La ville bleue

Quand la mère d'Ernesto part, Ernesto ne se précipite pas.
Je ne suis plus un enfant se dit-il, je suis un homme. Et quel homme se précipiterait donc à appliquer à la lettre et au pied levé les conseils de sa mère ?
De cette manière, Ernesto ne se lève pas de sa chaise. Il ne décroise pas les bras, il n'empoigne pas précipitamment la poignée de sa petite valise noire pour passer furieusement le pas de sa porte et faire tomber ses clefs dans un élan fébrile de trop d'émotions. Il ne descend pas quatre à quatre les cent quatre-vingt marches de son appartement du neuvième étage sans ascenseur. Il ne bouscule pas au passage Madame Montessori en pleine discussion avec le concierge au détour du hall d'entrée et de ses vingt-sept boîtes aux lettres rouillées pour héler le premier taxi qui passe et filer dare-dare en direction de la gare. Il ne peste pas contre la circulation indécente qu'on trouve à cette heure-là en reprenant son souffle. Il n'arrive à aucune gare, ne fouille aucunes de ses poches devant aucun guichet, n'achète aucun billet, ne prend aucun train pour aucune ville bleue.
Non, vraiment Ernesto ne fait rien de tout ce que sa mère lui a soufflé. Mais dans sa tête, quand même, avouons que malgré l'homme qu'il est, c'est tout comme.