L'autoroute du passé

Esther J. Hervy

1 - Sur la route des vacances, la famille Ambroise s'arrête pour se restaurer dans un charmant relais. Ils croisent alors le chemin d'une ravissante jeune femme blonde à la recherche de son chat et qui semble sortie d'une toute autre époque. Au moment de remonter en voiture, ils s'aperçoivent que la petite manque à l'appel.

2 - Pris de panique, ils se précipitent vers la forêt, là où la petite avait vu le chat et où la jeune femme avait été le rechercher. Le chat est bien là, sur une branche, le poil hérissé, il crache et s'enfuit. Ils n'y a pas de trace de Salomé. Ils font alors demi-tour pour retourner sur le parking et donner l'alerte.

3 - Sortis des bois, ils retrouvent un parking plongé dans le noir, éclairé seulement de vieux lampadaires orangés. De vielles voitures sont parquées, tout de ce qui s'y trouvait avant a disparu pour laisser place à un autre décor.

4 - Les lieux semblent avoir faits un bond dans le passé. Il y pourtant du bruit et de la lumière à l'intérieur du relais. Abasourdis et fous d'angoisse, ils se précipitent à l'intérieur. A l'entrée, une affiche vantant le spectacle de « Eva Sweet » est épinglée. Une date apparait : le 08 août 1953.

5 - A l'intérieur, le spectacle se déroule. La pin-up rencontrée dans le relais routier fait son show. Le chat est assis sur la scène, immobile. Personne ne semble s'apercevoir des deux intrus. Seule l'effeuilleuse perçoit leur présence. Le spectacle se termine et la jeune femme disparait en coulisse. Ils décident d'aller la voir.

6 - Dans le couloir menant aux coulisses, Olivier et Julia retiennent leurs souffles. Ils surprennent une conversation virulente entre la pin-up et un homme. Celle-ci veut revoir sa fille. L'homme est contre, persuadée que ce n'est pas un endroit pour une enfant. Celle-ci restera à l'orphelinat. Il lui a permis de garder le chat de la petite, c'est déjà bien.

7 - La dispute devient de plus en plus virulente. On entend clairement l'homme battre la femme. Et puis le silence. Olivier ouvre doucement la porte, la pin-up gît au milieu de la pièce, dans une mare de sang. L'homme ne les voit ni ne les entend. Et se débarrasse du corps dans la forêt.

8 - Olivier et Julia retournent précipitamment sur le parking et là, surprise, ils se retrouvent en plein jour, au milieu des voitures et caravanes. Complètement déboussolés ils se précipitent vers le toboggan et trouvent Salomé, en pleurs, entourée de badauds car elle ne retrouve plus ses parents. Au milieu du groupe, un homme d'un certain âge mais pourtant bien reconnaissable.

9 - Soulagés et encore secoués par ce qu'ils viennent de vivre, Olivier et Julia n'ont plus qu'une idée en tête : quitter les lieux. Mais au moment où ils se dirigent vers leur voiture, ils aperçoivent à l'entrée du restaurant la jeune femme blonde, sanglotant.

10 - Faisant des recherches sur internet, ils découvrent alors le mystère de la pin-up disparue dont le corps n'a jamais été retrouvé, pas plus que le meurtrier. Décidant de prévenir la police mais ne pouvant expliquer de quelle manière ils ont découvert l'assassin, ils décident d'appeler anonymement la police, et de filer vers leur destination première…

 

 

Episode 1

C'était une belle journée de juillet qui avait débuté. La petite famille Ambroise avait prit la route de bonne heure ce matin et  tout le monde avait hâte d'arriver à Joyeuse, petit village perdu au milieu de la campagne Ardéchoise. Olivier, le père, conduisait tranquillement tandis que Julia, la mère, se retournait fréquemment pour jeter un œil sur Salomé, leur fille, qui s'était endormie sur la banquette arrière, serrant sa poupée Lola contre sa poitrine.

