L'amoureux du banc public

Boris Miramont

...a une p'tite gueule bien sympathique

Passants, bicyclettes, poussettes et fauteuils à roulettes, tous assistent ce matin à un spectacle balnéaire bien silencieux. Seul le naufrage des vagues sur les galets nourrit l'air de quelques sonorités. En effet, blotti entre deux poteaux à sonnette, le chef d'orchestre n'est plus à la baguette. Âgé d'une vingtaine de printemps – sur une échelle des temps modernes de Charlie Chaplin – cet homme assis à cloche-pied, bottines et lacets lustrés à l'huile de coude, est le maître de la partition. De tout son corps, courbant l'échine, il dessine la clef de sol. Le banc quant à lui, se prépare à accueillir ses notes.

Il est tard maintenant. Les lamelles en pin sablées par le sel marin, se vêtissent et se dévêtissent des rayons intermittents de l'éminent soleil. Peut-être l'ont-elles déjà compris. L'artiste ne jouera pas aujourd'hui, pas cette fois. La main droite fait de la manchette à sa jumelle lui caressant délicatement son col blanc. "C'est elle qui tient les cordes !" se dit-elle. La main gauche reste inerte préférant l'obscurité au jeu des ombres chinoises. Le feutre coiffant le métronome a lui-même abandonné ce combat de croche. Débordé, il laisse d'ailleurs s'échapper les cheveux rêches du cuir, colonisant les joues et s'abritant sous le nez. Pas de concerto ! Les strapontins du front de mer resteront survolés par les oiseaux, les muettes. [L'amoureux qui s'est dégoté son banc public, banc public, banc public, en s'fouttant pas mal du regard oblique, des passants honnêtes, a une p'tite gueule bien sympathique].

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