Laisser passer

Laisser passer le dernier tram dans la nuit délavée, il a plu par intermittence, on aurait dit l'eau du grand fleuve qui pleurait à chaudes larmes. Des nuages rendent le ciel encore plus noir, la lune quelque part s'est cachée derrière un arbre, une tour aux lumières disparates. Plus rien dans la rue, plus personne, on dirait que tout dort, tout repose. Les fleurs dans le jardin des plantes doivent terminer de se sécher, les abeilles continuent-elles à oeuvrer dans leur ruche? On dirait qu'un incroyable spectacle se prépare malgré le calme de la nuit, un univers inconnu se met en route, les fous et les poètes se tiendront bientôt par la main pour une danse fugitive. Le lendemain dans les journaux, on ne saura rien de la vie de la nuit, on aimerait bien mais on est trop attaché à nos pensées sans soucis. Le lit du grand fleuve charrie avec lui remous et bois flotté, on ira en ramasser un matin avant les autres, pour notre intérieur bien douillet.

Laisser passer le dernier tram dans la nuit délavée, il a plu par intermittence et sur mon aquarelle la mer détrempée, révèle des mondes intérieurs que rien ne peut transformer, à part les gouttelettes sur le grain de ma feuille qui gondole telle une vieille lettre qui a pris l'humidité derrière un meuble tout décrépi. Longues lettres retrouvées révélant des secrets terribles, une déclaration d'amour, un rendez-vous, de quoi faire un roman, peut-être celui qu'on n'a jamais pu écrire, et que l'on imagine dans un brouillard artistique, onirique.