Le bac à sable

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J’avais 10 ans et j’entamais ma dernière année à l’école primaire de la petite commune ou nous habitions avec mes parents et mon frère. C’était une année particulière pour moi. J’étais confusément tiraillé entre l’euphorie de faire un pas de plus sur l’échiquier de ma propre vie, et l’appréhension d’entrer dans une année charnière supposée me préparer au collège. Il fallait se préparer à passer du statut de grand parmi les petits à celui de petit parmi les grands. L’inconnu, redoutable autant que désirable, était au bout de l’année scolaire. Mais si le CM2 est une année particulière pour tous elle l’était singulièrement pour moi, puisque pour la première fois de ma vie (et la dernière) je n’étais plus le seul représentant de la famille à être élève dans cette école. En effet, mon frère faisait son entrée en maternelle. J’avais 10 ans et lui 3 ans. Je terminais le cycle tandis que lui le commençais. Il faut dire que ce n’était pas gagné d’avance.

Du fait de son handicap mental, mes parents avaient dû batailler ferme pour que son inscription soit acceptée. Ils ont finalement eu raison de la réticence du corps enseignant qui craignait qu’un tel enfant ne perturbe les autres bambins, mais, à demi mots, leur crainte était surtout de « ne pas savoir » faire face à la charge d’attention supplémentaire que lui réclamerait immanquablement Benjamin. « Ne pas savoir », ou « ne pas pouvoir », ils hésitaient sur la formulation sans pour autant confesser ouvertement le « ne pas vouloir » que mes parents, dégoûtés, sentaient suinter des tentatives de justification insupportablement compatissantes de la direction de l’école. A l’usure, ils ont eu gain de cause et mon frère a obtenu le droit d’entrer dans le giron institutionnel d’une école publique sensée être ouverte à tous. Le droit d’aller à la maternelle communale, comme tous les autres enfants, fut une petite victoire pour mes parents qui obtenaient là un début de reconnaissance et y voyaient un pas de plus vers l’intégration d’un fils différent, à une société qui se sentait vaguement coupable de ne pas trop savoir quoi faire de ce rejeton un peu encombrant. Il ne serait pas relégué à la maison en attendant d’être placé, faute de mieux, dans une institution spécialisée. Il serait traité normalement, comme les autres et parmi les autres. C’est du moins ce qu’espéraient mes parents. Malheureusement, les problèmes n’ont pas tardés à surgir, et j’ai été le premier témoin de leur prémices. Si j’avais eu à l’époque le recul nécessaire, j’aurai compris que la scène a laquelle j’ai assisté ce matin d’octobre 1985 était un douloureux résumé de ce que représente le handicap, quelle qu’il soit, dans la conscience des gens. Une chose acceptable tant qu’on le voit de loin. Une chose tellement gênante si il se montre de trop près, que l’on se contente de le regarder du coin des yeux en se refusant à le contempler en face. Dans le meilleur des cas, une chose dont on cache son coupable dégoût sous une bonne couche de compassion. Et dans le pire des cas, une chose dont on se moque pour la tenir à distance.

En ce mardi d’octobre, la rentrée était déjà un vieux souvenir de trois semaines, juste assez lointain pour que les rituels scolaires balisant les journées deviennent routiniers, sans avoir encore complètement vaincu l’inertie du laisser aller des grandes vacances. Sonnerie, se mettre en rang deux par deux, s’asseoir, répéter la table de neuf, récréation, « y m’embête monsieur », « c’est pas moi c’est lui », sonnerie, jouer aux billes, cantine, sonnerie, deux par deux, assis, ânonner que le plus long fleuve de France prend sa source au mont gerbier des joncs, sonnerie, l’école est fini, devoirs, dormir, réveil, recommencer.