Il était presque midi et demi et ils s'étaient engagés sur l'Autoroute 666 il y avait presque deux heures déjà. C'était la toute dernière autoroute mis en service et les aires de repos tout confort n'étaient pas encore tous ouverts. Ils avaient bien dépassés quelques endroits où ils auraient pu s'arrêter mais ceux-ci n'étaient pas dotés de tout l'équipement moderne que l'on trouve habituellement dans les grandes stations-service. Non, Olivier l'avait dit à Julia, il voulait déjeuner dans un vrai restaurant et était bien décidés à parcourir les vingt kilomètres qui les séparaient encore de cet endroit tant recherché.

Julia se tourna vers Olivier et lui dit :

-        On dirait un ange.

Olivier jeta un œil dans le rétroviseur et sourit. C'est vrai que l'on aurait dit un ange. Sa fille, sa toute petite fille Salomé, sept ans. Ses boucles brunes retombant de part et d'autres de son minuscule visage à la peau si blanche. Ce sourire constant qu'elle avait sur les lèvres lorsqu'elle rêvait. Et ses grands yeux bleus que l'on découvrirait quand elle se réveillerait. Si l'on avait cherché une enfant pour jouer le rôle de Blanche-Neige, Salomé l'aurait décroché sans aucune difficulté !

-        Elle te ressemble, finit par lâcher Olivier à sa femme. En plus jeune et plus fraîche, poursuivit-il.

-        Salop ! Lui lança Julia en rigolant et en faisant mine de le frapper. Tu n'en loupes pas une, toi alors !

Olivier prit au vol la main de Julia et la porta à ses lèvres pour l'embrasser.

-        Mais tu seras toujours ma petite femme adorée.

-        Oh ! Mais comme c'est aimable de ta part mon Chéri. Un vrai gentleman.

Et ils continuèrent à rire et plaisanter, tandis que la petite citadine filait sur la route quasi déserte des vacances.

Ils atteignirent finalement l'embranchement menant au restaurant. Le clignotant s'alluma et la berline noire bifurqua pour atteindre un parking construit au milieu des arbres. Contrairement à l'autoroute elle-même qui ne semblait pas très fréquentée, l'aire de repos fourmillait de monde. Des voitures, caravanes et autres camping-cars mangeaient les places de stationnement. Beaucoup de véhicules étaient montés à cheval sur les trottoirs afin de se faire une place qui n'existait pas. Olivier tourna quelques instants et par chance, s'introduisit dans l'emplacement qu'un vacancier venait d'abandonner sous ses yeux.

-         On dirait que c'est notre jour de chance ! s'exclama t-il à l'attention de Julia.

Il serra le frein à mains et coupa le moteur. A l'arrière, Salomé ouvrit les yeux. Deux billes d'un bleu aussi profond que l'eau d'un lac prirent un air étonné. Encore tout endormie, elle regarda par la vitre de la voiture.

-         J'ai faim papa, dit-elle en baillant.

-         Papa a une faim de loup aussi ma puce. Allez, on descend et on va manger.

Julia et Olivier descendirent du véhicule et tandis qu'Olivier fermait la portière à clefs, Julia détacha la ceinture de la petite. Elle la prit dans ses bras, referma la porte derrière elle puis la posa sur l'asphalte chaud. Ils se mirent tous les trois en route vers le restaurant, la petite fille courant devant eux.

Lorsqu'ils poussèrent la porte du relais, de bonnes odeurs de cuisine vinrent leur chatouiller les narines. Mélanges exotiques provenant de différentes saveurs, herbes fines, épices et autres condiments se mêlaient avec subtilité.

-         Ca, un resto d'autoroute… ? s'étonna Julia.

Olivier lui jeta un regard approbatif. Cet endroit avait l'air de tout sauf d'un restaurant d'autoroute effectivement. Les tables rondes étaient recouvertes d'élégantes nappes blanches en dentelle sur lesquelles de gros chandeliers noirs reposaient au centre. La vaisselle en porcelaine scintillait dans le reflet des couverts. De grandes tentures rouges recouvraient les murs, donnant ainsi à l'endroit un air cossu et confortable. Pourtant, malgré la chaleur qu'il faisait dehors en ce mois de juillet, la salle était fraiche et agréable. Il n'y avait pas de self-service comme dans la plupart des restaurants routiers, mais des serveurs en tenue noires et blanches prenaient les commandes et allaient et venaient de la cuisine à la salle de réception.

