LA BO DU FILM QUI N'EXISTE PAS ENCORE
Sylvie Chekroune
Sylvie CHEKROUNE
Koza Belleli
16, rue Joseph Kosma
75019 PARIS
Tél : 01 48 03 10 83 – 06 07 82 61 18
Dépôt SGDL n° 2005.06.0027
La B.O. d’un film… qui n’existe pas encore
La B.O. en quelques lignes...
Lui : une petite frappe qui arpente les quais.
Elle : une Princesse, venue de nulle part, qui débarque dans sa vie.
Elle est belle.
Belle comme un ange qui le sauve, lui, de la dérive.
Belle comme un démon qui prend les hommes dans les mailles soyeuses de ses filets.
Leurs cœurs, gros comme ça, battront la chamade à l’unisson.
Elle et lui, unis, pour le meilleur, pas pour le pire.
PREMIERE BOBINE
C’est lui qui raconte.
Le port, c’était mon pays. Les quais, les artères de ma vie.
J’arpentais la première heure du jour et l’aube hésitait encore entre le brouillard et la pluie.
D’elle, je n’ai d’abord vu qu’une faible lueur. Etrange, étrangère, comme une étoile solitaire. Au fond du ciel elle semblait avoir cherché refuge.
Mes pas m’ont mené vers elle. Je l’ai trouvé jolie. D’emblée, je lui ai demandé :
- Comment tu t’appelles ?
- Ce matin, je m’appelle Princesse.
L’aube, qui avait finalement choisi la pluie, bordait ses yeux de larmes.
Je l’ai emmenée au Bar de l’Espoir se réchauffer d’un café noir. En matant la mignonne accoudée au comptoir, mon cœur m’a dit :
- Fais gaffe ! Princesse ! Princesse ! Ce nom là c’est déjà toute une histoire.
Vogue vogue le bateau
Sur les quais au bord de l’eau
J’ai rencontré ma princesse
Dans les pâles lueurs de l’aube
Brillaient ses feux de détresse
J’ai dit si t’as le cœur gros
Viens le mettre sous ma veste
J’ai dit j’ai pas de boulot
Pas de vaisselle pas d’adresse
Je fais des tours de passe-passe
Chez les notables les notaires
Des p’tits larcins des p’tits casses
Quand il fait trop froid l’hiver
Vogue vogue mon bateau
Voguent voguent mes galères
Dans mon âme me matelot
Les larmes se jettent dans la mer
Sur les quais luisants de pluie
Elle s’est serrée contre moi
Au fond de ses yeux meurtris
Scintillaient des feux de joie
Elle a dit tu sais rien d’moi
D’où je viens c’que j’fais ici
Elle a dit tu veux bien de moi
De mon destin d’mes ennuis
J’fais payer le temps qui passe
Aux notables aux notaires
Et je reste devant ma glace
Quand il fait trop froid l’hiver
Vogue vogue mon bateau
Voguent voguent mes galères
Dans ton coeur de matelot
Mes larmes se jetteront dans la mer
Nos visages à l’abordage
Nous nous sommes embrassés
Dans les plis de son corsage
Brillaient des trésors cachés
J’ai rangé ses deux magots
Bien à l’abri sous ma veste
Ses pairs de bas ses tricots
Ses menottes et tout le reste
J’ai rangé ses yeux si beaux
Bien à l’abri des tempêtes
Et tout l’or de ses anneaux
Ses fous rires ses histoires bêtes
Voguent voguent les bateaux
Voguent voguent les galères
Dans mon cœur de matelot
Ses larmes se jettent dans la mer
Pour abriter sa vie, j’ai pris un p’tit meublé. Au mur, j’ai mis des couleurs et deux fenêtres qui s’ouvrent grand large avec, au loin, pour ses beaux yeux, beaucoup de bleu.
Aux premières lueurs, c’est son moment préféré, elle fredonne comme une enfant :
- « C’est aujourd’hui dimanche, les riches mangeront leur quatre heures sans relever les manches ».
Cela me fait rire. Je lui demande alors :
- Qu’est-ce que tu vas faire jusqu’au goûter ?
- J’sais pas encore. Mettre un pull-over, peut-être aller me promener. Et toi, que vas-tu me rapporter ?
- J’sais pas encore. Une vraie montre en or qui sonne tous les quarts d’heure ou des bas de nylon. Tout ça, ça te plairait ?
- Tout ça, ça me plaira ! Tu penseras aux gâteaux : un éclair, un baba. T’oublieras pas ?
