouillés dansaient une folle sarabande, ses seins aux pointes dressées se balançaient doucement invitant les mains du jeune homme à s'en emparer. Vivien, en proie à une douce agonie, explosa en elle  à l'instant où elle criait son plaisir. Ils retombèrent haletants, étendus côte à côte.

Ils restèrent un long moment tranquilles, bercés par le doux bruit des vagues. Vivien osait à peine respirer, encore moins parler : il lui semblait que le moindre son ferait voler en éclat l'enchantement et disparaître l'enchanteresse. Elle ne pouvait être réelle. Son étrange compagne l'obligea à se lever, ils marchèrent main dans la main jusqu'à l'eau. Si Vivien avait été capable de penser à cet instant, il aurait pu croire que la sirène l'entrainait au fond de l'eau comme dans les légendes antiques .  Mais il se laissait conduire  sans volonté. Ils avaient à peine pied et elle noua ses jambes autour de ses hanches,  l'entoura de ses bras, caressa son dos et  l'embrassa  avec fièvre. Tout aussi soudainement, elle l'abandonna et repartit  vers la plage. Ils se retrouvèrent là où les vagues se mêlaient au sable en un lent et interminable menuet et s'allongèrent. Cette fois, penchée au-dessus de lui, c'est elle qui le caressa lentement. Ses longs doigts fins suivirent la courbe des épaules musclées, descendirent jusqu'à ses tétons qu'elle agaça de ses ongles. L'exquise sensation lui fit crisper les abdominaux et les gouttes d'eau roulèrent de sa poitrine jusqu'à son ventre plat. Comme une chatte gourmande, elle en lécha la trace, elle aspira celles qui se concentraient dans son nombril puis suivant le fin sillon de poils bruns,  elle descendit plus bas… plus bas jusqu'à rencontrer le sexe de Vivien qui avait retrouvé toute sa vigueur… Ils avaient refait l'amour lentement cette fois,  avant de fermer les yeux, il admira le corps superbe étendu près de lui, argenté par les  rayons lunaires, où  de brillantes particules de sable dessinaient des arabesques et sombrant dans le sommeil, il fut certain de rêver…

Le soleil entrant à flot dans la chambre le réveilla et il se demanda comment il avait fait pour se retrouver dans son lit. En quelques minutes il revécut sa folle nuit. Tout paraissait si étrange maintenant à la lumière du jour. Pourquoi s'était-il levé ? Pourquoi s'était-il dirigé vers la plage à trois heures du matin ? Comment avait-il pu rencontrer une femme si belle et si mystérieuse dans ce minable petit village ?Sa dernière impression était la bonne, il avait rêvé sa rencontre avec la sirène. Il n'avait jamais quitté sa chambre… mais alors pourquoi se sentait-il si merveilleusement fatigué et pourquoi sa peau était-elle  parsemée de grains de sable ?

Il renonça à comprendre et se sentant une faim de loup, il se dépêcha de se doucher et descendit au bar de l'hôtel pour prendre son petit déjeuner. Il dévorait à belles dents ses croissants quand une étrange sensation lui fit tourner la tête. Une jeune femme d'une trentaine d'années, grande, mince, brune venait d'entrer dans le bar et se dirigeait vers lui. En passant près de sa table, elle le fixa de ses magnifiques yeux verts et sourit. Sa peau, ses sens, son sexe… chaque parcelle de son corps la reconnut.

Finalement les vacances promettaient d'être excellentes ! Et maintenant, il aurait lui aussi de bien belles histoires à raconter à la rentrée !

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