-         Waouh, lança Salomé. C'est comme dans un château ici !

-         Un château pour ma princesse ! Lui répondit son père en la prenant dans ses bras.

Alors qu'ils étaient encore en train d'admirer les lieux, un homme en chemise blanche et pantalon à pinces noir s'approcha d'eux.

-         Messieurs, Dames Bonjour, si vous voulez bien me suivre.

Olivier et Julia se regardèrent d'un air amusé. Ils emboîtèrent le pas au serveur qui les conduisit jusqu'à une petite table. Un sourire au coin des lèvres, Julia jeta un regard à l'homme. Que signifiait cet endroit ? Elle n'avait jamais vu ça. Tout ce clinquant pour un simple relais d'autoroute, s'en était limite ridicule, finalement. Enfin bon, l'essentiel était qu'ils se restaurent et qu'ils partent détendus d'ici. Après tout, il était bien plus agréable de faire une pause dans un relais pareil que de s'arrêter dans l'un des ces tristes snacks à la lumière blanchâtre que l'on trouve habituellement au bord des routes… même si cela avait un côté un peu étrange et surréaliste.

Bien que le restaurant fût d'un standing supérieur à la normale, la carte, quant à elle était des plus classiques. Ils commandèrent chacun une viande grillée avec de la salade et la petite eut le droit au menu enfant composé de croquettes de poulet et de frites, le tout arrosé d'une succulente eau de source.

-         Pourquoi  regretter un bon vin de Bordeaux quand on a une eau si pure dans son verre ? plaisanta Olivier en trinquant avec Julia.

-         Moi papa, j'ai du vin regarde ! Fit remarquer Salomé en levant son verre de grenadine.

-         Alors tu ne vas pas pouvoir prendre le volant pour nous emmener en vacances ma chérie ?

-         Mais papa, je ne sais pas encore conduire, répliqua la petite sur un ton plus que sérieux.

Les plats arrivèrent et tout le monde se mit à dévorer avec entrain. La salle de restaurant était remplie d'un joli brouhaha et tous les gens étaient d'humeur plus que joyeuse. On entendait les verres chanter et les couverts claquer contre la vaisselle immaculée. Les adultes discutaient et les enfants, serviettes autour du cou, gardaient le nez dans leurs assiettes comme de vrais petits ogres. Julia réalisa alors que tous ces gens semblaient bien endimanchés pour  des personnes censées faire la route jusqu'à leur lieu de vacances. Elle allait en faire la remarque à son mari quand Salomé la coupa :

-         Maman, regarde le petit chat là-bas !

Elle pointait son index en direction de la forêt qu'on pouvait apercevoir à travers la fenêtre. Julia et Olivier tournèrent la tête dans la direction indiquée par leur fille. Assis au pied d'un arbre, un chat  gris les regardait.

-         Oh maman, on peut aller le voir, dis on peut ?

Mais oui, on aurait bien dit que le chat les observait, il les  fixait même !  Il finit tout de même par se lever  puis détala à travers les arbres.

-         Oh non maman il est parti ! Je veux aller le voir !

-         Fini de manger ma puce, on ira le caresser s'il revient avant qu'on ne parte, intervint Olivier.

Déçue et un peu boudeuse, Salomé piqua une frite avec  sa fourchette. Olivier lui caressa la tête en souriant mais la petite se dégagea.

-        On ira le voir à la fin du repas ma puce, t'inquiète pas.

Salomé regarda son père de ses grands yeux ronds.

-        Tu promets ?

-        Oui, je te le promets. Mais avant, on termine de manger.

Et la petite replongea le nez dans son assiette, visiblement rassurée.

