L'autoroute du diable
scarletdiva
Jour 1 : la disparition
14 juillet 2012, il faisait beau et chaud. Léna avait décidé d'aller se reposer à Aix-En-Provence, chez ses parents, qu'elle n'avait pas vu depuis longtemps. Très occupée, elle est écrivain et enchaînait les commandes ces derniers temps. Son dernier roman en cours, une commande de thriller érotique n’avançait pas. Elle décida d'emmener avec elle, Adrien son mari et ses enfants Laura a 8 ans, vive, drôle, jolie et blonde et Mathieu, 5 ans, déjà très intelligents pour son âge et dont les yeux pétillent souvent. Elle voulait se concentrer sur eux et sur le livre, plutôt que de se laisser happer par sa vie parisienne mondaine. Surtout qu'avec Adrien, depuis quelques temps, ça n'allait pas très fort. Musicien et adulé, il était toujours en tournée, et le couple n'avait pas beaucoup de temps pour eux. Quelle idée aussi d'épouser une rock star ? Depuis que son groupe connaissait la célébrité (dans les charts), il n'était plus vraiment là pour sa famille, happé par le strass, les paillettes et la vie de bohème. Léna et les enfants souffraient de son absence. Mais il n'en parlaient pas. Léna était une belle brune, avec une mini frange, à la Bettie Page, l'effeuilleuse des 50's. Ce jour là, elle avait mis une robe à fleurs de pin up vintage très décolletée et boutonnée. Marilyn Monroe en portait de telles sur certaines photos. Elle avait aussi mis du rouge à lèvres rouges très aguicheur. Elle avait vraiment l'intention que son mari lui préférait les groupies de 20 ans qu'il devait fréquenter tous les soirs. A 30 ans, elle commençait à douter d'être aussi séduisante que les minettes fans de groupe de rock et prêtes à tout.
Adrien, qui croyait à tout un tas de conneries ésotériques (sorcelleries, tirage de cartes, magie noire, apocalypse, astrologie) ne voulait pas emprunter la route 666 , celle à prendre obligatoirement pour se rendre chez ses beaux parents. Déjà qu'il n'aimait pas tellement les parents de sa femme... Depuis quelques jours, il répètait qu'aux Etats-Unis, une route qui portait le même nom était tristement célèbre pour être le théâtre de nombreux rituels sataniques. Le couple finissait toujours par se disputer. Pendant qu'elle mettait les valises dans le coffre, il s'install au volant et commença à se lancer dans une tirade envenimée :
- Tu n'as jamais entendu parler de cette route ? Tu te fous de moi ? Elle traverse l'Utah, l'Arizona, le Colorado, le Nouveau Mexique. Des accidents mortels y ont eu lieu dans des circonstances obscures. Des disparitions de cadavres, de véhicules, des voitures sans conducteurs. Un camionneur faucherait les piétons imprudents à plus de 200 km/h, des esprits prenant la forme d'animaux (corbeaux, coyotes ou loups) se jettent sur la route pour provoquer des accidents, et voler l'âme du conducteur. Effrayant non ? Des mecs auraient aussi vu une très jolie fille en nuisette marchant le long de la route, mais quand ils s'arrêtaient pour l'aborder, elle disparaissait.
- C'est pas l'histoire de la Dame Blanche ton truc ? Tu délires complètement ? Tu es défoncé ? Et puis tu vas faire peur aux enfants ! Tu as trop regarder « Mystères », « Faites Entrer l'accuser », lu « le Nouveau Détective » chéri. Et qui sont les témoins qui ont vu ça ? Il étaient ivres?
- Pas du tout. Je me souviens d'avoir vu une émission qui parlait aussi de chiens noirs aux yeux jaunes ayant l'air d'avoir la rage attaquant les voyageurs qui s'arrêtent la nuit.
Quand Adrien se lançait dans ce genre de tergiversations, difficile de le ramener à la raison. On ne savait jamais si c'était de la provoc', l'usage de quelques psychotropes et de vraies convictions qui l'animaient. Léna tenta toujours de le raisonner. Elle avait fait des études de philo, et avait hérité de son père, prof de sciences, un esprit des plus cartésiens. Elle ne croyait pas du tout à ces histoires. Les enfants heureusement jouaient et n'écoutaient pas. Il continua.
