L'aurore boréale de Kiruna, Suède
misanthrope
Il est encore tôt dans cette matinée hivernale, mais je dois me lever. Je suis arrivé dans ce cottage rustique aux formes étranges il y a deux jours. Le temps de m'acclimater à la froideur polaire et de prendre mes repères dans ce désert de neige, et je peux enfin aller chasser l'objet de ma visite.
Si je suis venu m'enrhumer dans le cercle polaire suédois, c'est pour réaliser un rêve d'enfant : voir les aurores boréales. Braver le froid et la longue attente ne me répugne en rien, au contraire, cela motive, cela donne un sentiment de mérite à voir ces splendeurs du ciel. Frederik & Jessica, mes deux hôtes, m'ont bien expliqué qu'il fallait être un brin chanceux pour en apercevoir, aussi, ai-je pris soin de me munir de mon porte-bonheur : un tiki tahitien.
Il est tôt. Prévoyant, j'ai bu un café brûlant, et ai mis le reste dans un thermos, au cas où la longue attente fatiguerait mes yeux. J'ai mis mon manteau le plus épais, celui avec une capuche à poils qui englobe toute ma tête, et des gants en fourrure ; je ressemble à un Inuit, je me sens explorateur. Je m'équipe de mon appareil photo, pour pallier un effacement de mémoire visuelle (qui sait ce que la vieillesse nous réserve ?), j'embrasse mon tiki, et me voilà parti.
Je dois longer le lac Kaalasjarvi sur un kilomètre, puis remonter la piste durant à peu près une demi-heure ; là, une petite colline dresse ses formes, et c'est du haut de celles-ci que le point de vue est le plus beau. Le lac est gelé, on ne le distingue quasiment plus de la terre ferme. La terre ferme, elle, a aussi complètement disparu et a laissé sa place à des murs de neige qui entourent des chemins de glace. Ma progression se fait en raquette, et se fait difficilement. Mais une excitation enfantine s'est emparée de moi à mon réveil, et me fait oublier toutes les peines qui m'assaillent le long de la route. Je grimpe la colline, qui ressemble à une énorme boule de neige, et me voilà enfin, après deux heures de marches, à mon point de rendez-vous avec les aurores boréales.
Une heure passe, puis deux, puis… rien ne se passe. Il n'y a aucun bruit, pas même un murmure. Le soleil dort encore, je garde l'espoir. L'attente est longue, mon excitation redescend, mon sourire diminue. Je décide de boire ce que j'ai de café, que j'améliore avec le contenu de la flasque que je porte tout le temps sur moi, par prévoyance ; pour me réchauffer d'abord, car je sens des picotements par tout le corps, puis pour me redonner du baume au cœur.
Alors que je commence à désespérer, j'entends des sonnettes ; un bruit faible, distant, mais persistant. Une légère brume a recouvert le sol derrière moi, aux alentours du lac. J'entends que le bruit vient de là-bas, mais je ne vois rien d'autre que l'épaisseur du brouillard. Puis, soudain, des loups accourent dans ma direction. Ils sont 6 ou 7, costaud et hargneux, et grimpent avec rapidité et sans effort apparent, la colline sur laquelle je trône. Bien heureusement pour moi, ces loups étaient des chiens de traîneau. Alors, tranquillement, j'admire ce tableau magnifique du musher et de ses amis à poils, qui semblaient ne faire qu'un et survoler la neige. L'homme motivait ses troupes, les animaux semblaient chanter un refrain militaire. L'homme me salua en suédois, et je pus distinguer sous l'épaisse couche de glace qui recouvrait son visage, le sourire d'un homme heureux ; les chiens me saluèrent à leur manière, d'un mouvement de queue distinct, d'un aboiement différent. Ainsi passa à côté de moi le traîneau, comme un mirage, pour s'enfuir à l'horizon redonner espoir à d'autres personnes en mal d'aurores boréales. La seule trace vivante de ce cortège superbe est celle que laissent les deux patins du traîneau dans l'épaisse neige.
Mais tandis que je le regarde disparaître sur le fil d'horizon, apparaît à son zénith un ballet dansant d'aurores boréales. Les couleurs virevoltent, les formes valsent, ce que je vois… est indescriptible. J'admire, je contemple en silence… j'écoute bouger le ciel… je savoure l'instant intense qu'il m'est permis de vivre. Je reste tellement immobile, statufié, comme si je n'étais plus en vie, comme si j'avais éteins mon cerveau et consacré mon énergie dans les yeux… que j'en oublie de prendre des photos.
Qu'importe, demain je reviendrais, et le matin suivant aussi ; tant que durera mon séjour, je reviendrais sur cette colline, voir si des aurores boréales veulent s'exposer devant moi. Et peut-être qu'une fois parmi les autres, je trouverai assez de présence d'esprit pour les prendre en photo. Peut-être même que je croiserais le musher et son attelage de loup. Ah, si je pouvais voir les aurores boréales, allongé depuis un traîneau… je crois que jamais plus je ne rêverais.
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