Comment je pourrais l’oublier. Près d’elle, même le lundi, c’est dimanche et quand, aux premières lueurs, je la vois s’habiller, je pense :
- Pour toi, pour toi, j’vais détrousser les riches et retrousser mes manches.
Lulu
J’te vois derrière mes carreaux
Je te vois de bas en haut
Tes fossettes au bas du dos
Et tous les grains de ta peau
Je vois c’qu’il ne faut pas voir
Les petits pois de tes soies
Mais je vois surtout le soir
Que tu n’as pas peur du noir
Oh Lulu oh ma lueur
Quand tu me croques le cœur
Il me monte des vapeurs
De la buée du bonheur
Je te vois derrière mes vitres
Les jours dits quand tu t’invites
Les yeux frangés de bakélite
Et tes talons qui crépitent
Je vois même c’que je veux voir
Quand, nue derrière ton mouchoir
Tu fais semblant de n’pas voir
Que je t’attends dans le noir
Oh Lulu oh ma lueur
Quand tu me croques le cœur
Il me monte des vapeurs
De la buée du bonheur
Un jour, après tous ceux qui sont déjà passés, un jour et c’est déjà l’hiver. Ce jour là elle fait mailles à l’endroit, mailles à l’envers
Elle porte la montre en or qui sonne quand elle donne l’heure. Elle caresse son chat Abel et elle me dit comme ça :
- Si je chipais avec toi ?!
- Si tu chipais avec moi, ça ferait plus pour toi.
- Dans ma petite robe noire, il y a mon carnet d’adresses. Du beau monde, du gratin qui va à confesse.
- Imagine ce qu’on ferait Princesse ! Des voyages, des châteaux en Espagne !
- Evidemment, je m’enfuirai par les toits.
- Non mon amour, tu t’enfuiras dans mes bras.
Il fait nuit. Elle s’est approchée de moi et sur la corde d’un ancien casse, elle danse. Ses pas et ceux du chat font mailles à l’envers, mailles à l’endroit.
Mon ange
Je t’ai fait une échelle
Qui descendra du ciel
Tes valises tes voyelles
Et tes petites ailes
A chacun des barreaux
Conçus pour talons hauts
Tu trouveras un cadeau
Du bolduc un gâteau
Je t’attendrai en bas
Des roses plein les bras
Et je materai tes bas
De maille fine extra
Viens près de moi mon ange
Dis moi le mot qui change
Ma vie qui la dérange
Qui rit quand je te mange
Je t’ai fait une chapelle
Boul’vard de Bonne Nouvelle
Pleine de cierges de missels
De chez la Mère Michelle
Si tu perdais ton chat
T’inquiète je serai là
Du dimanche au sabbat
A l’hôtel rue Labat
Avec ta belle échelle
Nous chercherons Abel
Des gouttières jusqu’au ciel
Même le soir de Noël
Reste près de moi mon ange
Tes aisselles me démangent
Et leur parfum d’orange
M’encense quand tu me mangues
Je t’ai fait une marelle
Une bague des bagatelles
Peccadilles en dentelle
Pour tes seins de donzelle
Pour le tour de ta taille
Et pour nos fiançailles
S’il faut qu’on s’en aille
Nous irons vaille que vaille
Même en chemin de fer
Contre tous et envers
Crois de bois croix de fer
Si je mens ce sera l’enfer
Epouse moi mon ange
Dis moi oui ça m’arrange
Mon cœur ma robe ma frange
Je ris quand tu les manges
Alors on vole ensemble, de victoire en victoire.
Faut la voir ma gonzesse ! Armée de sa petite robe noire et de son carnet d’adresses, elle fait des prouesses.
C’est qu’elle a de la clientèle. Des barons, des notaires, des patrons, des experts. Et pour ceux qui sont dans l’import-export, elle s’est mise aux langues étrangères. Une heure de cours par jour.
Je la fais réviser :
- Is your dady rich ?
- I never knew my dady and my dady never knew me. It doesn’t matter today. I have a sweet lover, so sweet lover.
Notre tandem marche du tonnerre. Et puisque la clientèle veut renouer les liens et les lacets de ses jolis corsets, du droit chemin elle les éloigne.
Ah Princesse ! Mon cœur me l’avait bien dit. Ce nom là c’est toute une histoire.
Faut entendre tout ce qu’elle leur raconte. Que des sornettes ! Que des conneries ! Que de la roupie de sansonnet.
