Le bistrot-basket

Paul Robert De La Fauvellerie

Suite du texte "Y'a de la haine"

J'errais dans les rues, avec mon accoutrement et mon walkman, barricadé dans ma haine...
Je faisais plusieurs fois le tour du minuscule centre-ville, sans but précis. Je ne cherchais rien, je ne désirais rien, à part me venger.
À un moment donné, un drôle de type d'une vingtaine d'années, du genre bourgeois bien sapé (costard, chemise en lin, pantalon, tout respirait une espèce de classe naturelle chez lui), vînt m'aborder pour me demander des cigarettes. Je ne fumais pas encore en ce temps-là, je lui répondis que je n'en avais pas. Donc, théoriquement, fin de la conversation.... Mais ça ne se passa pas du tout comme ça...
Il me félicita pour mon look !! J'étais surpris, les gens ne s'attardant que rarement sur mon cas vestimentaire, et encore moins souvent en positif. J'en retirais mes écouteurs, et il pût entendre ce que j'écoutais, du gros punk bien rageur. Il eut un petit sourire, et me rétorqua que j'écoutais de la bonne musique, par-dessus le marché! Il me raconta qu'il était musicien, joueur de guitare, et fan de rock ! Il était intéressant, il savait mettre des images dans ses mots... Ça me fascinait. Voyant que j'accrochais, il me proposa d'aller boire un verre dans un bar. Je n'avais pas d'argent sur moi, j'étais gêné. Il me rassura sur ce point. J'avais envie de faire confiance, pour une fois...
Nous nous assîmes en terrasse d'un petit bistrot, et nous commandions deux bières. Il me raconta sa vie, je lui racontais la mienne. Il ne s'en faisait pas, il croyait en son talent de musicien malgré des études ratées. Il avait une telle éloquence que je l'enviais un peu, moi le timide... Et le fait qu'il soit plus âgé que moi m'impressionnait aussi. Quand vînt le tour de parler de moi, je lui avouais presque sans crainte mes déboires passés et les idées de vengeance qui en découlaient. Il me donna un conseil qui serait la meilleure des revanches.... Il me suggéra d'apprendre à me moquer d'eux, de tout cet univers morbide dans lequel j'étais englué comme dans de la mélasse. J'étais moyennement convaincu, mais ce garçon avait pris le temps de discuter avec moi, d'essayer d'apprendre à me connaître, j'étais quand même touché.
Nous finissions nos bières, et il voulut changer d'endroit, si je voulais bien le suivre.... J'étais d'accord. Mais venait le moment de l'addition. Il eut un petit sourire quand le serveur nous amena la note en terrasse. Il me fit un petit signe, et je compris, éberlué, que nous allions partir sans payer. Et nous nous mîmes à courir le plus rapidement possible. Une fois au loin, le serveur nous ayant pourchassés sur quelques mètres, nous nous regardions mutuellement et éclations de rire. C'était mon premier "bistrot-basket"... (en d'autres termes, de la grivèlerie).

(À suivre)

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