Laura M.ou la chronique de Pertuis

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Laura vit dans le Bugey. Elle participe à de multiples activités associatives, croque des portraits et consigne avec humour et sens critique dans son journal l’actualité locale. Pour l’ex-parisienne, la vie à la campagne est peuplée de personnages.

Par moments, affleure un léger vague à l’âme. A 45 ans, Laura semble avoir abandonné tout projet de vie affective et s’en trouver très bien. Elle adore d’ailleurs Kundéra et ses Risibles amours, qui lui sert de référence dans ses réflexions générales sur le genre humain et sur l’amour en particulier. Elle ne s’en prive d’ailleurs pas auprès des deux copines dont elle accompagne la vie amoureuse mouvementée, qu’il se passe trop de choses ou pas assez.  Christiane n’en finit plus avec son psy et Micheline consomme les hommes.

Arnault, 23 ans, son fils, est musicien et vit à Lyon en collocation avec Lucas et Malik. Arnault évoque à sa mère quelques-uns de ses soucis : repas, vie en collocation, harcèlement des fille – il  exclusivement préoccupé par sa musique ... autant d’anecdotes pour Laura qui concocte des mini sketches. Un concours d’écriture se propose à elle, elle y répond.

Elle le gagne. Elle est invitée à venir présenter son travail sur une scène parisienne, d’autres auteurs et des éditeurs seront présents.

La veille du grand jour, Laura dort chez son fils mais elle devra dormir dans le même lit qu’une des copines grippée.  Elle se réveille avec une extinction de voix.

A Paris, elle arrive sur le lieu en avance.  Etienne, comédien, est là par hasard ; il cherche des idées. Il engage la conversation. Évidemment, aphone, Laura a de la peine à répondre. Cette femme en face de lui a l’air si décalée qu’elle le change « de tout ce qu’il connaît ! ».

Laura lui fait comprendre qu’elle a écrit des sketches. Intéressé, Etienne lui explique qu’il est comédien. Elle lui passe un feuillet, il lit et sourit : « C’est pas mal ». Laura est contente ; touché par sa spontanéité, Etienne reste à côté d’elle.

Vient le moment de monter sur scène. Laura tente d’expliquer qu’elle est aphone, on croit à un numéro comique. Elle supplie Etienne du regard qui la rejoint et invente une histoire abracadabrante la concernant comme s’ils se connaissaient de longue date. Laura est sidérée.

Laura et Etienne passent la seconde journée ensemble : lui, fait du mime et elle, lui tend des petits billets.

De retour, la maison paraît bien vide à Laura. Elle consulte internet. Tout y est : les spectacles d’Etienne mais aussi ses nombreuses compagnes et ce qu’elles pensent de lui (pas du bien). Laura est refroidie.

Etienne rappelle Laura, il est emballé, il souhaiterait jouer ses textes ou les faire jouer. Laura lui propose de venir. Pour éviter «toute ambiguïté», elle invite à son fils.

Etienne arrive donc le week-end où Arnault vient- enfin !- avec une copine. La mère n’a de regard que pour la nouvelle venue. Les copains débarquent aussi. Etienne qui pensait être tranquille avec Laura doit renoncer, il l’invite dîner «quelque part », mais justement « quelque part » à la montagne ça n’existe pas. Ils font des kilomètres …

Etienne tente de dire à Laura qu’il est séduit. Laura lui parle de tout ce qu’elle a lu à son sujet sur le net. Etienne est abasourdi. «Profondément déçu par ses compagnes », il se met à parler des femmes comme Laura parle des hommes. Ils évoquent Kundéra et se découvrent un nouveau terrain d’entente.

De retour, Etienne ne se sent pas très bien, Laura lui propose un alkaselzer. Arnault et Louise font de la musique. Impossible de dormir. Vers 3 heures, dans son lit, Laura écrit ; dans la cuisine, Etienne cherche un verre d’eau mais ne trouve rien. Laura se lève en nuisette, son texte à la main, prête à le commenter, elle capte le regard d’Etienne rivé sur elle et sort une blague. Lui s’approche doucement : « Et si on écrivait un chapitre ensemble sérieusement ? ». Décontenancée, elle sourit tristement ; il la serre alors contre lui tendrement.

 “21 avril 2010

Mario, le vieux célibataire du village, est mort d’un AVC, aujourd’hui à 16H30 au pied d’un arbre, à 20 mètres de l’école maternelle, dans les bras de Jacqueline. Cet homme a réuni au dernier instant ce qu’il n’a jamais eu sa vie durant, une femme, un jardin, des enfants …

Il y a 18 ans, je voyais des morts presque tous les jours ici. Maintenant, je les vois moins, me serai-je habituée ? A Paris, je n’en voyais pas. La mort rythme la vie comme les saisons, c’est aussi naturel qu’une respiration. J’aimerais parfois avoir le souffle coupé. Pourquoi est-ce que j’écris cela ? “

Le téléphone sonne. Laura arrête d’écrire et répond : « Oui, Albert. Je vous attendais, laissez-moi une minute, le temps de m’installer, je vous écoute … Alors votre équipe, elle se consolide ? … Je ne pouvais pas si bien dire ! Ah bon ? ...

Il est  20 heures. A cette heure-là, tous les dimanches, Albert Caglieri appelle Laura. C’est le président du club de foot de Pertuis, le club des Phénomènes, une équipe de foot féminine. Le club est né sitôt après la victoire de la Coupe du monde de foot des Bleus en 1998. Depuis 3 ans, recruter devient plus difficile. Albert Caglieri, lui, fait son possible : régulièrement des petites annonces sont passées dans le journal avec des photos et les scores de l’équipe.