Pirate
Mon homme était pirate
Bandit de grands chemins
Des Açores aux Carpates
D’Istanbul à Pékin
J’étais son adorée
Sa lumière du matin
Il était à mes pieds
Y posait son butin
De l’or et des turquoises
Des bouquets de jasmin
Des perles et de l’ivoire
Des fruits pour nos festins
Et quand tombait le soir
Pour moi Shéhérazade
Il contait des histoires
De roses et de naïades
Hélas tout a une fin
Mais il n’en savait rien
Au ciel sont les étoiles
En bas les fleurs du mal
Ses roses et ses naïades
Aux sourires cristallins
Ont sombré dans la rade
De mon esprit malin
Alexandre ou Mausole
Comment s’appelait-il
Ce Crésus cet Achille
Voguant sur le Pactole ?
Qu’importe !...
Sur mes reins mes sept voiles
Ont eu raison de lui
Etendu sur la toile
Qui défaisait mon lit
A l’aube d’un matin clair
Sur le bleu de Thétys
Je l’ai mis aux galères
Et suis devenue riche
Hélas tout a une fin
Mais il n’en savait rien
Au ciel sont les étoiles
En bas les fleurs du mal
Un grand turc un khédive
Par l’odeur alléché
A Troie m’a fait captive
Au sérail m’a bouclé
Les barreaux de ses cages
Sur moi se sont fermés
J’étais plus que volage
Il me l’a fait payer
Mais j’ai trouvé la clef
Et ma chair mes trésors
Je les ai remballés
Hisse ho ! Voile dehors
Dans le petit matin
Parce que moi je sais bien
Au ciel sont les étoiles
En bas les fleurs du mal
Pendant que les clients font le pied de grue en écoutant ma Belle, armé d’un pied de biche, je dévalise leurs escarcelles.
Tout va comme sur des roulettes. L’argent coule à flot. Costard cravate sur la Croisette et cœur croisé au Grand Hôtel.
L’argent coule à flot et si parfois, il nous en manque, elle compose le numéro de la gazette et dit de sa belle voix d’hôtesse de l’air :
- Bonjour Madame, pourriez-vous me passer le service des petites annonces ?
La petite annonce
Je veux un chercheur d’or
Ou un toréador
Je ne sais pas trop encore
Mais
Je veux un homme un fort
Qui ferait Gladiator
Et la Chasse aux Trésors
Je veux une âme tendre
Ou un cœur gros à prendre
Un pro qui sait s’y prendre
Bref
Je cherche homme à calandres
Qui renaît de ses cendres
Me suis-je bien fait comprendre
C’est une petite annonce
Qui attend une réponse
J’accepte Albert Alphonse
Si Adolphe je renonce
Je veux un bel indien
Ou un bel italien
Ou un américain
Voir
Même académicien
Ou mathématicien
Enfin quelqu’un de bien
J’veux un homme de la ville
Un fils de bonne famille
De la lignée d’Eschyle
Bref
J’veux plus être une vieille fille
Pucelle aux pieds d’argile
Aux talons sans aiguille
C’est une petite annonce
Qui attend une réponse
J’accepte Anselme ou Nonce
Si Adolphe je renonce
Je veux un homme à poigne
Qui pleure quand je m’éloigne
Il peut s’appeler Antoine
Non
Je le veux près de moi
Du matin jusqu’au soir
Relisez à haute voix
C’est une offre d’emploi
Minimum bac plus trois
J’accepte Bertrand Benoît
Au banc d’essai un mois
Si Adolphe, j’embauche pas
Souvent après le turbin, elle pose sa tête sur mon épaule et murmure :
- Je t’aime. Je t’aime plus que la mer. Besa me. Besa me mucho.
Je ne me fais pas prier. Ses lèvres et sa peau d’ange, je les baise aussitôt.
Jusque là, je regarde le film et toutes les scènes sont bien.
Mais un matin, un marlou, un macho, un filou, un zéro s’est entiché d’elle. Tu penses ! Une Princesse ! Fallait le voir. Un texan de Marseille, un vrai avec l’accent. Il paradait :
- You know what I mean. I’m not du genre mariolle. J’vais t’emmener à Végas.
Va pour Végas. Un coffre, ici ou là, tant qu’il est plein, c’est toujours mieux qu’un trou dans la besace. Et le sien, au zig, c’était le gros lot.
Ma P’tite a de la chance. Elle fait sauter la banque, elle est élégante et sa voix est belle quand elle lane :
- Banco pour moi, ça pour le personnel.
