La vieille dame

Paul Robert De La Fauvellerie

Suite de "A love supreme"

La musique avait eu l'effet escompté : je me sentais mieux.... Mais, franchement, ça ne résolvait pas mes problèmes existentiels. J'étais de nouveau empêtré dans cette solitude, certes à moitié choisie (mais à moitié seulement).
Mon ex-femme avait vu clair en moi depuis longtemps, et cette idée, rien que cette idée, m'irritait au possible. Moi qui pensait avoir bâti des murs infranchissables pour me protéger, j'étais faible comme un nouveau-né... Et triste...
Je ne songeais plus du tout à m'enfuir dans un monastère, mais je me devais de réagir...  Je n'avais presque plus d'amis, ils s'étaient enfuis les uns après les autres lors de ma grande dépression, grand bien leur en faisait !!! Je n'étais pas très famille non plus. 
Je décidais de sortir de ce petit cloaque qu'était mon appartement, et d'affronter le monde extérieur, moi le phobique social... Après tout, qu'avais-je à perdre désormais ?
Je partais, me laissant guider par le hasard...
Je déambulais dans les rues de cette petite ville de province où j'avais passé la majeure partie de mon existence. J'avais beau connaître cette cité par coeur, mon état d'esprit et mes dispositions faisaient que je voyais tout d'un oeil nouveau. Je me dirigeais vers le parc où j'avais rencontré mon ex-épouse. Comme une envie de revenir à la source. Besoin humain sans doute. 
Il y avait un étang dans ce parc. Je m'asseyais sur un banc en face, et fixais le remue-ménage de la nature. Les canards voguaient et les enfants leur balançaient des miettes de pain...
C'est alors qu'une vieille dame vînt s'asseoir près de moi. Très polie, elle me demanda si elle ne dérangeait pas. Je lui répondis que non.
La dame avait envie de discuter apparemment. Bien qu'habituellement réticent à ce type de situation,  j'entamais la conversation. On commença bien sûr par des banalités qui rassuraient du genre "C'est un bel endroit" ou "J'aime bien venir ici"... 
Puis vinrent les questions plus personnelles. Je me confiais à cette personne, comme si je la connaissais. Je lui avouais ma solitude, mes phobies, mes échecs, et cela me faisait un bien fou.
" C'est humain d'avoir peur, je pense.... Mais il ne faut pas oublier le temps qui passe. Regardez-moi, j'ai soixante-quinze ans, mon mari est décédé d'Alzheimer, il ne me reste que quelques années à vivre. Vivre.  C'est cela le plus important. S'accrocher à des souvenirs fait du bien parfois, mais les souvenirs peuvent s'envoler au loin, croyez-moi ! Créez donc votre vie, ce sera votre plus belle oeuvre..."
Elle avait les larmes aux yeux après ce petit discours. Je lui donnais un mouchoir en papier, et elle pût s'essuyer avec. Elle déchira le mouchoir après.
"La vie est comme un mouchoir en papier... Fragile... Ça se déchire pour un rien comme vous venez de le voir. Pourtant, on peut en faire des choses avec: des origami, on peut écrire dessus, on peut essuyer ses larmes... "
Elle s'en alla, sur ces belles paroles, je ne la revis jamais, mais je n'ai pas oublié...

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