L'avis de mon père.(1)

Chez mon père, ça sentait la peinture et les chats, la térébenthine et la pisse.

Il était peintre et adorait les minous. Son métier était disait-il, d'essayer de reproduire la réalité sans jamais s'en approcher, que celle-ci était réservée aux gens sans intentions. Quand il peignait une montagne, ma sœur et moi, on savait bien que c'était un cul qu'il essayait de fabriquer, et pas autre chose. Dans ses paysages ça sentait plus  la fesse que la mousse d'un sous-bois.

Il avait tellement eu de femmes dans sa vie, que ses modèles ne venaient même plus à son atelier. Il les choisissait dans sa tête. Sa tête, c'était un vrai album Panini des plus belles filles: les images en double, il les échangeait contre une plus récente de sa mémoire.

Sa hantise, c'était justement de ne plus en avoir de mémoire, de perdre ses neurones et de se retrouver dans une chaise roulante avec une de ses femmes devenue son infirmière, de « celle qui te déshabille la culotte pour te faire viser droit, et qui en prime te raconte des salades devant la baie vitrée ouvrant sur le parc afin de te faire comprendre que sa trousse à maquillage si c'est pas toi qui la lui offre ça sera un autre, aussi ses vacances dans des paradis perdus... tout ça en te faisant bouffer des soupes lyophilisées à la petite cuillère ! »

Ses paysages portaient de jolis prénoms féminins, tous différents de ceux qu'il avait connus, pour pas avoir trop d'emmerdes avec les ayants droit. Les toiles de notre père se monnayaient à la gueule: plus t'en avais une sale, plus tu payais pour elles.

Quand les critiques d'art venaient à la maison pour lui prendre sa température et calculer leurs commissions, ils lui demandaient pourquoi qu'il peignait toujours ses paysages dans des 'format paysage '? Il répondait que depuis l'invention de la yaourtière, une femme c'était tout de même mieux dans un lit au 'format allongé', qu'en position 'portrait' façon laitière à la Vermeer ! Moi et ma sœur on savait ce qu'il voulait dire par là, mais les critiques y voyaient une allusion allégorique et nourricière...