Mais lui, ce nase, il a tout fait foirer. Un soir, il lui dit :
- You see les pesos, don’t touch ! Seulement moi te les donner.
Alors elle, encore gentille, a répondu :
- you know les pesos, I love so much ! Seulement moi les dépenser;
Comme dit le proverbe, ça pouvait plus durer. Il s’est fâché very worry. Elle s’est fâchée ma Jolie, et je me suis fâché aussi.
Après ? Après, nous nous sommes faits serrer. Juste avant la traversée. Celle du désert et de la mer.
Au feu, le flic a dit : « Hands up ! ». En rouge était écrit : “Don’t walk ! ».
Tout ce qu’il me disait
Tout ce qu’il me disait
D.i. s. a. i. t.
Sur le champs j’le faisais
Ou j’allais m’aliter
C’est que j’avais la fièvre
F. i. e. v. r. e.
Quand du bout de ses lèvres
Il murmurait je veux
Là-dessus je mets l’accent
A. c. c. e. n. t.
Il est très important
De dire la vérité
Nous nous étions connus
C. o. n. n. u. s
On the beach Malibu
Californie U S
Il me trouvait sensuelle
Très jolie demoiselle
Entre highway et le ciel
Sur sa mob Hell’s Angels
De Venice à Vegas
Il était beau et grave
Santiag’ et carré d’as
Il allait fier et brave
Mais ça n’a pas duré
Trop de haine dans monnaie
Il voulait rien laisser
Dans mon panier percé
Là-dessus je mets l’accent
A. c. c. e. n. t
Il est très important
De dire la vérité
Alors j’ai mis les boots
Deux « o » pour les lacets
Et j’ai repris la route
Direction Santa Fe
Avant j’l’ai liquidé
Lui et ses belles manières
Ses cuirs ses pull-overs
Et ses liasses de billets
Pourtant j’l’avais prév’nu
J’voulais pas le saigner
Je voulais quelques thunes
Histoire de m’amuser
Tout en roulant mes « r »
Messieurs dames les jurés
Il faut me pardonner
Parce que je suis sincère
Là-dessus je mets l’accent
A. .c c. e. n. t
Je devais tout bonnement
Vous dire la vérité
DEUXIEME BOBINE
C’est elle qui raconte.
Aujourd’hui j’ai eu de la chance. Le juge m’a libéré. Maintenant j’m’appelle Clémence.
Mon homme, mon nom, il ne le sait pas encore. Il sait seulement qu’il en a pour un an. Un an qu’il dit, à attendre sa Princesse derrière les barreaux.
J’ai un an aussi, pour tenter de nous refaire entre les visites au parloir. Je reste près de lui à Vegas. Je vais changer de métier, ranger ma petite robe noire et mon carnet d’adresses.
Je vais faire manucure, diseuse de bonne aventure, marchande d’allumettes. Non ! Je vais plutôt faire dans la coiffure. « Cheveux lisses from Paris ». Ca va marcher. Ce sera du dernier chic et à chaque coup de peigne, je ferai rentrer le fric. Et celui-la, je le placerai partout. A droite, à gauche et surtout dans mes bas de laine.
Mais je suis triste, trop far away from lui. La seule chose que je veux, c’est que ce soit dimanche, pour le revoir enfin.
Et quand ce sera lundi, mardi ou mercredi, jeudi ou vendredi, et puis tous les samedis, je lirai et relirai ses lettres. J’les apprendrais par cœur. Ce sera mon seul bonheur.
Ma Dulcinée
Oh ma bien aimée
Ma bien roulée
Je t’avais dessinée
Marchant à petits pas
Perchant tes petits bas
Ma douce Dulcinée
Tous mes crayons taillés
Je les faisais glisser
Sur tes cils ricilés
Oh ma bien aimée
Ma bien moulée
Je t’avais recopiée
Sur la première page
D’une feuille à grand tirage
Et les soirs sous la lune
Je t’avais à la une
Ma doute Dulcinée
Tous mes crayons
Je les faisais glisser
Sur tes lèvres mouillées
Oh ma bien aimée
Ma bien balancée
Je t’avais rapporté
Mon petit fait divers
Mon petit fait d’hier
J’étais voleur de toi
Je ne voulais que toi
Ma douce Dulcinée
Tous mes crayons taillés
Que je faisais glisser
Ils les ont retrouvés
Oh ma bien aimée
Ma belle dérobée
Je vais te raconter
Ce qu’ils ont fait de moi
Qui ne fauchait que toi
Ma douce Dulcinée
Sur mes crayons taillés
Fagotés en bûcher
Ils m’ont tout calciné
Ils m’ont tout calciné
Son moral est au plus bas.
