La tribu des kifooteriens

Christophe Paris

texte anecdotique en hommage à mes potes et collègues passki méritent :)


C'est ainsi que les dénomme l'autre tribu, celle des pingouins. Elle les raille, les dénie, pour une seule raison, le rire, cette liberté d'humain qui fait du bien. Hommes de pouvoir qu'ils confondent avec intelligence. Protozoaires du protocole qui s'étouffent quand on rigole.
Mais ils s'en foutent les kifooteriens.
Eux, ils savent.
Ils savent qu'ils bossent sans compter heures, ni sueurs, qu'ils donnent, se donnent, dans une joie qui n'empêche pas les enguelades mais les rend inébranlables. Une équipe, une famille, qui ce soir met les petits plats dans les grands pour la soirée "Partenaires". Des jours qu'ils bossent dessus, que la température monte d'heure en heure à faire fondre un thermomètre en dernière semaine. Le rideau va bientôt se lever, les portes s'excitent et tremblent à en faire frémir les cloisons. Mais ici pas besoin de coups de bâton pour lancer la machine à faire plaisir, juste un « Skriiitch ».
C'est le talkie de christine qui balance la voix de Jérôme
- Ok c'est bon on peut installer.
Une voix que je ne lui reconnais pas, un grave caverneux qui résonne de son calme abyssal. Il assure, il rassure, pour les autres, même si à l'intérieur il est en mode spinnaker plein vent arrière.
Les autres, qui répondent tous par un « O.K ».
Il y a d'abord Marie, la perfectionniste, avec sa petite voix et son caractère bien trempé. Pas de migraine aujourd'hui, juste un grand sourire, de grands yeux, et de grandes jambes qui arpentent bureaux et niveaux comme une athlète en pleine Olympie. Elle est dans les starting-blocks après moult briefs, débriefs, prête en à en découdre, la dentellière de l'opération pour qui chaque détail compte. Elle est joyeuse, ça se sent, et un peu traqueuse, ça sent aussi, elle y tient à son bébé.
Une voix de commandeur enrobée de velours s'élève, c'est dieu. Khaled, celui qui n'aime pas qu'on lui dise « Zatout' à l'heure », jeu de mot sur son nom.
- Merci de ne pas oublier de retirer la protection plastique des mo… quaîîîî…ttes avant de poser les … taaaa..bles, merci.
L'expérience d'un vieux gorille qu'aurait bouffé un GPS. Il sait tout, où ils sont, ce qu'ils font et là où ça peut foirer, alors il anticipe en coulisse laissant la liberté à ses solistes.
- Oui oui, pas de soucis, répond la voix discrète de Pauline.
Pauline, la zénitude incarnée, un rock capable de résister aux blagues telluriques de son boss et dont les yeux crépitent d'excitation. Posée et rassurante, rigolote et pragmatique, un pilier Pauline, capable d'affronter l'imprévu comme chacun, comme tous.
L'imprévu, justement.
- Skriiitch…skriiiitch, rhâââ putain de talk...bon… allô… il est ou le traiteur ? balance Jérôme.

Une petite voix d'oiseau qui abuse de la nicotine s'envole sur les ondes,
- Bah normalement au moins deux…

C'est Christine avec son petit timbre de moineau, ses petits petons et son gros tarma, (Je cite).
Une mama douce qu'on aimerait tous avoir, que tous aiment voir. Ce tarma et ses pieds douloureux qu'elle emballe de chaussures au confort certain mais au style qui l'est moins, (Je cite), deux victimes des tendres sarcasmes de Khaled le caustique attentionné.
 Le voici qui passe devant mon bureau s'étonnant de me voir si tard et dans le noir et m'engueule sur un « T'es pas encore parti ? ».
Et là je le vois avec son grand sourire qui dépasse ses oreilles. Ce sourire moqueur pleines dents qui me fait penser à un cheval. Oui, un cheval au grand sourire, qui se marre parce qu'il sait qu'il va en bouffer du terrain et galoper du + 2 au -1 sans passer par les ascenseurs.
 Il est métamorphosé, on dirait qu'il a vingt piges, il est heureux, ça se voit chez lui aussi. L'homme pierre de voûte se tient droit comme un I.  Le regard pétille et sa marche reprend vie. Le bipède qui se mue moins vite qu'une limace, s'est transformé en humain fugace. C'est sur un « Back to Biizzness » accompagné d'un saut de jambes à la Aldo Maccione qu'il me quitte pour son destin d'un soir.

Un soir où Malek est absent pour une fois. Malek, le gourou panda.
Le gourou, avec sa démarche nonchalante et sa gentillesse rassurante qui vous retourne le moral en soleil. Le panda, avec ses yeux qui débordent de ses valises. Des grands modèles, bien noircies aux heures supplémentaires de trop de « tard-nuit ». Un perfectionniste, qui certainement ce soir va penser à eux et peut-être même passer un coup de fil au cas où…
Une équipe, une vraie, la revoilà d'ailleurs…
- Skriitch…pfff…put… de…tal… di…mierda… Ouais skriiiiiiiitch… c'est Jérôme, skriiiitch, bon alors il est ou là le traiteur ?

Marie : Bah au moins deux !!
Pauline : Bah ouiche au moins deux
Christine : wui wui au moins deux c'est ça…
Khaled : Ah bah nan, y est pas là, moi j'y suis, mais tout seul…


Silence radio, comme dans les bureaux maintenant vides. Personne, excepté un type en queue de pie, nœud papillon gigantesque et chemise blanche amidonnée. L'inconnu à l'air tellement pétrifié qu'on le croirait accroché à un cintre par les épaules, tête penchée vers le bas.
 Il est sueur et rouge carmin, y'm'fait flipper. Il s'adresse à moi la voix chancelante.
- Excusez-moi je suis le traiteur pour la soirée et je dois aller au moins deux pour…
Je lui coupe la parole sûr de ma remarque,
- Vous êtes perdu, c'est ça ?
- Non, non, du tout… en fait euh… enfin… c'est-à-dire que… comment dire… Bah en fait mon équipe et moi on est tous claustrophobes, du coup, là les ascenseurs… bah… C'est pas, mais alors pas possible du tout… y'a pas un aut' chemin ?
Je souris à l'intérieur du dedans de moi-même, ça y est c'est certain, la soirée à définitivement commencé…

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