Au ton d’Albert, Laura a tout de suite compris que cela ne s’est pas passé comme d’habitude. Elle écoute, s’étonne, prend des notes, très vite. Enfin, elle raccroche.

Quelle histoire ! Le match du jour, un match amical – Pertuis contre Sault-Brénaz -  fixé de longue date, était très attendu. Les familles  étaient toutes au rendez-vous ainsi que les curieux, des hommes pour la plupart comme chaque fois. Malheureusement, aucune des deux équipes n’était au complet. Devant la déception générale, Albert a proposé d’introduire deux hommes, pris chez les seniors 1 et 2 de Pertuis. De part et d’autre, la proposition a été acceptée, d’autant qu’il faisait beau et que tout le monde était venu pour voir un match.

Yvon, le sourire aux lèvres, jouerait pour Sault-Brénaz et Simon, le capitaine des Seniors 1, un très beau garçon, jouerait pour Pertuis.

Yvon s’est fait un devoir de marquer. Dans une équipe féminine, c’est en principe un jeu d’enfant. En tout cas, c’est ce qu’il s’est imaginé. Face à lui, Nadine, la femme du maire, solide et déterminée. Il sourit tout en driblant, mais au rebond elle lui pique la balle. N’importe, il va lui donner « une petite leçon » et la tacle en douce ! Ni vu ni connu ! Tu parles ! En pleine surface de réparation ! De douleur, Nadine, s’écroule. Nadine, à terre, on n’avait jamais vu ça !

Yvon est sanctionné d’un carton jaune et Nadine emmenée d’urgence par les pompiers. Sur sa civière, Nadine conseille qu’on évite de mentionner le taclage à Jean, son mari, qui « ne tardera pas à arriver ».

Albert a alors proposé que Régis Bolivard, un colosse, prenne la place de Nadine en défense – Ce qu’Albert ne savait pas et ce que sa femme lui a expliqué en rentrant, c’est que Régis et Yvon tournent autour de la même fille depuis des semaines, Mélanie Vogel, qui vient du Jura, comment est-ce qu’il ne savait pas ça, tout le monde le sait, sauf lui ?

Poursuite du jeu. C’est Simon qui tire le pénalty. Droit au but. Un-zéro pour Pertuis. Les grand-mères sont satisfaites, ce n’est que justice. Simon prend soudain une nouvelle dimension.

Sur le terrain, Régis et Yvon évoluent ensemble, à flanc l’un contre l’autre, le regard régulièrement fixé sur Mélanie. Une sorte de chorégraphie.

Les filles de Sault-Brenaz, impressionnées par la carrure de Régis et l’aventure de Nadine, conscientes qu’il est désormais inutile d’envoyer le ballon à Yvon, ne jouent plus qu’entre elles - Mélanie par intermittence envoie une balle à Yvon -.

Les Phénomènes, elles, ne visent plus que Simon. Très beau. Le capitaine des senior 1 est le passage obligé de tous les échanges. Les femmes remarquent son jeu de jambes, les filles le copie, leur jeu progresse. Les maris secouent la tête devant un succès aussi facile.

Mais Yvon crée la surprise. Quand, à la 70ème minute, il touche un ballon envoyé par Mélanie, c’est comme s’il avait reçu un trésor entre les jambes. Régis n’y peut plus rien. Yvon, sans égard pour sa taille, lui passe entre les jambes. Devant les buts, Mélanie l’attend, souriante, à ses côtés. C’est son heure, il va égaliser. Le public hurle. Régis revient, les Phénomènes suivent. Simon préfère rester en milieu de terrain.

Au moment où le colosse va lui fourrer ses pieds entre les jambes, Yvon sauve la balle, Mélanie la récupère. Pas pour longtemps ! Un hurlement se fait entendre du centre du terrain : « Allez les filles, faîtes passer la balle ! » C’est Simon. A cet instant, dans l’air, lancé par on ne sait qui, le ballon s’élève, et plane. Il retombe au milieu du terrain où Simon le reçoit.

Le capitaine se lance alors dans une course effrénée vers les buts, personne ne songerait à le poursuivre. Il s’immobilise et envoie son boulet. Deux à zéro pour Pertuis. - La jeune goal s’est tordu le poignet en se jetant dans les filets.-

Chez les femmes, c’est la liesse. Même les hommes le reconnaissent, la remontée était époustouflante. Les supporters de Sault-Brénaz se sentent un peu humiliés. La goal, qui a mal, ne veut plus jouer et personne ne veut la remplacer. Albert suspend le jeu, reporté « à une date ultérieure ». Quelques hommes à l’écart se tordent de rire ; d’autres sourient rassurés, c’était pas un vrai match ! 

Pourtant Simon connaît un  vrai triomphe et les enfants tous fiers se sont élancés vers leurs mères qui les tiennent embrassés.

C’est à ce  moment que Jean Voudrot débarque. Le pied à peine posé au sol, le maire est mis au fait de la situation. Sa femme a été lâchement mise à terre et blessée avant d’être évacuée, certains ont même plaisanté, et stupeur ! Pertuis est hilare. Jean est touché au cœur, c’est un vrai reniement.

Il vient de joindre Albert : il porte plainte, réclame des excuses et l’exclusion définitive d’Yvon, la responsabilité d’Albert est engagée.  Et si maintenant, il doit payer pour la connerie des autres,  il ne sera pas le seul. Plus de subventions pour ce club de demeurés. 

Evidemment, ce match c’est celui que Laura aimerait raconter … la véritable histoire de Pertuis, ce qu’on ne vous a jamais raconté et qu’on ne vous racontera jamais … Laura rêve d’une autre chronique que celle qu’on lui confie. Elle en a encore le sourire aux lèvres.

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