Alors je lance la mode des chignons hauts et j’encaisse, à tour de bras.
« Cheveux lisses from Paris », toutes les stars s’y précipitent. Elles m’ont offert Oscar, un persan bleu et, je sais pas pourquoi, un nom d’artiste : Emilou. Emilou, c’est pas mal ! C’est même plutôt joli !
Le dimanche je lui raconte tout ça et tous les dollars qui nous attendent.
Je lui dis : « Tu sais, je sors pas le soir. Je compte les jours qui passent sans toi mon amour. Ca fait déjà six mois ».
Je sors mon mouchoir parce que je pleure. J’essuie mes larmes et je lui promets : « Bientôt nous irons à la plage cuando callente al sol. Cuando callente al sol, tu me prendras dans tes bras ».
Mais un gardien toujours arrive. C’est l’heure de dire au revoir. Je range mon mouchoir et quelque chose au fond de moi.
Le juge, un homme de goût, vient me rendre visite.
- You’re so very very pretty.
Il vient le mardi et le samedi. Shampooing, coupe, darling.... Pas tout à fait gratuit.
Dans trois semaines c’est Noël. Hier il m’a demandé :
- What do you want for Christmas ?
- I want une lime à ongle en or 18 carats et 150 paires de bas de soie.
EMILOU
Emilou mon voyou
Une espèce de voyelle
Toute sans dessus dessous
Pas jolie, plutôt belle
C’est un p’tit bout de rien
Qui n’a pas peu du tout
Pas même du vaudou
Pourtant c’est un vaurien
Quand elle est très vilaine
Moi je défile doux
Sa paire de bas de laine
Qui lui mord les genoux
Puis je croque la moue
De ma croque-mitaine
Et j’écris sur son cou
J’ai d’la veine je t’aime
C’est la fête, mais j’aime pas la dinde et les marrons. Qu’importe ! Demain c’est dimanche et c’est bien mieux que Noël.
Pourtant, je ne devrais pas médire, le Père Fouétard n’est pas passé.
C’est aujourd’hui dimanche. Je suis allée voir l’homme de ma vie. A peine maquillée, dans une jolie robe rouge. Dans mon panier j’ai mis, sous la galette et le petit pot de beurre, la lime à ongle en or et les 150 paires de bas de soie.
De retour au Salon de coiffure, je mange tous les chocolats du calendrier de l’Avent et je compte les jours, à haute voix : 26, 27, 28, 29, 30 et 31 !
A ce moment là, je mets une robe du soir et je vais saluer son gardien haut perché, façon p’tite caille sur canapé. Je titille ses cellules. Mais attention ! Pas touche aux terminaisons nerveuses.
Aux douze coups de minuit, au revoir et bonne année !
Voilà ! Croira ou croira pas. Ca c’est passé comme ça !
Maintenant, les secondes s’écoulent. Mon amour et moi sommes ensemble. La route est longue mais je roule vite.
Ce n’est que deux jours plus tard, en achetant le journal, que j’ai revu le juge et son gardien de phare sous un gros titre en lettres noires :
Etrange affaire : une coiffeuse est portée disparue. Un prisonnier s’est échappé. Serait-elle sa victime ? Serait-elle sa complice ? Le juge mène l’enquête.
COMPLICE
C’est l’histoire d’une complice
Que j’suivais à la trace
Jolie sous sa pelisse
Ses dentelles éparses
L’histoire d’une cicatrice
Paraphe de cette garce
En silence et en douce
Ses prunelles me couvraient
La peau d’une onde rousse
Et sur moi je laissais
Se creuser sous sa bouche
Un sillon un long trait
C’est l’histoire d’une faille
Où j’ai glissé un soir
Avant qu’elle ne se taille
Sans même me dire au revoir
Me laissant sur la paille
Au fond d’une nuit noire
En mordant si voraces
Ses dents ont déchiré
Mon cœur emplit de liasses
Et elle a tout flambé
Mon amour mes menaces
Elle avait l’feu sacré
C’est l’histoire d’une complice
Qui tue d’un coup de grâce
Laissant pour la police
Qu’une petite trace
Qu’une belle cicatrice
Paraphe de cette garce
C’est lui qui raconte…
La frontière est derrière nous.