- On raconte aussi que des conducteurs roulant sur cette autoroute ont disparu pour réapparaître quelques kilomètres plus loin sans aucun souvenirs de ce qui s'était passé.
- Mais c'est le triangle des Bermudes ton histoire !?
- Fous-toi de ma gueule.
- Je pense surtout que ces faits sont dus à la longueur de la route. Les conducteurs épuisés doivent s'endormir à moitié, et avoir des hallucinations.
- De toute façon, Léna, tu as toujours une explication sur tout ; C'est bien connu. Et puis tu détestes les Américains et tout ce qui touche aux US, du Mc Do en passant par Spielberg. Mais saches qu'en France aussi, il y a pas mal d'histoires qui circulent au sujet de flashs sur l'autoroute A666.
-Et il ne faut surtout pas rouler à 66km/h. Non ?
Adrien secoua la tête, manifestement exaspéré. Il énervait Léna mais elle ne pouvait pas s'empêcher de le trouver beau avec ses cheveux ébouriffés et son blouson de cuir.
-Les Américains ont envoyé des pétitions à chaque sénateur des états traversés par l'autoroute du diable qui fut rebaptisée l'Autoroute 491, du coup, au final, reprit-il.
Son regard s'anima d'une certaine folie en racontant ce genre de choses dépassant l'entendement et il prenait un malin plaisir à voir sa femme le désapprouver. Ce qui l’inquiétait, c'était qu'elle se demandait dans quelle mesure il croyait à ces histoires. Il avait toujours été passionné par le paranormal et les faits divers farfelus. Mais ça, comme son côté séducteur, son humour noir, ses goûts morbides, ses sautes d’humeur permanentes, ses addictions multiples, lui échappaient de plus en plus. Son attirance pour le mystique (tendance satanique), datait de l'adolescence mais s'était développé de plus belle avec début de son groupe, assez dark et attiré par le malin. Et tout ce qui concernait le groupe commençait à angoisser Léna. Les enfants dormaient paisiblement sur la banquette arrière et ils roulaient en silence dans une chaleur moite et une lumière superbe. Les panneaux défilaient portant des noms de villages inconnus. Léna pensait au thriller érotique qu'elle devait rendre à son éditeur. Quelle ironie ! Sa vie manquait cruellement de sexe en ce moment. Elle fermait les yeux et rêva qu'Adrien lui propose de s'arrêter dans un coin de campagne pour lui faire l'amour ; Mais il la voyait de plus en plus comme une mère et non comme une putain. Elle essayait d'oublier et de chasser ses pensées. Mais des flashs pornographiques traversaient son esprit. Elle s'endormit quelques minutes en rêvassant, mais très vite Adrien recommenca à parler.
- 666. Depuis des siècles, le chiffre de la bête, tu as lu l'Apocalypse selon St Jean ?
- Non je lis jamais tu le sais. Je suis bête. Et c'est pas comme si j'étais écrivain.
- Tu me feras toujours rire mon amour. On dit que ce seraient les initiales de l'empereur romain Néron (37-68) en chiffres romains, connu pour avoir persécuté les Chrétiens ou le nom de Lucifer en table de 9. Dans l’Apocalypse, le dernier (et meilleur) livre du Nouveau Testament, au chapitre 13 il est écrit : "Ensuite je vis une autre bête monter de la terre. Elle portait deux cornes semblables à celles d’un agneau, mais elle parlait comme un dragon. (...) Elle amena tous les hommes, gens du peuple et grands personnages, riches et pauvres, hommes libres et esclaves, à se faire marquer d’un signe sur la main droite ou sur le front. Et personne ne pouvait acheter ou vendre sans porter ce signe : soit le nom de la bête, soit le nombre correspondant à son nom.(...) Que celui qui a de l’intelligence déchiffre le nombre de la bête. Ce nombre représente le nom d’un homme, c’est : six cent soixante-six." Le chiffre 666, le "nombre de la bête" c'est Satan, l’Antéchrist. Il y a un disque d'Iron Maiden des 80's, qui s'appelle « 666, the mark of the beast ». Il cite Les Ecritures et voue un culte au " maître Satan ". Le penchant pour l'occultisme le plus noir, les messages de mort et de haine, c'est l'essence du rock.
