L'âge d'oraison
petisaintleu
Il était venu le temps des candélabres. Les cierges se conjuguaient au De Profundis, transformant la cathédrale en une cartographie macabre. Les piliers se noyaient vers des ténèbres qui suggéraient que le Ciel n'annonçait rien de bon dans son immortalité. Aux antipodes, dans la crypte, les feux follets s'amusaient, telles des sirènes plasmatiques, et laissaient à penser que l'Enfer est pavé de bonnes intentions. Les tuyaux du grand orgue s'étaient métamorphosés en des spectres dont les notes résonnaient comme les sept trompettes de l'Apocalypse. Même la Vierge à l'enfant, d'une stature d'habitude si maternellement rassurante, prenait un air de démente sur le point d'étouffer en son sein sa sainte progéniture. Le retable, ça ne faisait pas l'ombre d'un doute, invitait à la plus grande humilité, pour ne pas attirer l'attention des reliques du macchabée qui reposait dans sa châsse, dans l'attente de vous juger pour l'éternité.
Le cercueil reposait dans un silence de plomb à la croisée du transept. Pour le visiteur qui aurait franchi le porche du monument, comment deviner que sous les planches gisait le plus injustement inconnu qui n'aurait jamais dû l'être ? Marcel, comme son prénom pouvait le laisser supposer, n'était pas né de la dernière pluie. Issu des décombres de l'après-guerre, il était le fruit de l'amour improbable d'une mère tondue pour avoir fréquenté un soldat frisé qui ne s'était pas formalisé, quelques mois avant leur rencontre et alors qu'il était gardien à Buchenwald, de rosser le crâne rasé des résistants français dont faisait partie son résistant de père.
Dès sa prime enfance, il développa d'incroyables capacités. Nul caractère, du plus taciturne au plus extraverti, du plus pudique au plus pervers, du plus méticuleux au plus désordonné ne le rebutait. Était-ce un don, un mystérieux mariage génétique ou le fruit de connexions synaptiques inédites ? C'est donc naturellement que le clergé s'intéressa à lui. Le prêtre conseilla à ses parents de le faire entrer au petit séminaire, certain que la précocité de son charisme et de son abnégation le conduirait vers les plus hautes responsabilités ecclésiastiques.
La gentillesse et l'empathie ne sont pas synonymes de candeur. Il n'était pas aveugle et il comprit que derrière les canons ou les dogmes se masquaient le calcul des ambitieux et la jalousie des médiocres, couverts par le stupre des directeurs de conscience. Il n'aspirait pas à se coucher devant saint Augustin ou tout autre Père de l'Église. Ses croyances s'opposaient à ce qu'on l'obligeât à se prosterner devant l'autel dans une posture impropre aux infidèles pour y recevoir une onction qui n'était pas de son goût. Il préféra jeter son froc aux orties plutôt que d'aller se faire voir chez les Grecs dont il appréciait peu l'orthodoxie (qui pense dans la bonne voie, au sens littéral).
Il avait seize ans. Il aurait pu se joindre aux cohortes d'échevelés à la dégaine christique qui à cette époque prenaient la route de Katmandou. Il prit un chemin de traverse qui le conduisit vers les plus humbles de la capitale. Bien que Paris masquât ses dernières traces médiévales dans une architecture scarifiée par les trouées des grandes artères, il subsistait en ces Trente glorieuses des poches honteuses de gueux cachés miraculeusement dans les égouts, dans les friches de la Petite ceinture ou dans un tunnel métropolitain désaffecté qui avait perdu de son urbanité pour accueillir les oubliés de l'humanité.
Ainsi, durant un demi-siècle, et alors que la société régressait par le biais de la technologie vers l'étourdissant hédonisme qui le mènerait à sa perte, il opta pour une vie veule aux yeux des excités de la consommation outrancière. Sans porter le moindre jugement – qui était-il pour se le permettre ? – il donna son âme à cicatriser les plaies que la civilisation s'époumonnait à planquer derrière les selfies, la télé-réalité, le botox et les clubs de remise en forme.
C'est désormais le grand silence qui règne, le temps du recueillement. C'est peut-être le moment pour le touriste de saisir l'indicible. De la lumière des faux semblants où tout semble acquis au crépuscule des Champs-Élysées.
Un dédale d'histoire et de mélanges loufoques, un plaisir de s'y perdre. Je suis sûr qu'un grosse bouse vaudrait quand même son pesant d'or. Chapeau!
· Il y a presque 3 ans ·Christophe Hulé
Du grand Petisantleu ! bravo à toi
· Il y a presque 3 ans ·marielesmots
Bon, il va falloir que j'écrive une grosse bouse pour mettre un terme à tes commentaires dithyrambiques. ;-)
· Il y a presque 3 ans ·petisaintleu
N'importe quoi :)
· Il y a presque 3 ans ·marielesmots