Ma Princesse s’est endormie et je dévore les reflets de son visage. J’entends battre son cœur et j’ose lui dire tout haut ce que je pense tout bas.
Ma jolie chose, mon rêve, ma liberté, il était une fois, un vaurien, une p’tite frappe qui ne t’attendait pas.
Ma jolie rose, my beauty rose, ma fille de soie, il était un truand, un voyou moins que rien qui te réveillera et qui t’emportera.
Ma Princesse au p’tit poids, le bonheur, infidèle, est revenu sur ses pas. Il est revenu pour toi. Regarde ce qu’il t’offre déjà : une paire de soulier de vair, un petit pot de beurre, une galette des rois.
En prison j’ai vendu mes bottes de sept lieues pour une coquille de noix.
Demain chez Luiz, le marin, dans l’aube couleur lilas, je te donnerai ma parole. Je te donnerai ma vie.
BEAUTY ROSE
Ecoute petite idylle
Petit poisson d’avril
C’est une question d’amour
Qui nage tout autour
De toi de tes atours
Qui te couvre d’un fil
Ecoute ma vilaine
Ma p’tite seiche ma murène
C’est une histoire d’amor
Celle d’un pêcheur de sort
Qui n’a pas que des torts
Dans ses maillots de laine
O Beauty Beauty Rose
Fais de moi quelque chose
Quelque chose qui se trame
Piqué pic mélodrame
Regarde mon petit loup
Mes gros mots mes mots doux
Jettent l’ancre dans tes veines
Pour mieux te prendre sirène
Dans le flot des rengaines
Regarde ma méchante
Mes paroles alléchantes
Débarquent sur tes genoux
Pour mieux te mettre à bout
Et monter à tes joues
En vagues déferlantes
O Beauty Beauty Rose
Fais de moi quelque chose
Quelque chose qui se trame
Mais ne fais pas un drame
Je te jure ma jolie
Mes bobards mes folies
Mes virées à bâbord
Mon matelas à ressorts
Au fond par dessus bord
Coulés jusqu’à la lie
Je te jure ma poupée
Toutes mes embardées
Sans foi et sans remord
Sans toi jusqu’aux Açores
Sur les quais du vieux port
Pour toi j’ les ai larguées
O Beauty Beauty Rose
Fais de moi quelque chose
Quelque chose qui se trame
Piqué pic mélodrame
C’est elle qui raconte…
Depuis ce matin j’m’appelle Beauty. C’est mon amour qui me l’a dit.
On a dormi chez Luiz. Luiz il a été marin. Aujourd’hui il est malin. Son bar est toujours plein. Au bar, ça va ça vient. De partout et d’ailleurs… Et d’ailleurs, histoire d’augmenter sa clientèle, nous avons fait un marché. Rhum et café pour Luiz. Des cachets, des cachous pour nous. Moitié, moitié, top là. Au même comptoir, ça défile du matin au soir.
L’officine, pas très officielle, affiche complet. La police est aux frontières et c’est plus la galère.
Le vent doux berce la nuit et je compte les étoiles. La main de l‘homme que j’aime est dans la mienne. Mon cœur palpite au rythme des pépites qui tombent dans la caisse et je me dis : bientôt la maison, bienvenue sur le paillasson, des clématites et un balcon, la vie enfin cadeau.
Mon amour doit m’entendre, même quand je ne parle pas. Il me serre dans ses bras et glisse un petit papier dans mon décolleté. Dessus il a marqué :
« De toi j’aime tout : tes bisous, tes genoux, tes dentelles vues d’en dessous, tes roudoudous. Je peux devenir ton époux ? »
J’ai dit oui.
Je dis oui et nous sommes vendredi. Le soleil brille. Au bar de Luiz, les clients nous attendent. On chante, on danse, on danse encore et encore. Et c’est merveilleux.
Et hop ! Bibop ! Chattanooga Choo Choo, Moonlight Serenade, Kalamazoo. Encore et encore ! Ca me va bien d’être jeune mariée. Le soir nous raccompagne sans même nous faire payer. Mon alliance brille plus que les quartiers de lune. Dedans mon homme a fait graver : A toi pour toujours.
