L'appel des sirènes

jbs67

J’étais coincé entre les quatre murs de mon adolescence, dans ces années de désenchantement où je tamponnais chaque soir mon visage d’une eau précieuse impuissante : cela finirait bien par passer, gratter n’arrangerait pas les choses. Quelle meilleure conjoncture pour enflammer l’interdit ? Je faisais feu de tout bois.

Le pire, c’était les maillots de bain. Et ces deux là, je m’en souviens !

J’attendais mon tour pour aller chercher un mannequin cul-de-jatte au fond du grand bassin. J’étais assis juste derrière Isabelle, bien dans l’axe, deux rangs plus haut avec une vue plongeante, cadrée au degré près : un clair-obscur de Sieff. J’admirais impunément les courbes, le grain lumineux de la peau, la cascade sombre des cheveux en fractale aguicheuse, le contraste agressif : l’univers n’était que noir et blanc. Et ce foutu maillot une pièce qui baillait légèrement au dessus des hanches, juste assez pour y glisser mes mains, excitant le désir mieux que toute nudité : une folie incontrôlable, et difficilement dissimulable. Si son maillot suivait parfaitement des lignes congénères, le mien semblait effroyablement petit tout à coup. J’avais l’archet parfait pour jouer de ce violoncelle naturel qui se découpait sur fond aquatique. Et quand ce fut mon tour, je sautai à l’eau comme un diable, sans rien laisser deviner de mon enthousiasme.

Et puis, il y avait Aude. Une sirène ? Pas véritablement. Une équation subtile faisait passer d’Aude à Isabelle comme d’une antique épure à un Fragonard joufflu. Et ce maillot là, c’était celui des superlatifs : foisonnant, prêt à craquer, limite vulgaire mais tellement désirable, révélant tout, translucide par endroits. Là, plus de fantasmes : que le désir bestial. Rien à deviner, tout à voir pour peu que le regard ose se porter sur les recoins intimes où la transparence ne surprend plus mais révèle, n’évoque plus mais invite. Naïve ou provocante, la nymphe rebondie aimantait le regard des faux bourdons, yeux fixes et rougis, au prétexte de l’eau javellisée du bassin. Elle ne l’a porté qu’une fois, d’un orange de science-fiction : une combinaison d’astronaute sexuelle, prête à recueillir tous les hommages sans distinction.

Il y avait dans l’instant de ces contemplations cette même concentration de féminité, un kaléidoscope à fantasmes pour des heures d’insomnie. J’avais admiré l’une et l’autre à m’en tatouer la rétine, louant l’humidité instinctive et complice.

Les actes viendraient plus tard.

Immanquablement.

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