- Tu connais la bible par cœur ? C'est rare pour un rockeur...Et puis tu n'es jamais fatigué de me balancer des trucs sombres ?
- La route 666 te semblerait tellement plus longue et monotone si je n'étais pas là, chérie.
- C'est sûr...Pour revenir à tes histoires d'autoroute, tu te souviens que la première fois qu'on s'est rencontrés ? Tu m'avais proposé de prendre la route ? La première chose que tu me demandas après un concert où nos regards s'étaient croisés, avec une étrangeté désarmante, c'était :
- Je ne sais pas ce que je fous ici, et je vais me barrer. Tu sais où c’est, toi, l’autoroute de l’enfer ?
C'était il y a 6 ans. Dans la bouche de n’importe qui, ça aurait semblé stupide, inapproprié, absurde. Dans la sienne, c’était juste beau à en avoir des crampes à l’estomac et des étincelles dans les yeux. Il continua pendant que le cœur de Léna fondait comme neige au soleil.
- Je te ramène ? J’ai une Chrysler rose. Et puis, je suis intimement convaincu qu’il n’y a que deux choses qui comptent dans la vie : la voiture, et les filles.
Ce n’est pas ce que disaient Prefab Sprout. Dans leur chanson « Cars And Girls ».
- Quoi, tu connais Prefab Sprout ?!!!
- Euh, oui…
- Tu ne te rends pas compte, combien de personnes connaissent Prefab Sprout aujourd’hui ?
C’est vrai, le dernier album de Prefab Sprout est sorti dans l’indifférence générale. Depuis les années 80, le groupe pop emmené par Paddy Mc Aloon avait quasiment sombré dans l’oubli. Elle acquiesça d’un hochement de tête, conquise, d’autant plus qu'elle avait toujours aimé les Chrysler roses, même si elle se doutait bien qu'il avait du se rendre à son concert dans une bagnole beaucoup moins classe et plus moderne du style camion. Ils échangèrent leurs prénoms et elle le suivit dans sa voiture. Une voiture française bleu métallisée. Ils prirent la route ensemble, de la salle de concert banlieusarde à Paris. Dans la caisse, Adrien ne regardait que la route. « Road To Nowhere » des Talking Heads passait dans l'autoradio, comme un signe annonciateur. La brune à frange fixait sa nouvelle paire d'escarpins rouges pour ne pas avoir à croiser son regard. Adrien ne la regardait pas. Il ouvrit la boîte à gants sans un mot, en fixant la route et en sortit un CD des Prefab Sprout comme si il avait toujours attendu de la sortir à une fille. Jusqu’alors, elle avait toujours pensé que ce groupe était parfait pour déguster calmement une tisane au coin du feu, seule. Là, tout de suite, elle n’avait plus envie de boire, ni de se réchauffer devant la cheminée. Les flammes venaient d’ailleurs.
Ce jour de juillet 2012, la passion s'était un peu éteinte ; Pendant tout le trajet, très long (Paris-Aix), Adrien ne cessait de regarder son portable. Quelqu'un lui envoyait des messages et Léna devenait suspicieuse. Les enfants dormaient toujours. Adrien sembla soudain très fatigué quand il décida de s'arrêter pour déjeuner dans le prochain relais routier pour prendre un café. Léna avait toujours aimé les relais routiers, sans jamais trop savoir pourquoi. Elle gardait des souvenirs émus de pauses dans des relais quand elle était enfant, avec ses parents, avant leur divorce. Elle adorait choisir un sandwich triangulaire dans l'épicerie de la station service, des bonbons au distributeur et une K7 de tubes kitch ou de chanson française. Elle associait ces relais au sentiment de vacances et de liberté. Et puis c'était la France profonde. La France éternelle. Il lui semblait toujours y croiser LES vrais gens.