LES CACHETS DE CACHOU
Tous les cachets de Cachou
En dessous j’les ai cachés
Pour ne laisser qu’un paquet
Celui de mes billets doux
Où j’ai glissé les cachets
De ses nuits sur mes genoux
Cachou que je décachette
De ses deux pieds à la tête
Elle suce la nuit en cachette
Tous les morceaux de ma tête
Sans mes billets elle se noie
Noie toujours Noix de cajou
Que je cajole sur ma joue
Plus foncée que l’acajou
Comme les pastilles de cachou
Cachou que je décachette
De ses deux pieds à la tête
Elle suce la nuit en cachette
Tous les morceaux de ma tête
Mais le grain de Cachou
Que tous les soirs je rachète
Elle m’assène de sa foudre
Elle glisse dans un sachet
Et me réduit en poudre
Pour faire de moi un cachet
Qu’elle suce la nuit en cachette
De ses deux pieds à la tête
….
Avec le café du matin, je compte les pesetas et je les mets en tas. C’est bon pour le moral. Les affaires sont bonnes mais Luiz lit le journal. Les lettres sont noires, en caractère gras.
La police est sur la piste des fuyards. Le juge, muni d’un mandat d’arrêt international s’apprête à faire un coup d’éclat. Notez que sa carrière est déjà jalonnée de grands succès qui resteront à jamais dans les annales judiciaires. Souvenez-vous : l’arrestation de Malko le trafiquant, la fin de la cavale de Gigi le voleur en série, l’incarcération de Vargas le politicien véreux et enfin la mise en détention de Blanca*, la tenancière de maisons closes. Dans les milieux autorisés, l’on s’accorde à dire que l’arrestation n’est plus qu’une affaire de quelques jours et que les coupables seront bientôt sous les verrous.
Au dessus du bar, la pendule sonne 10 heures. Mon amour fait les sacs et Luiz nous lance les clefs de son van. Le port est là-bas et son radeau s’appelle ELLE ET MOI.
Le vent tourne et se lève pour nous. La mer est grande et la plus belle île est à six milles de là.
___________________________________________________________________________
* NDLR : Plus connue sous le nom « La fille aux sequins » : lire en exclusivité les révélations faites par le juge pour nos lecteurs.
J’avais mis sous séquestre
Une fille aux sequins
Elle me devait, la peste
Une nuit sous ses mains
Quand elle ôta son gant
Elle me donna l’espoir
Parfumé d’un onguent
De lys sur sa peau noire
Mais c’était une catin
Aux piécettes d’argent
Trébuchantes au matin
Aux pieds de son divan
Quand elle prit avec elle
Toutes mes bourses d’écus
Elle ignorait la Belle
Qu’elle ne le ferait plus
Car d’une main de fer
Volant sur les pavés
Moi je l’ai mise aux fers
Et saisi ses baisers
Depuis notre arrivée, l’île n’est plus déserte. Le lait de coco coule à flot et notre cabane est coquette. Le ciel est bleu. Nous sommes très heureux. Pendant un temps nous avons cherché de l’or, mais nous n’avons trouvé que quelques mouettes et quelques crabes. Alors on a laissé tombé.
Tous les dimanches, Luiz vient pour des parties de pêche : poissons aux belles écailles, langoustes et branches de corail. Et là, c’est arrivé.
Beauty, qui nage mieux que vous et moi plonge sans cesse. Voilà qu’elle remonte, qu’elle nous montre son sourire aux lèvres et une coquille pleine.
Depuis, elle enfile les perles et elle aime ça. Elle dit que c’est plus intéressant que « maille à l’envers, maille à l’endroit ». De toute façon, ici il ne fait pas froid, alors ...
Avec l’argent de cette fortune de mer, Luiz nous a ramené un tourne-disque avec un disque. Je le remonte et ça grésille. Beauty écoute et fredonne un grand succès. Peut être vous connaissez : « Petits dialectes » :
Sur ta nuque
Je reluque
La prise de tes hameçons
Mes petits caleçons
Mais je suis en cale sèche
Sans eau ni os de seiche
Sur la plage déserte
Où cent fois je répète
L’été je me délecte
De tes petits dialectes
Sur ta peau je m’insecte
Adepte de ta secte
Sur le bord de ma taille
J’ai planté du corail
En barrière sous le vent
Pour faire tes grandes dents
Et dans mes cheveux d’ange
Si blonds quand tu les manges
J’ai mis des coquillages
De beaux poissons qui nagent
L’été ils se délectent
De tes petits dialectes
Sous ta ils s’injectent
Adeptes de ta secte
Tu sais je suis gentille
Pas sotte et belle fille
Parfois même adorable
Dans les p’tits bacs à sable
Et pour notre voyage
J’apprendrai je suis sage
Tout au long de l’hiver
Ton beau vocabulaire
L’été je me délecte
De tes petits dialectes
Sur ta peau je m’insecte
Adepte de ta secte
Ainsi va la vie.
