La Thunderbird 64.(1)

Nous habitons une maison généreuse où l'air passe sous les portes et l'argent par les fenêtres.

On se fait livrer 15 stères de bois avant l'hiver alors que nous n'en consommons que 8. Tous les deux ans, nous avons pour ainsi dire une année offerte... mais Betty ne l'entend pas de cette oreille.

« Pourquoi qu'on se fait livrer 15 stères de bois alors que nous savons pertinemment que 8 nous suffisent ? Tu peux m'dire ? »

« C'est comme pour le sucre ou les pâtes... pour si jamais ! »

« Tu penses qu'il peut y avoir une pénurie de bois sur la planète ? Comme le papier cul en temps de confinement ou de guerre ? »

« Sur la planète je ne sais pas, mais Robert dit qu'il vaut mieux en prendre plus pour être sûr ! »

« Sûr de quoi ? Toi t'écoutes Robert comme si c'était l'Pape accroché dans ton salon ! Robert, ce qu'il veut, c'est nous fourguer son bois autant qu'il peut ! Plus le Robert il fait fonctionner sa tronçonneuse les week-ends, plus le Robert il se fait des couilles en or ! T'as pas encore compris ? C'est quand même avec notre pognon qu'il ronronne le samedi au marché ! »

« ??? »

« La Ford Thunderbird 64 qu'il s'est offert, c'est avec nos bûches ! Petits tas après petits tas, il s'est constitué un sacré magot dans la culotte, le Robert ! »

Quand nous avons acheté la maison, Robert est venu nous rendre visite par courtoisie et pour nous proposer une petite affaire.

« Vous voyez, au fond de votre jardin, le petit bois qui est derrière, il m'appartient... si ça vous intéresse je peux vous le céder ! J'ai ma petite fille qui continue ses études... »

« Pour quoi faire ? On ne va jamais aux champignons ! » a dit Betty, mettant ainsi fin à la conversation.

Voilà bientôt 10 ans que Robert nous débite en petits morceaux de 50 cm ses 8 hectares de feuillus. Quand on charge le poêle, il y a dans la maison, comme une odeur de pleurotes et d'essences mélangées. Estelle est coiffeuse dans la galerie marchande d'un Super U, la Thunderbird ne sort plus que très peu.

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