La tornade grise

petisaintleu

L'intégrité, contrairement aux intégrismes, ces formes moyenâgeuses du fascisme remises au goût du jour, ne paie plus. À supposer qu'autrefois, dans un Eden où vivaient les Barbapapa, elle ait eu son mot à dire.

Il avait toujours eu conscience de la folie de s'y accrocher alors qu'il était de bon ton dans le monde de l'entreprise de mentir et de bomber le torse. Cette valeur se diffusait dans la famille depuis que son arrière-grand-père s'était refusé au joug nazi. Il avait terminé au fond d'une fosse commune de Dachau. Un survivant, qui l'avait connu, raconta que jusqu'au dernier jour, malgré ses trente-cinq kilos et ses yeux exorbités, il déclama du Goethe. Il partagea sa soupe d'eau et d'ersatz d'épluchures de pommes de terre, refusant tout diktat, avec pour leitmotiv de ne pas céder face au blockhaus de haine qui s'était dressé dans toute l'Europe occupée.

Dans les camps de concentration, les musulmans étaient l'appellation donnée aux cachectiques, les déportés dont toute la graisse et les muscles avaient disparu. Soixante-dix ans plus tard, bien que globalement bien nourris, ils étaient traités avec le même mépris qu'avec les détenus qui se croyaient hors de portée de la Faucheuse, par des occidentaux qui n'avaient pas vu le vent tourner. Quand il se lèverait, il ne ferait pas de distinction. Pourtant, tout comme leurs prédécesseurs, les Blum, les Levy ou les Benichou, beaucoup d'entre eux, l'immense majorité silencieuse des Haddad, des Ayari ou des Khalil, n'avaient que l'ambition de vivre modestement leur quotidien.

Lui, il avait déjà compris que les lignes se clivaient dangereusement et que les pentes qu'elles créaient étaient glissantes, sans espoir de pouvoir les remonter. D'un côté, les passéistes qui demandaient, confortablement calfeutrés dans leurs immeubles bourgeois, plus de tolérance, se refusant de passer le périphérique et de partager le fruit d'un égoïsme social durement acquis. De l'autre, des nostalgiques, souvent des ruraux, qui n'avaient jamais vu le moindre émigré franchir les marches de leur canton et encore moins les bénéfices des Trente glorieuses.

Il aurait pu se contenter de sa petite vie d'entre deux, baisser le front et serrer les dents. Ce n'est pas l'intolérance qui lui fit franchir la ligne rouge, mais la connerie et l'inculture. Il ne supportait plus d'entendre citer Clovis, Austerlitz ou les Causses par des ignares, incapables d'en situer le règne, la date ou la situation géographique. Il péta un câble quand son supérieur diffusa une vidéo sur l'intranet, grossier montage d'une propagande 2.0, agrémenté de commentaires truffés de fautes d'orthographe. Il se précipita dans son bureau pour lui parler du pays. Trois jours plus tard, il fut renvoyé sous le regard goguenard de la majorité de ses collègues.

Il aurait dû mettre de côté son angélisme. Il lui fallut du temps pour comprendre que la raison n'était plus du côté de l'objectivité. Elle était soumise à la mécanique d'un effet d'entraînement, lié à une peur irraisonnée, qui devint irraisonnable quand les premières milices firent leurs apparitions. Cet imbécile continuait invariablement à se faire le défenseur de valeurs qui n'avaient plus cours. Il ne retrouva pas de travail.

Quand les images des premiers charniers de Syriens furent diffusées, à quelques kilomètres de l'Autriche, il réalisa enfin combien son humanisme était dépassé. Puis, il manqua de courage. L'héroïsme ne se transmet pas par les gènes et il ne parvint pas à surmonter ses peurs pour rejoindre la poignée de protestataires qui avaient encore le courage de dénoncer et de prédire que la catastrophe serait, cette fois-ci, totale.

C'est le changement climatique qui sauva la mise. En cinq années, une vague de sécheresse, d'ouragans et des invasions de sauterelles vinrent mettre à mal les récoltes du vieux continent. C'est donc la bonne vieille méthode de la sélection naturelle qui entra en œuvre. Les chiens errants, redevenus sauvages, se firent un devoir de débarrasser les cadavres, peu regardant sur leurs origines. L'Europe retrouva sa quiétude et son niveau de vie d'antan.

  • Les Européens ne surmontent pas leur peur devant cette déferlante de réfugiés et doivent être montrés du doigt comme responsables et coupables de cette situation ? Mais que dire de cette myriade d'hommes tellement apeurés qu'ils fuient ventre à terre en laissant femme et enfants sous le joug de ces mêmes bouchers qu'ils fuient...

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Default user

    ninoune

  • Excellent !
    Une bonne remise à niveau, et on repart... ou pas !

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Yeza 3

    Yeza Ahem

  • C'est bien une tornade qui nous attend ! très bien vu ce titre

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Loin couleur

    julia-rolin

    • En effet. D'ailleurs, je suis aussi partie d'une métaphore sur la "météo" pour évoquer le même sujet, la nuit dernière : http://welovewords.com/documents/pour-que-le-diable-soit-vaincu

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Couv2

      veroniquethery

  • Les charniers sont déjà là ! Mais, ce sont les assassins de daesh qui en sont responsables ! Ne nous trompons pas !

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Couv2

    veroniquethery

    • Comme indiqué, c'est une fiction. Et, voyons par charnier une métaphore...

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Cp2

      petisaintleu

    • Une fiction, certes. Mais, cela n'empêche pas ce petit rappel dans les commentaires.

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Couv2

      veroniquethery

    • Tu es livres, effectivement. Comme les Syriens sont libres de rester chez eux pour se faire massacrer par Daesh et Bachar.

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Cp2

      petisaintleu

    • Très intéressant ton lapsus ! "Tu es livres" : ne corrige pas, c'est très joli.
      Rien à répondre à la 2nde partie de ton commentaire. Je constate cependant que des femmes kurdes se battent contre ces barbares. Pourquoi l'Europe, les Etats Unis, si prompts à des interventions naguère dans d'autres pays, ne vont-ils pas leur prêter main forte ? Ah ben oui, c'est vrai : ce ne sont que des femmes, quantité négligeable dans beaucoup d'esprits désormais. Cf les déclarations dégueulasses qui circulent ! Je redeviens féministe !

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Couv2

      veroniquethery

    • Un commentaire n'y suffirait pas. C'est le jeu cynique de la politique depuis que le monde est monde. Durant la Seconde guerre mondiale, les alliés connaissaient l'existence d'Auschwitz. Qu'ont t'ils fait ?

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Cp2

      petisaintleu

    • Est-ce une raison pour agir de même aujourd'hui ? Et, les Alliés ont combattu l'ennemi que je sache !

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Couv2

      veroniquethery

    • Bis repetita : C'est le jeu cynique de la politique depuis que le monde est monde.
      Si nous n'étions pas obsédés par les différences de culture, de religion ou d'esprit national qui engendrent tout cela, nous n'en serions pas là. Il y a 4 ans que nous aurions mis sur la tronche de Bachar. Mais, bis repetita : Un commentaire n'y suffirait pas

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Cp2

      petisaintleu

    • Nous ? Pour le moment, ceux que je vois obsédés par la haine, ce sont les monstres de daesh ! Tu as vu ceux qu'ils font aux femmes ? Devenus des objets sexuels ? Des petites filles violées, massacrées. Des gamins enrôles, dont ils coupent poignet et pied s'ils se révoltent ! Les charniers ! Ce sont EUX les pourris !

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Couv2

      veroniquethery

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