Ce jour la, à l’heure ou les CM2 dont je faisais vraisemblablement partie, puisque j’en partageais toutes les activités, se rendaient à la cantine, les petits de maternelle avaient déjà déjeuné et jouaient dans la cour qui leur était dévolue, sous l’œil assoupi des maîtresses en pleine digestion. Comme tous les jours, nous attendions en rang devant les portes du réfectoire en guettant avec fébrilité l’autorisation d’entrer pour découvrir avec force froncements de nez les aliments honnis que les cantinières nous serviront avec un air de satisfaction sadique. Avec mes compagnons d’infortune je faisais la queue sans pour autant participer au brouhaha ambiant. Ma timidité maladive faisait de moi un enfant silencieux et en retrait, se réfugiant à la moindre occasion dans son monde intérieur. C’est justement parce que j’étais plongé dans mes pensées que je n’ai pas tout de suite prêté attention aux rires et aux réflexions qui commençaient à gonfler et à se propager autour de moi. Une phrase lancée un peu plus fortement que les autres a tout de même réussi à s’insinuer jusque dans mes songes pour me retrouver, me prendre violemment par l’oreille, et me ramener brutalement à la réalité. « hey, regardez. Le débile, il est en train de bouffer du sable. Houu, le mongolien ». Je ne sais pas si ce sont les mots débile ou mongolien qui ont attirés mon attention sur ce qui était en train de se passer ou le ton agressif sur lequel ils ont été prononcés. Avec l’air ahuri de celui qui vient de se réveiller, je  lançais à la ronde un regard hébète afin de comprendre d’ou venaient ces railleries, et qui en était l’objet. Quelques rangs devant moi, Brice et Julien se tordaient de rire en regardant par dessus la barrière qui nous séparaient de la cour des petits. De leurs ricanements dédaigneux sourdaient cette cruauté spontanée dont sont capables  des enfants de dix ans. A mesure que j’émergeais à la réalité, je constatais que l’hilarité des deux gamins gagnait les autres rangées comme les rides à la surface de l’eau provoquées par un caillou jeté dans une mare. Des doigts boudinés et moqueurs commençaient à se lever pour désigner un point situé de l’autre coté de la clôture. Poussé par l’effet de masse portant instinctivement à agir par mimétisme, et donnant inconsciemment l’impression rassurante d’appartenir à un groupe, les exclamations bourgeonnaient autour de moi et se répondaient en échos. « Ha le mongolien » « putain, il bouffe du sable, il est crade » « … dégeu… » « …débile mentale… ». Les dernières bribes de douces rêveries balayés par ces vagues glacées de moqueries, et l’esprit désormais complètement clair, je me suis tourné lentement pour enfin contempler par moi même la cause de cette agitation. Au delà de la barrière, je n’ai d’abord vu que la masse grouillante et braillante des petits de maternelle qui s’égayaient dans la cour, et puis le bac à sable, au milieu. Il était occupé par plusieurs enfants. La chose qui m’a frappé en premier était qu’ils étaient séparés en deux groupes bien distincts. D’un coté, quatre ou cinq marmots étaient serrés les uns contre les autres, trifouillant le sable et babillant, tournants le dos à l’autre groupe, en fait composé d’un seul enfant. Visiblement, c’est de ce petit garçon solitaire que mes camarades se moquaient. J’ai senti une boule glacée se former au niveau de mon estomac, puis remonter pour venir se loger jusque dans ma gorge quand je l’ai reconnu. C’était mon frère. C’est Benjamin qui était le centre d’intérêt de ce déchaînement de quolibet. Il était assis dans un coin du bac à sable. Tandis qu’instinctivement massés le plus loin possible de lui, le groupe s’amusait sans lui porter aucune espèce d’attention, il portait méthodiquement des petites poignées de sable à sa bouche. Et il mâchouillait, l’air content de lui. Il faisait face à la cantine devant laquelle nous nous trouvions, nous autre, les grands. Même s’il avait été de dos, je l’aurai reconnu entre mille avec sa tête trop