Ce jour-là pourtant, alors qu'elle accompagnait les enfants aux toilettes, les automobilistes en pause lui semblaient pourtant plutôt atypiques. Deux prostituées mangeaient un panini-saumon. Trois routiers aux airs de lascars buvaient des bières ayant l'air chaudes. Un type étrange avec une gueule de tueur et une casquette enfoncée sur la tête fumait une cigarette en regardant Léna d'un œil torve. De quoi faire passer à la brune sa passion « relais ». Adrien, lui, était parti chercher un café dans une sorte de mini centre commercial plein de restaurants cheap. Sa femme l'attendait dehors avec les enfants. Ne le voyant pas revenir au bout de 20 minutes, elle partit à sa recherche. En vain. Elle tenta de l'appeler, mais il ne répondait pas. Elle repartit à sa recherche, avec les enfants, dans le centre commercial. Elle fit toutes les boutiques et continua de l'appeler tout en lui envoyant des textos. Les enfants commençaient à se poser des questions. Au bout de 15 minutes, elle commença à paniquer. Elle retourna à la voiture et continua de l'appeler frénétiquement. Elle sortit de nouveau en criant son nom et interrogeant tous les personnes présentes sur le parking et dans le centre. Cela dura presque une heure. Léna était complètement angoissée, déboussolée. Que s'était-il passé ? Etait-il parti délibérément, sur un coup de tête ? Avait-il eu un accident ? L'avait-t-on agressé ? Depuis quelques temps, Léna soupçonnait Adrien de la tromper et fomenter l'intention de la quitter. Son absence soudaine réveilla un drôle de sentiment chez elle. Elle s'en alla frapper à la porte des toilettes publiques du relais, fermées, en criant, encore et encore, le nom d'Adrien, comme une folle. Elle eut soudain peur qu'il ait fait une overdose. Adrien prenait de la cocaïne, pour son plus grand désespoir depuis quelques années en tentant de lui cacher.
Mais une fille sortit finalement des toilettes, effrayée par les cris. Tout se bouscula alors dans la tête de Léna. Laura et Mathieu sanglotaient « Où est papa, maman ? Il est parti ? » Impossible d'imaginer que quelqu'un ait peu lui faire du mal. Adrien était musclé, mesurait 1m85, tatoué de la tête aux pieds. On ne lui donnait pas le bon Dieu sans confession et on n'aurait pas l'idée de s'attaquer à lui. Son regard semblait froid et sombre, sa mine s'avérait souvent effrayante, et il faisait peur aux enfants, même aux siens. Le pressentiment de Léna, tenace, était que son mari s'était enfui, ne l'aimant plus...Après plusieurs coups de fil et crises de larme, elle se ressaisit et alla se rasseoir dans la voiture. C'est à ce moment là qu'elle aperçut sous la banquette du siège conducteur le téléphone d'Adrien. Éteint. Elle rentra le code et l'alluma. Là, parmi les derniers messages, beaucoup étaient signés de prénoms de filles. Douloureux, mais prévisible. « C'était tellement beau la nuit dernière », Sarah, disait l'un d'entre eux, parmi d'autres. Sauf le dernier, d'un numéro inconnu. Dessus, il était écrit : « Rendez-vous au relais dont on a parlé, à 13h. Tu as intérêt à être là. Et ne sois pas en retard. »
La suite
Chapitre 2 : L'héroïne enquête dans le milieu du rock : autres membres du groupe, manager, salles de concerts pour retrouver son mari.
Chapitre 3 : Enquête auprès des groupies. Son mari était bien infidèle et fréquentait des soirées assez trash dans le genre érotique.
Chapitre 4 : Piste vampirique.
Chapitre 5 : L'enquête prend des détours ésotériques.
Chapitre 6 : Des indices laissent présager un meurtre.
Chapitre 7 : On soupçonne la femme.
Chapitre 8 : Un des enfants a un pouvoir étrange.
Chapitre 9 : La vérité est ailleurs.
Chapitre 10 : Le mystère est dévoilé.
Génial! Et très très bien écrit. J'adore votre style d'écriture. Euhhh et la suite? Pouvez pas me laisser comme ça. Vous avez comme référence les USA, teintée de fifties, de rock et d'ésotérisme. J'AIME! En plus vous aimez H.Miller. Le maître pour moi.
· Il y a environ 12 ans ·oliver--2
Chez moi ça fonctionne...
· Il y a plus de 12 ans ·scarletdiva