Le repas avait été simple mais délicieux. Toute la famille s'était régalée et tandis que la petite fille terminait sa boule de glace au chocolat, Julia s'éclipsa aux toilettes.

Elle poussa la porte et entra dans la pièce. Il n'y avait personne. L'endroit était joli et à l'image du reste du restaurant : élégant et un peu vintage. Un carrelage rose pâle recouvrait de haut en bas les murs et deux lavabos dont la faïence était d'une blancheur aveuglante étaient surplombés d'un grand miroir finement encadré d'un délicat fer forgé noir.  Elle entra dans l'une des deux toilettes puis, alors qu'elle se rhabillait, Julia entendit quelqu'un entrer. La porte de la toilette voisine se referma. Elle sortit et  se lava les mains tout en se regardant dans la glace. Sa peau pâle contrastait avec le brun de ses cheveux. C'est vrai que la petite lui ressemblait. Les mêmes yeux bleus, le même petit nez délicat. Malgré la fatigue accumulée tout au long de l'année et qui avait tiré les traits de son joli visage, Julia restait une jeune femme exceptionnellement ravissante. Elle sourit à son reflet, comme pour s'en persuader puis coupa l'eau et se sécha les mains à l'aide de la serviette éponge mis à disposition. Alors qu'elle s'apprêtait à rejoindre son mari et sa fille, elle crût entendre un sanglot de l'autre côte de la porte verrouillée. Elle s'arrêta dans son élan et tendit l'oreille. Effectivement, une personne était bien en train de pleurer. Elle se retrouva un peu idiote, là, au milieu des toilettes, à écouter une inconnue sangloter. Devait-elle frapper à la porte pour s'assurer que tout allait bien ? Ou bien au contraire, devait-elle s'en aller comme si de rien n'était, la situation de cette dame ne la regardant en rien ? Elle n'eut pas le temps d'y réfléchir bien longtemps car le loquet s'ouvrit. Julia se précipita sur le lavabo et ouvrit le robinet. Elle avait l'impression d'avoir été prise en flagrant délit de voyeurisme. Elle ne savait même pas pourquoi elle ne s'en était pas allée tout simplement. Sans doute cette curiosité de savoir à quoi ressemblait cette mystérieuse femme qui passait ses peines dans des toilettes d'autoroute. La porte s'ouvrit finalement et une jolie blonde sortit. Elle s'approcha de Julia sans lui jeter un regard et fit couler l'eau dans le lavabo. Elle semblait débarquer tout droit des années 50. Ses cheveux platine mi-longs et crantés retombaient sur ses épaules et encadraient son visage dont la bouche écarlate et les faux cils ébène lui donnaient un côté de starlette Hollywoodienne. Sa peau diaphane ressemblait à de la porcelaine. Elle retira ses petits gants noirs et laissa paraitre des mains parfaitement manucurées. La jeune femme gardait la tête baissée, sans doute par pudeur. Elle ne voulait probablement pas qu'une étrangère s'aperçoive de son désarroi, ici, dans un lieu aussi banal et incongru qu'un relais routier. Elle soupira longuement puis sortit de son sac à mains, ou plutôt de sa pochette dorée, un tube de rouge à lèvres. Elle releva alors la tête, et croisa le regard de Julia dans la glace. Un regard froid et triste, couleur d'émeraude. Julia baissa les yeux, ferma le robinet et s'essuya les mains. Elle tourna les talons et sortit, tandis que la pin-up redonnait à ses lèvres le goût de la vie…

De retour à table, Julia raconta à Olivier sa fameuse « rencontre » avec cette drôle de dame. – Et tu aurais vu son tailleur ! – s'exclama t-elle – Incroyablement élégant. C'est bien simple j'avais l'impression d'être dans un de ces vieux films en noir et blanc d'après guerre ! –

Elle chercha des yeux la jolie blonde, espérant pouvoir la montrer à son mari. Malheureusement, elle n'en trouva pas trace dans l'assistance. Peut-être la starlette était-elle retournée s'enfermer afin d'évacuer sa peine, loin du bruit et de la joie de la salle de restaurant ?