grosse pour son corps. Mais si il avait été de dos, il n’aurait pas donné de façon si flagrante le spectacle qu’il était en train d’offrir à mes camarades de classe, visiblement réjouis du dégoût qu’il provoquait. Tandis que je fixais mon frère, ma respiration se fit imperceptiblement plus rapide, comme si j’avais du mal à respirer l’air ambiant, vicié par le vent de malveillance qui soufflait autour de moi et qui chassait l’oxygène et saturait l’atmosphère. Mes oreilles bourdonnaient des rires qui s’amplifiaient. Leurs éclats finirent par attirer l’attention du groupe qui jouait à l’écart de mon frère, qui lui, ne semblait se rendre compte de rien et continuait sa placide mastication comme si de rien n’était, et comme si rien ne pouvait l’atteindre. Au contraire de moi. On se foutait de mon « débile » de frère et il n’en avait pas conscience. Tous les ricanements qu’on lui jetait à la gueule comme autant de cailloux ricochaient sur lui pour revenir meurtrir chaque parcelle de mon corps. Je ne saurai dire combien de temps je suis resté figé à recevoir des coups qui ne m’étaient pas destinés, mais certainement beaucoup moins que cela ne m’a parut. J’avais mal pour lui, qui, n’avait visiblement mal qu’aux dents que faisaient crisser les grains de sable. Je ne savais pas ce que j’attendais pour réagir. J’aurai du depuis longtemps m’élever de toutes mes force de gamin de 10 ans contre mes congénères et faire cesser leurs ricanements. J’aurai du me jeter sur Brice et Julien, les instigateurs de cette humiliation collective, clouer de mes poings ces chères têtes blondes sur le mur de la cantine et leur faire ravaler ces rictus qui déformaient leur jolie petite gueule d’ange. Pourquoi se permettaient-il cela ? Pourtant, ils ne pouvaient pas ignorer que l’objet de leurs railleries était mon frère, que j’étais à quelques pas d’eux et que je ne pouvais pas faire autrement qu’entendre. J’aurai du réagir, mais je n’ai rien dit, paralysé par la lâcheté ou la stupeur. Je ne comprenais pas les raisons de cette méchanceté gratuite mais surtout, je ne comprenais pas mon manque de réaction pour défendre mon frère. Ceux des élèves qui étaient juste autour de moi devaient, eux, avoir une vague conscience de la situation car ils souriaient plus qu’ils ne s’esclaffaient, partagés entre l’envie irrésistible de se joindre à l’hilarité générale et la gêne de le faire en ma présence. J’en étais la de mon humiliation, sentant la colère enfler en moi sans que ma lâcheté ne la laisse exploser, quand Benjamin a brusquement cessé ses ruminations pour laisser courir son regard, l’air interloqué, sur la file d’attente que nous composions. Se voyant soudain être le point de mire d’une hostilité qui lui était incompréhensible et se sentant inexplicablement en danger, un éclair de panique à traversé ses yeux, précédant de peu les premières larmes. Son regard à comme un aimant fini par croiser le mien, et s’y est accroché comme à une bouée pour ne pas se noyer dans les sanglots qui montaient. Ca s’est mis à rouler sur ses joues. Ca s’est trouvé rejoint au niveau des narines par un ruisseau de  morve. Ca s’est mélangé au sable collé autour de sa bouche. Puis ça s’est transformé en un torrent boueux et sale qui s’est mis à couler le long de son menton. Tout ça a fini par goutter sur l’effigie hilare de Donald Duck ornant le pull bleu qu’il portait. Une vague infinie de tristesse m’a submergé, et au même moment, les portes de la cantine se sont ouvertes. En une fraction de seconde, les larmes de mon frère ont balayés ma lâcheté mais la petite foule hurlante s’engouffrait déjà par la porte pour se précipiter vers les meilleures tables, oubliant du même coup ce qui venait de se passer. Comme si ce n’avait été qu’un jeu, pour passer le temps en attendant l’heure de retrouver sa gamelle. Comme si tout cela n’avait pas beaucoup d’importance et ne portait à aucune conséquence. Mais pour moi, ça en avait de l’importance. J’ai finalement laissé éclater ma rage