Maintenant que nous n’avons plus d’adresse et plus de flic aux fesses, Princesse et moi nous avons un bout de chou, un vrai morceau d’amour, une parcelle d’elle et moi. Et j’en suis dingue. Plus dingue, ça se peut pas. Beauty môme, elle est notre rêve, tout ce qu’on n’avait pas.
Je lui écris des lettres que je dépose dans le nid des oiseaux. Le courrier, ici, vol à merveille. Elle les reçoit chaque jour, tombées du ciel. Je lui lis à son réveil. Y’en a des qu’elle préfère. Celles où je parle d’amour. Ses yeux sont grand ouverts et j’éclairci ma voix.
Première lettre :
Je te parlerai d’amour
J’en parlerai tous les jours
Sans attendre le retour
De l’hirondelle des faubourgs
Je t’offrirai du velours
Des p’tits cailloux pour ta cour
Une aubade des troubadours
Un escalier une tour
Auprès de toi ma princesse
Je suis en état d’ivresse
Et de légitimes promesses
Voici la corde pour mon cou
Mes valises mes billets doux
Mes bras en croix mes genoux
Mon grand totem mes tabous
Voici la peau de mes joues
Mes réglisses mes scoubidous
Mes baisers mes quatre cents coups
Mes écus pour tes dessous
Auprès de toi ma princesse
Je suis en état d’ivresse
Et de légitimes tendresses
Je pos’rai d’un geste fier
Des fruits des baies de genièvre
Des bâtons de rouge à lèvres
Du poison pour les sorcières
Et tu liras sur mes lèvres
Mes suppliques ou bien mes peines
Et tout mon abécédaire
Qui va d’amour jusqu’à z’aime
Deuxième lettre…
C’est un petit morceau d’amour
Que j’ai croqué au coin du jour
C’est une bêtise de Cambrai
Qui défait bien mes lacets
C’est une garçonne au long cours
Qui me dit « Va faire un tour »
C’est une garce de dentelle
Qui lève ses yeux jusqu’au ciel
Pourtant vrai je l’aime d’amour
Quand ses talons griffent ma cour
Pour vrai je l’ai dans le cœur
Elle me porte bonheur
Pourtant vrai je lui dis toujours
Attention mon Chaperon Rouge
Ma Princesse ma Blanche Neige
Je t’aimerai plus qu’hier
J’ai toutes mes heures à lui revendre
Toute ma vie, mes plates bandes
J’ai du malheur à lui reprendre
Pas ses pâtes d’amande
C’est une petite fleur de violette
Qui dit « J’m’en vais si tu m’embêtes »
C’est un flirt qui tangue des hanches
Du lundi au dimanche
C’est une fille au clair de lune
Qui s’en vas dérober mes thunes
Qui aime le réglisse, le satin
La soie et le jasmin
Pourtant vrai j’écris sur les murs
Seigneur D…. pourvu que ça dure
Pourtant vrai j’écris à la craie
Je te laisserai jamais
Pourtant vrai je soupire toujours
Quand elle rase le creux de mes joues
Ma Princesse ma Blanche Neige
Barbe Bleu elle le hait
J’ai toutes mes heures à lui revendre
Toute ma vie, mes plates bandes
J’ai du malheur à lui reprendre
Pas ses pâtes d’amande
C’est une liseuse une emmerdeuse
C’est une oiseuse une paresseuse
Qui se couche au pied de mes lettres
Qui fume à sa fenêtre
C’est une gamine qui la ramène
Sans accent grave pour mes peines
C’est une petite faiseuse d’histoires
Qui me ment tous les soirs
Pourtant vrai je lui dis souvent
Viens avec moi fait l’enfant
Pourtant vrai elle m’écoute alors
Et son silence est d’or
Pourtant vrai je lui dis toujours
Gare au loup mon Chaperon Rouge
Ma Princesse ma Blanche Neige
Il te cherchait hier
J’ai toutes mes heures à lui revendre
Toute ma vie, mes plates bandes
J’ai du malheur à lui reprendre
Pas ses pâtes d’amande
- FIN -
Euh... si c'est exprès, c'est totalement génial!
· Il y a environ 14 ans ·ko0