-         Maman ?

Salomé sortit Julia de sa rêverie.

-         Oui, ma chérie ?

-         Je peux aller jouer sur le toboggan dehors ?

Julia regarda Olivier qui tourna la tête vers la fenêtre. Le toboggan était à portée de vue et ils pouvaient surveiller la petite depuis leur table, le temps de prendre un café. Ensuite, ils se remettraient en route rapidement.

-         Vas-y ma puce. Mais tu restes bien devant, que papa et maman puissent te voir, d'accord ?

-         Ok maman !

Et la petite sauta de sa chaise pour courir vers la sortie, Julia la suivant des yeux.

-         Je vais aux toilettes, dit Olivier en se levant. Je paie et je commande les cafés en passant.

Julia acquiesça du regard. Tandis qu'Olivier s'éloignait, elle regardait à travers la vitre Salomé jouer à glisser le long du toboggan, remonter puis glisser à nouveau. Ceci sans s'arrêter, sans aucune lassitude. Puis, alors que Julia admirait sa petite fille s'amuser, elle aperçut à l'autre bout du parking la femme blonde qui marchait d'un pas pressé. Elle semblait se diriger dans leur direction. Julia se retourna pour voir si Olivier revenait mais il n'était pas dans les parages. Elle ne pouvait entendre, mais rien qu'en la voyant se déhancher, Julia imaginait les claquements secs de ses talons aiguilles sur le bitume chauffé par le soleil. C'était drôle d'ailleurs, n'avait-elle pas chaud dans ce tailleur noir et si cintré ? Dans ses bas nylons qui lui galbaient les jambes ? Ne se sentait-elle pas étriquée dans ce déguisement ? Cette tenue paraissait tellement en décalage avec le lieu (nous étions sur une aire d'autoroute tout de même !) que Julia finit par se demander si cette jeune femme ne se rendait pas à un bal costumé. Salomé repéra la dame aux bas coutures et s'arrêta net. Elle la fixa comme si elle avait vu une poupée grandeur nature. La petite la suivit du regard alors que la blonde poursuivait son chemin. Ses hanches se balançaient de droite à gauche, on aurait dit un chat. Et pourtant, personne ne semblait la remarquer. Seules sa fille et elle-même avaient vu cette beauté sortie droit du passé. Elle semblait suivre sa route, seule, se faufilant à travers les gens comme si elle se fondait naturellement parmi eux. D'un coup, elle s'arrêta. Son visage sembla s'éclairer quand elle aperçut le chat qu'ils avaient vu au début du repas. Julia la vit ouvrir la bouche mais ne l'entendit pas. Sans doute avait-elle appelé l'animal. Elle se remit en marche rapidement vers le félin qui se sauva dans les bois en courant. La femme accéléra le pas et disparut entre les arbres à son tour. Julia resta interdite. Qui était-cette femme ? Et que faisait-elle ici, habillée de la sorte, poursuivant un chat gris dans la forêt ?

Olivier s'apprêtait à pousser la porte des toilettes pour rejoindre sa femme, boire son café, et reprendre la route quand il entendit une voix l'interpeller :

-         Monsieur ? l'appela une voix à peine audible.

Il tourna la tête et vit une ravissante femme blonde dont le regard était rempli de supplication.

-         Monsieur, s-il-vous-plait. J'ai perdu mon chat, vous ne l'auriez pas vu ?

Cette question saugrenue fit sourire Olivier mais la femme avait tellement l'air triste et sérieux qu'il se ravisa. Elle poursuivit :

-         Je l'ai perdu hier, après la représentation. Il est tout ce qu'il me reste, vous comprenez. Il est tout ce qu'il me reste d'elle.

Puis Olivier se souvint du chat que Salomé avait vu au cours du repas.

-         Oui, j'ai vu un chat tout à l'heure. Il est parti dans la forêt.

Le regard de la femme brilla.

