La ville sans nom

#1

Je ne sais plus si c'est un homme ou une femme, qui dort étendu à l'abri et dont les jambes dépassent du lit.
Je devrais sans doute savoir mais tout s'évapore, les formes, les couleurs, l'odeur de sa peau, la trace des nuages cotonneux.
Je sais juste que là, sur son épaule, est nichée une grande ancre mangée de serpents d'eau. Mais qui sait ?
Ce ne sont peut-être que des serpents de sable autour de l'ancre.
Tous la portent, qui viennent de la ville sèche.
Du premier au dernier jour.
L'ancre indélébile, la ville sèche imprimée à la peau, inexilable.

#2

 J'entends quelque chose qui s'étire et remue, puis se lève. C'est donc une femme (chuchoté)
Ses seins sont d'ambre et pointent chocolat noir amer, fiers, droits.
Sa nudité ne l'embarrasse ni ne la gêne. C'est une nudité légère : celle des femmes-monde, des femmes-fleurs, fertiles et arides à la fois comme le sont les femmes de la ville sèche.
Ses pieds touchent le sol et c'est un sol qu'ils ne connaissent pas, aussitôt ses yeux courent au travers de l'ombre de la cabane, trouver le jour pour embrasser le ciel, et là encore, c'est un ciel que ses yeux ne connaissent pas.
Nous voilà bien embêtés. Elle qui forme ses lettres qui vont bientôt poser leurs questions, moi qui devrais y répondre.
— Où sommes- nous ? Quel est cet endroit ? Qui es-tu ? Comment suis-je arrivée ici ? Pourquoi ? Comment as-tu fait ? Il faut que je parte, ramène-moi immédiatement où tu m'as trouvée ! Où sont mes vêtements ? Mes bijoux ? Akin me retrouvera, et il te le fera regretter…
Elle avance sur moi, le doigt dressé en avant.
— Tu seras mordu par mille serpents, ta langue coupée, ta peau marquée au fer !
Un long rire sarcastique s'ébroue, le mien.
— Tais-toi sotte ! Tais-toi ou c'est moi qui te coupe la langue sur le champ !
Elle hésite, recule d'un pas, d'un pas seulement.
Je crois que ces yeux ont couru jusqu'à ma ceinture, je crois qu'ils ont croisé le fer un instant, d'assez près pour la dissuader l'espace de quelques minutes.