en me précipitant pour enjamber la barrière qui me séparait de la cour, bousculant violemment au passage les estomacs affamés qui continuaient d’entrer au réfectoire. Je suis allé prendre Benjamin dans mes bras. Les autres marmots, à l’autre bout du bac à sable, me regardaient avec surprise, moins parce que j’étais entré dans la cour des petits que parce que je prenais ce garçon dans mes bras. Depuis la rentrée, ils avaient bien vu qu’il était différent, pas comme les autres, et instinctivement ils s’en tenaient éloignés, préfèrent la compagnie de ceux avec qui ils avaient en commun de comprendre les jeux auxquels ils jouaient. Ce qui n’était pas le cas de mon frère. Sous leur yeux, j’ai porté Benjamin en pleurs jusqu'à l’angle du bâtiment qui longeait la cour, et je me suis soustrait aux regard en allant m’asseoir avec lui sur les marches d’un escalier en pierre encadré de hauts murs, nous mettant à l’abri du monde extérieur. Je l’ai assis sur mes genoux et j’ai essayé de faire cesser ses larmes sans trop savoir comment m’y prendre. Maladroitement, j’ai commencé à me balancer sur mes jambes pour le bercer. Ce fut efficace car ses hoquet ont peu à peu diminués d’intensité à mesure qu’il semblait de plus en plus fasciné par ses mains, les fixant avec une application quasi obsessionnelle. Absorbé dans la contemplation de ses doigts, les sourcils légèrement froncés, il avait l’air d’y chercher des réponses à des questions fondamentales connues de lui seul. Le moment de panique qu’il venait de vivre semblait s’être dissout aussi vite qu’il était apparu. Il paraissait déjà avoir tout oublié, mais pas moi. Je regardais sa goule sale, souillé de sable collé par la bave comme seul vestige de sa frayeur envolée. J’ai alors saisi le bas de mon pull en glissant ma main par en dessous, et, en m’en servant comme d’un gant, j’ai essuyé son visage. Précautionneusement, par petits geste, je gommais les souillures de son chagrin. Le mélange d’eau salé, de mucus et de sable maculait de taches marronnasse mon vêtement, mais je m’en fichais. Et tandis que je m’appliquais à la tâche, j’ai senti à nouveau cette vague de tristesse m’envahir. Sans réussir à la contenir bien longtemps, à mon tour, je me suis mis a pleurer silencieusement, laissant les larmes déborder. Je m’en voulais d’avoir été si lâche et de ne pas avoir défendu mon frère. Je me suis mis à en vouloir à tout le monde. A ces deux petits cons qui se moquaient du handicap de Benjamin, au surveillant qui avait ouvert la porte de la cantine au moment ou je me décidais enfin à avoir le courage d’intervenir, reléguant au rang de fantasme le héros que j’aurai voulu être en secourant un être sans défense des griffes d’une injuste intolérance. Je m’en voulais à moi, et à la terre entière. J’en voulais même à mon frère d’être ce qu’il était, j’en voulais à mes parents de l’avoir jeté au monde, de ne pas m’avoir donné un frère « normal ». Je m’en voulais de leur en vouloir. Je cherchais en vain un responsable à quelque chose dont finalement personne n’était coupable. J’en voulais, en dernier recours, au destin d’être si cruel alors qu’il était tout simplement indifférent. Détachant alors son attention de ses main, Benjamin m’a regardé pleurer, l’air surpris. Il a mis son doigt sur ma joue pour le tremper dans mes larmes, puis l’a porté à sa bouche. Il a goûté mes larmes, il a goûté ma tristesse et ma colère, de la même manière que tout à l’heure, le sable. Cette façon de faire est une manie qui ne l’a jamais quitté. Comme si en goûtant les choses il pouvait les comprendre et ainsi compenser la faculté de raisonnement dont il était privé par nature. Pour appréhender le monde, peut on réellement remplacer l’intelligence par les autres sens ? Je l’ai laissé faire. La ou mes papilles n’auraient senti que le goût de sel, peut être, lui, sentait-il toute mon impuissance et ma frustration. Si c’est le cas, il n’en a rien laissé paraître, affichant toujours le même air insondable et lointain.

