Le ballon ou Coin de parc avec... - STOP!

franz

Le sujet étant le ballon, pourquoi ne pas lui donner la parole?

Essoufflé, harassé, roué de coups, roulé dans la poussière, rouge d'humiliation, je dis stop! Enfant insouciant, arrête s'il te plaît tes jeux cruels, tes cris de joie qui me blessent autant que tes coups de pied maladroits. Marre marre marre des innocences perverses, de l'enthousiasme ignare, de l'inconscience bêtifiante! Non! ton enfance ne peut pas tout se permettre, ta candeur n'est pas supérieure à ma nudité, non non tu ne peux pas sans vergogne te défouler sur un petit, un anonyme, sans auréole médiatique, sans palmarès sportif.

Ton visage d'ange couronné de blondeur dissimule une brutalité encouragée par ta société. Ton chapeau de paille cache la méchanceté frivole de tes yeux. Ta robe blanche et bleue passe pour une fleur ingénue, elle froufroute dans tes cavalcades mais au moindre accroc, elle s'égosille comme un goret. Tes belles bottines orange? Je les connais bien, chic et élégantes, mais à peine ai-je le dos tourné qu'elles me bottent les fesses sans pitié.

J'en ai assez des enfants de cinq ans qui savent déjà courir comme des lapins excités, qui tapent, shootent, cognent, piquent, mordent, serrent, lancent... Assez de ces gentils bourreaux qui nous flanquent le tournis, qui nous poursuivent comme l'ombre des branches sur tes pas, qui nous martyrisent à loisir!

Fillette, je te vois déjà dans quelques années. Mêmes désirs frénétiques et passagers, des "désirs qui affligent" comme le chante le lucide Souchon mélancolique. Même soif de plaisirs fugaces, même inconstance, tu vois bien que mon grand frère en cuir n'a déjà plus tes faveurs, tu le laisses seul dans son coin... Je te vois déjà voltiger d'un vertige à l'autre, je te vois gober la vie comme un oiseau ivre d'air et de soleil mais jamais rassasié.

Et moi, des enfants gâtés, comme des adultes du reste, j'en ai ras-le-bol!

Moi j'aspire à une autre vie. Une vie pacifique, ludique, de respect mutuel, de jeu fair- play, de maîtrise de soi. Mais la vraie vie est ailleurs, je crois avoir déjà entendu cette formule...

Où donc est-elle?

Non pas au fond d'un fossé ou d'un ruisseau, perdu, abandonné! Non plus au fond d'une cave, d'une armoire de vestiaire, recouvert de poussière et oublié depuis longtemps! Ce n'est pas une vie, ça! c'est juste une survie idiote, dépourvu de but, de raison d'être.

Moi je rêve d'une vie que je puisse conduire, dribbler, choisir. Je déteste rouler dans la direction qu'un coup de pied imbécile m'a donnée, je déteste tout autant me laisser gagner par la vitesse dans la pente où un étourdi m'a poussé.

Utopie?

Pas vraiment! Fillette, regarde ta maman qui discute avec votre voisine Mme Margot dans la fraîcheur de l'herbe tendre et des arbres protecteurs. Regarde le ventre rebondi et immaculé de ta maman, un petit ballon y pousse à l'abri des coups de toutes sortes et des insultes ordurières. Depuis six mois, elle le bichonne ta maman, ce petit ballon rond, elle lui parle doucement, le cajole.

Voilà, je rêve... je rêve de nager comme lui dans un liquide euphorique, de me soumettre aux intonations mélodieuses d'un arbitrage maternel, de rebondir sur la pelouse d'un ventre féminin, de me gonfler des petits clins d'oeil de la vie, d'atterrir dans un souffle magique au milieu d'un eden enchanteur...

- Tu m'as retrouvé, fillette, j'étais dissimulé sous un tas de feuilles mortes. Bravo, tu m'as cherché avec obstination, c'est bien l'obstination, ça permet aussi de vivre!

...

- Excuse-moi fillette, j'ai dit et pensé des choses sous le coup de la colère et de la jalousie, sentiments détestables. J'ai eu le temps de réfléchir pendant que tu étais à ma  recherche. C'est toi qui as raison!

Avale la vie, aspire-la goulûment, profite de chaque instant, apprends à choisir tes désirs comme un peintre ses touches de couleurs. Oublie les paroles d'un envieux! Dépêche-toi de vivre!

Ecoute, on entend déjà des bruits de bottes derrière les bosquets. Et dans le lointain, des coups de canon semblent se rapprocher. Dépêche-toi, les grands enfants sont capables de faire trembler de peur les feuilles des arbres et de faire apparaître dans le rêve des petites filles des ballons rouges de sang.

  • Excellent ! J'adore

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Booth4 20130919 144943

    virginie_t

    • Sympa! merci!

      · Il y a plus de 10 ans ·
      26012013757

      franz

  • Alors là honnêtement, je trouve l'idée géniale! C'est bien mené, rythmé, la voix du ballon rouge est pertinente, et puis j'aime beaucoup aussi, les lignes ravisée de la fin sous forme de carpe diem.
    (Y a un seul petit truc, "comme le chante le lucide Souchon mélancolique. " y un chouïa de lourdeur par trop de qualificatif ici, à mon goût)

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Avat

    hel

    • Oui ! Comme le dit très justement Hel, c'est original et bien mené. Vous pouvez même vous permettre d'être parfois moins long voire laconique, car vous êtes efficace.

      · Il y a plus de 10 ans ·
      Default user

      fatimax

    • Merci à hel et fatimax pour vos remarques positives et pour vos critiques pertinentes. Si j'en ai le courage, je referai une nouvelle version.

      · Il y a plus de 10 ans ·
      26012013757

      franz

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