L'auberge normande

Lucie Labat

une première colocation enjolivée

       La première fois qu'elle l'avait vue, Clara avait dû cligner des yeux à deux reprises : elle était le portrait craché de son fils ou plutôt lui était le sien. Le même nez crochu, les mêmes yeux rentrés, la même tête de piaf.

        Les règles furent exposées dans les plus brefs délais, cette femme n'avait pas de temps à perdre. Elle pouvait se servir des condiments dans le placard, du papier toilettes, faire attention au bruit dans le salon passé une certaine heure et éviter de manger en même temps que l'ensemble de la famille. Elle serait bien là-haut oh que oui ! ils avaient tout arrangé. Elle ne s'attendait pas à tant : une chambre pour elle toute seule, sous les combles : assez confortable pour lui permettre d'en faire son chez-soi, assez rustique pour lui donner une impression romanesque. Le ciel était par dessus le toit, et son velux lui donnait accès. Paris grisaillait de zinc de son point de vue, qui parfois se baladait dans les appartements adjacents, où la voisine entortillait ses cheveux, nue et seule dans sa salle de bain. Le triangle que formait sa chambre ne manquait pas de charme : un lit à même le sol marquait un coin, une lampe de chevet trônait sur le petit bureau et quelques étagères lui permettrait d'étaler ses kilos de pâtes qu'elle accommoderait tantôt de bolognaise, tantôt de gruyère râpé, et même parfois des deux, savourant pleinement son indépendance nouvelle.              

       Quelle chance elle avait eu de trouver cette piaule dans Paris, de l'intérêt d'avoir des amis au capital financier et culturel bien supérieur au sien. Elle passait ainsi d'une chambre commune avec son frère qui, même si elle l'aimait par-dessus tout, manifestait le besoin d'intimité que lui imposaient ses hormones d'adolescent, à un petit havre de paix aux murs très fins mais pour le moins existants.

        En immersion dans cette cellule familiale, tout lui semblait étranger. Elle guettait, prudemment, les signes d'encouragements de la propriétaire pour être chaleureuse. Il s'avéra très vite que ce n'était pas le genre de personne à avoir de la conversation. Comment vont les cours ? Tes concours arrivent-ils bientôt ? Puis-je récupérer tes draps ? Je t'en donnerai de nouveaux. La Normandie était l'excuse commune de la famille pour expliquer leurs traits de caractère similaires ; une efficacité dans la parole et la pensée, une froideur apparente, une passion pour la voile (ils avaient fait le tour du monde une fois) et un goût inconsidéré pour le fromage et la crème fraîche. Seul l'aîné échappait à la règle de la froideur apparente, comme s'il avait récupéré toute la sociabilité qui faisait défaut aux autres pour l'intégrer à son propre organisme. Cette facilité à nouer des liens induisait souvent la présence de ses ami(e)s, parfois habillés parfois non, transformant le cocon normand en auberge espagnole. La finesse des murs ne permis pas à Clara d'échapper à l'intérêt que l'un des amis lui portait, mais qui n'aboutirait pas compte tenu de son jeune âge, ni même aux cris d'amour de l'un des frères pour les matchs de football.

         La mère régnait en matriarche sur la maison. Elle gagna l'admiration de Clara assez rapidement, peut-être un peu trop idéalement. Infirmière, elle travaillait depuis maintenant trente ans avec passion et éreintement, rentrait le soir et cuisinait sans relâche pour ses cinq gaillard dont son mari dont la fonction principale était de remplir et vider le lave-vaisselle : Il avait fait sa part. Elle lavait, repassait, aspirait, cuisinait, bricolait, cousait, tricotait, lisait, jouait aux cartes, allait à la piscine, et tenait la maison d'une main de fer dans un gant de fer. La polyvalence et la vaillance de sa propriétaire éberluaient Clara, qui comprenait peut-être que le travail permettait d'accomplir le rêve, que l'investissement portait ses fruits, en fin de compte.

        Mais si la mère, épouse et infirmière se donnait la peine d'être heureuse elle n'en était pas pour autant une sainte. Clara était la deuxième femme que ce foyer eût jamais connu, et elle en payait parfois le prix : un coup d'œil par-dessus une épaule pour surveiller qu'elle ne séduisait pas un fils, une bouteille d'huile d'olives disparue pour lui signifier que c'était à elle d'en racheter, une ou deux remarques acerbes de temps en temps donnaient souvent à Clara l'envie de se retirer dans son château dans le ciel, sous sa couette douillette et contempler les nuages.

       Un jour après l'autre, l'année s'écoula doucement, une année de concours et de réussite pour l'étudiante. Les interactions avec les divers colocataires : comment allait-elle, ils espéraient ne pas l'avoir dérangé en rentrant de soirée, pouvait-elle arrêter de chanter sous la douche ? se raréfièrent. Un jour, il fut temps de faire ses valises, plier une dernière fois les draps, et quitter l'auberge normande. Une bouteille d'huile d'olive en guise de cadeaux d'adieu, un sourire plus ému qu'elle ne l'aurait imaginé de la part de la propriétaire et ce fut là la fin d'une expérience inoubliable.

  • C'est un récit agréable à lire, cela sent le vécu. "une lampe de cheveux " une faute de frappe.
    Merci pour la petite histoire.

    · Il y a environ 7 ans ·
    Mouftard compress%c3%a9

    Francis Fried

    • de rien et je corrige ça tout de suite ^^

      · Il y a environ 7 ans ·
      16117471 1285365338187236 334276238 n

      Lucie Labat

  • Pas mal du tout mais une relecture s'impose pour corriger qq boulettes. Je pense que tu devrais revoir la conclusion qui est un peu abrupte et décevante en y ajoutant un peu de lyrisme ou tout au moins l'espoir d'un rebondissement

    · Il y a environ 7 ans ·
    Avatar

    nyckie-alause

    • le lyrisme sonnait faux compte tenu du caractère abrupt du cadre mais merci pour ton commentaire et je corrige ça tout de suite ^^

      · Il y a environ 7 ans ·
      16117471 1285365338187236 334276238 n

      Lucie Labat

Signaler ce texte