Au coin de l’escalier est alors apparu un des surveillants de la cour, alerté par l’absence de benjamin ou par mon absence de la cantine. Il s’est arrêté en bas des marche, l’air soulagé de nous retrouver. J’ai serré les mâchoires et essuyé mes yeux du revers de la manche. Je n’ai rien dis, focalisant mon attention sur Benjamin. Il n’a rien dit non plus, et est juste venu s’asseoir à coté de nous.

« Que s’est il passé ? » m’a t-il demandé. Je lui ai répondu qu’il n’y avait rien et que je consolais mon petit frère, c’était tout. « Tu es sûr que c’est tout ? » a-t-il dit. Après quelques secondes de silence pendant lesquelles je luttai pour garder ma rancœur pour moi, j’ai finalement laissé les mots sortir en un filet de voix pour lui raconter dans les grandes lignes ce qui venait de se passer. Et ma colère, et ma honte, et mon incompréhension devant le mépris des autres pour la différence. Il m’a écouté patiemment et quand je me suis enfin tu, les mots qu’il a prononcé m’ont fait regretté de m’être ainsi ouvert à lui.

« Il ne faut pas prendre tout ça trop à cœur Fabien. Benjamin est une cible facile et les enfants sont parfois cruels entre eux tu sais. Il ne faut pas y faire attention. »  « Alors c’est tout ? » ai-je pensé : « Les enfant sont parfois cruels entre eux », et rien de plus. Pas d’indignation, pas de colère, pas de « ça ne se passera pas comme ça ». Juste « les enfant sont cruels, parfois ». Comme si ces quelques mots étaient une justification qui se suffisait à elle même sans que l’on ai besoin de dire ou faire quelque chose de plus pour réparer le mal que ces plaisanteries pouvaient bien causer. J’étais dégoûté de la cruauté des enfants, et déçu du manque de compréhension des adultes. Retombant dans mon mutisme et ma réserve, la conversation s’est arrêtée la, me laissant frustré. J’ai fini par rendre mon frère au surveillant et j’ai rejoins, en traînant les pied, et sans être passé par la case cantine, la cour des grands qui digéraient leur repas en chahutant. Ils avaient visiblement tout oubliés de l’incident. La seule trace tangible qui en restait était la tache qui séchait au bas de mon pull.

« J’ai du me salir en tombant. » est la seule excuse que j’ai trouvé à dire à ma mère ce soir la lorsqu’elle m’a demandé comment je m’étais sali. Elle s’est contenté de cette explication bien que je sentais qu’elle ne la satisfaisait pas. Elle n’a rien répondu et je n’ai rien dit de l’épisode de midi. On est des taiseux dans la famille. Cependant, au dîner, elle m’a resservi une deuxième part de gâteau en me disant que je devais avoir faim. C’était sa façon à elle de me faire comprendre qu’elle savait que je n’avais pas mangé à la cantine. Et si elle l’avait appris, elle n’en ignorait probablement pas la raison. Grâce à un rapport circonstancié du surveillant de l’école, j’imagine. Et c’était peut être aussi comme un lot de consolation, ce morceau de gâteau en plus. Sa façon d’essayer de compenser ma tristesse ou de me récompenser de l’épreuve que j’avais traversé ce jour la. Une tristesse et des épreuves qu’elle ne connaissait que trop bien au quotidien, dans la difficulté de faire face au regard des autres, toujours douloureux à supporter. Faire face la tête haute quand on se moque de la chaire de sa chaire. Faire semblant de ne pas voir les regards en coin qui nous suivent. Faire fi des curieux, des compatissants et des dégoûtés en essayant de ne pas leur accorder plus d’importance qu’ils méritent. La récompense de ma mère était que mon frère avait besoin d’elle, et la mienne, une part de pâtisserie supplémentaire. Et je l’ai mangé, ce deuxième morceau de gâteau, en commençant par y tremper un doigt que j’ai ensuite porté à ma bouche. Benjamin, assis sur une chaise en face de moi, m’a regardé faire, et il m’a fait un grand sourire. J’ai eu l’étrange impression qu’il m’avait compris. En y goûtant de cette manière, je voulais ainsi me persuader que je pourrais mieux comprendre les choses ce que je n’arrivais pas à comprendre autrement. Comme mon frère. Mon débile de frère. Benjamin.

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