La toile de Jouy.(1)

Nous avions toujours des fruits très mûrs à la maison. Des fruits à la limite du pourri et où une simple pression dessus venait à les éclater. Par précaution d'emploi, nous finissions par ne plus les toucher de peur de les faire se coller entre eux. Betty disait qu'ils pouvaient rapidement se gâter, que leur moisi pouvait se propager à la vitesse de la condensation, telle la buée d'une vitre produite par la valve d'un autocuiseur tout proche:

- Très rapidement, quoi !

Ces fruits là, à terme et lorsque leur teneur en soufre s'approchait de celle de la poudre, servaient à fabriquer de la compote. Nos invités en reprenaient toujours deux fois, parce que la compote c'est source de vitamines, c'est bon pour les joues et la santé, et que ça file la pêche au petit-déjeuner en complément d'une bonne paire de basket lors d'un régime dans les magazines à la mode !

- Hum, elle est bonne votre compote ! Ce petit goût au milieu serait-ce celui de la cannelle ?

Ce fameux petit goût 'au milieu' résultait de l'oxydation des fruits au contact de la paroi du saladier d'argent, saladier que nous avions ramené lors d'un voyage et d'un marché aux épices, laissant s'imprégner à son contact toutes ses substances aromatiques, comme le ferait l'animal humide au fond de sa panière pour une odeur de chien mouillé.

- C'est toi qui a laissé la porte du garage grande ouverte ?

- Oui, c'est pour aérer les patates, elles sentent la toile.

La purée avait parfois le goût prononcé de la girofle pour masquer celui de la solanine, et les frites avaient tendances à faire molles et bistres.

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