-         Venez, je vais vous montrer à quel endroit je l'ai vu si vous voulez. C'était un chat gris, c'est cela… ? continua t-il tout en avançant dans le couloir menant à la salle de restaurant. C'est cela Madame ? répéta t-il.

N'obtenant aucune réponse, Olivier se retourna. La femme avait disparue, personne ne le suivait. Il resta interdit un moment. Regarda à droite, à gauche. Retourna aux toilettes mais la jolie blonde s'était littéralement envolée. Olivier regarda autour de lui, comme si elle pouvait apparaitre à tout instant puis, se rendant à l'évidence qu'il n'y avait plus personne ici, regagna sa table.

En arrivant auprès de Julia, il s'assit et se pencha vers elle :

-         Tu ne vas jamais me croire !

-         Quoi donc ? fit Julia en levant un sourcil, curieuse.

-         Ta blonde. Je crois que je l'ai vue.

-         Aux toilettes ?

-         Elle m'a même parlé.

-         C'est impossible, elle était dehors il n'y pas trente secondes. D'ailleurs je crois que le chat de tout à l'heure est à elle, elle lui courrait après

La gorge d'Olivier se serra.

-         Elle m'a demandé si je n'avais pas vu son chat.

Julia le regarda, étonné.

-         Comment était-elle ?

-         Comme ça… articula faiblement Olivier qui pointait son doigt vers la fenêtre.

Dehors, la blonde était avec Salomé. Elle lui parlait et lui caressait le visage. La petite n'avait ni l'air inquiet ni effrayé. Elle la regardait avec de grands yeux ouverts, complètement admirative. La jeune femme ne semblait pourtant pas s'adresser directement à Salomé. Elle lui parlait, certes, mais ses yeux, bien qu'ils la fixaient, restait indiscutablement vides.

Olivier et Julia sortirent du restaurant aussi vite qu'ils le purent. Quand ils arrivèrent au toboggan, la petite était à nouveau seule.

-         Ma chérie, qui était cette dame avec toi ? demanda Julia, inquiète.

-         C'était Eva, elle cherchait son chat.

-         Eva ? répéta Olivier.

-         Oui, elle m'a dit aussi que je ressemblais à sa fille, Laurène, dit la petite en souriant.

-         Allez viens, ma puce on reprend la route, dit Julia.

-         Mais le chat maman ? T'avais dit qu'on pouvait aller le voir avant de partir, protesta Salomé.

-         Il n'est plus là le chat ma chérie. On doit repartir maintenant si on veut arriver à l'heure pour prendre les clefs de l'appartement. Tu te souviens ma puce ? On va en vacances. Tu n'as pas envie d'aller jouer dans la piscine et de faire des promenades ?

-         Mais si maman, mais le chat…Je veux aller le caresser. Eva m'a dit qu'elle me le donnerait si j'étais sage !

-         Allez, on y va, tous en voiture ! Intervint Olivier en haussant le ton. Hop, hop, hop, on a assez perdu de temps comme ça.

Et il prit les devants en commençant à marcher vers le véhicule. Julia fit mine de le suivre, se retournant pour voir la réaction de Salomé. Elle les suivait, résignée, son petit visage faisant la moue, marquant ainsi sa désapprobation. La petite se retournait vers le toboggan, cherchant le chat du regard, visiblement déçue par la décision de ses parents.

-         Elle devient de plus en plus capricieuse, commenta Olivier alors que Julia arrivait à sa hauteur.

-         Je sais, on lui cède tout, rigola Julia.

-         Aujourd'hui on n'a pas le temps. Et tu vas voir, dans cinq minutes, elle aura oublié.

-         Allez dépêche- toi ma puce, dit Julia en se retournant. Ma puce ? Salomé ?

Olivier se retourna à son tour. La petite ne les suivait plus. Au toboggan il n'y avait personne. Devant le restaurant, aucune trace de la petite fille. Olivier et Julia appelèrent leur fille, paniqués. Mais il fallait bien se rendre à l'évidence : Salomé avait disparue.

 

 

 

 

 

 

 

Signaler ce texte