Laurie-Anne

veroniquethery

   Laurie-Anne écoutait, en boucle, « la Sicilienne » de Fauré. Les notes s'enchaînaient, lentement. Emprisonnant son âme ou son esprit dans son fourreau mélancolique. Le pianiste jouait à un tempo nonchalant, qui convenait bien à son humeur. Une démonstration qu'elle avait trouvée sur le net, destinée à aider les apprentis interprètes à identifier le doigté complexe, que les éditeurs avaient, par économie, pris garde de ne pas indiquer sur la partition.

   Elle aimait ce morceau au rythme rapide, et qui semblait si facile à jouer. Facile à jouer, comme la vie elle-même. Se lever, inspirer, expirer. Travailler, inspirer, empirer. Aimer, respirer, étouffer. Vivre et ne pas tomber.

   Laurie-Anne se souvenait de ses doigts qui glissaient sur le clavier, comme glissaient les êtres autour d'elle. Elle ne les voyait plus. Ils avaient disparu comme les notes. A peine jouées. Envolées.

   Longtemps, elle avait écouté des interprétations en duo. Harpe et flûte. Ensemble de guitares. Elle même avait accompagné au piano son amie au violoncelle. C'était le temps où les êtres existaient encore. C'était le temps où les notes avaient encore un sens.

   Les souvenirs aussi se sont éteints. La lumière a baissé au dehors.

   Dehors, le soleil éclaire la fenêtre. De l'autre côté de la vitre, un visage s'est éteint.

   Le piano a fini sa complainte. Lentement.

  Plus le moindre bruit. Le piano s'est éteint, aussi lentement que le cœur de Laurie-Anne.

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