le buffet

elfee

Il s’impose depuis des siècles au fond de la pièce, sous le grand escalier. Massif dans la danse des ombres qui animent le salon, il n’a jamais changé de place, il affrontait les générations de cette même famille.

Un ancêtre avait passé commande à cet ébéniste venu d’on ne sait où, il voulait ainsi, lui offrir la possibilité de s’intégrer au village. En Vendée, la méfiance est de mise envers les nouveaux arrivants. Le pauvre homme errait de ferme en ferme et proposait ses services. De nombreuses portes s’étaient refermées sur son regard brun, trop brun ! On lui prêtait des dons qui pouvaient réveiller anges et démons. Son approche était précédée d’un vol de corneilles aussi noires que ses yeux. D’ailleurs, on retrouvait ces oiseaux sculptés sur chacune de ses œuvres, ce qui n’apportait rien de bon à sa réputation. Il devait donc affronter la souffrance d’être seul, désespéré que le vent lui vole la faculté d’être heureux.

Luigi (tel était son nom) s’était installé dans une petite maison désertée, non loin de cette grande maison du hameau de Château Fromage. La proximité de La Roche sur Yon, lui apporterait, peut-être, quelques travaux.

Il se laissait porter par les courants, il gardait la liberté d’inventer sa propre vie. Chaque fois qu’il travaillait le bois, ses doigts s’enfiévraient et se fardaient de magie, il ensoleillait les clairs-obscurs de sa masure. Puis, vint la commande de « notre » buffet. Le maître le voulait hors du commun, et promis à Luigi qu’il ferait la promotion de son travail s’il était content du résultat…

Ravi, il se mit de suite à l’ouvrage, et réfléchit à sa façon de concevoir ce meuble. Il prit rendez-vous chez Monsieur de Tinguy afin de prendre quelques mesures et voir l’emplacement réservé au buffet.

Il fut reçu par sa fille Adélaïde, jolie demoiselle au sourire enchanteur, qui le conduit auprès de son père. Elle fut surprise de voir cet homme dont le physique ne ressemblait pas aux autres garçons des alentours… et ce regard !!!! Captivant ! Discrètement, elle se renseigna auprès de Monsieur de Tinguy et de son entourage sur ce Luigi…

Ce dernier, n’osait rien espérer de cette belle demoiselle, retourna chez lui le cœur empli d’idées.

Les jours passèrent, il se levait tôt et se couchait tard afin de finir l’ouvrage au plus vite. Le corps du meuble pris vite forme. Luigi, contre toute attente lui imposa un tiroir de chaque côté, chose qui ne se faisait pas dans les meubles de la région… Il sortait peu de sa maison atelier, mais quand il allait chercher à la ville quelques outils, ou quelques bois, les enfants de la ferme de Malvoisie se moquaient de lui. Il ne disait rien, et encaissait les sarcasmes des mômes et… de leurs parents.

Un jour alors qu’il passait à cheval devant la ferme, Adélaïde entendit les moqueries méchantes des petits. Elle fit demi-tour, brandit sa cravache, éleva la voix contre les petits monstres.

Elle prit sa défense !!!! Luigi n’en revenait pas… quelqu’un avait eu de la bonté envers lui !

Petit à petit l’image d’Adélaïde devint obsédante… chaque fois qu’il ouvrait les yeux il la voyait resplendissante…

Vint le moment de sculpter portes, tiroirs et autres parties du buffet. Il excellait dans l’art. De son pays de naissance, il gardait les souvenirs du maître qui lui avait appris le métier. Il était le meilleur et tout le monde l’enviait. Le bois se transformait en dentelle, l’ouvrage était travaillé si finement que le maître lui-même se sentit dépassé. C’est ainsi qu’il attira la jalousie… il prit donc, la décision de quitter la région et partit à la recherche d’un endroit où il se sentirait bien et où son art serait reconnu. Adélaïde venait souvent rendre visite à Luigi « afin de voir l’avancée du travail ». Petit à petit, ils faisaient connaissance, échangeaient quelques idées et leurs conversations passèrent de la pluie et du beau temps à des sujets variés. Aucune barrière ne s’imposait à eux et malgré la classe sociale de Mademoiselle Adélaïde, les échanges étaient simples et chaleureux.

Puis vint le jour où Monsieur de Tinguy envoya ses hommes, sa charrette et son gros cheval afin de ramener le buffet chez lui. Tous s’exclamèrent devant un tel chef-d’œuvre et firent très attention de ne rien abîmer durant le transport. On le plaça donc le long du mur, près de grand escalier. Et même si ce dernier déversait son ombre dessus, on ne voyait que lui. Il n’avait rien à voir avec le reste du mobilier et pourtant il s’intégrait très bien dans la pièce.

Monsieur de Tinguy recevant beaucoup, la réputation de Luigi fut vite faite et les commandes arrivèrent… il travaillait vite et bien, tous repartaient enchantés.

Monsieur de Tinguy rangea soigneusement ses papiers dans les tiroirs du buffet. Il plaça ses missives, photos familiales dans celui qui était orné d’oiseaux majestueux dans un décor idyllique. L’autre était plus sobre avec des êtres chimériques aux allures peu engageantes. Monsieur y rangeait ses effets personnels, courriers d’affaires, comptes à régler …

Monsieur de Tinguy mourut peu de temps après l’arrivée du meuble chez lui et laissa à sa fille chérie, Adélaïde le soin de gérer ses biens. Luigi était présent lorsqu’elle le demandait, toujours discret et bienveillant envers cette jeune femme… Un jour il lui dit « n’aie crainte, s’il m’arrive quelque chose à moi aussi, je serai toujours là pour te protéger… n’oublie pas le buffet… »

Adelaïde resta interloquée de cette phrase pour elle insignifiante…mais continua à gérer le domaine de son père.

Luigi toujours disponible pour cette demoiselle n’en avait pas moins rencontré une jeune femme, elle venait de la Limouzinière (petit village non loin de Château Fromage). Il commençait à parler mariage avec ses parents, mais pour eux, il n’était pas question qu’elle épouse un « étranger ».Un jour il vint chez Adélaïde, il était étrange… son regard fuyant s’emplissait de larmes… Il venait lui annoncer son départ avec Mélina. Ils partaient tous deux s’installer ailleurs, où les parents de sa jeune fiancée ne les retrouveraient pas… Adélaïde sous le choc de perdre un ami, s’enferma plusieurs jours dans sa chambre sans pouvoir réagir… Luigi, sur le départ, la serra fort dans ses bras et lui répéta… « N’oublie pas… le buffet… pour toi… pour tes enfants… pour tes petits enfants… »

Encore une fois, les paroles restèrent sans compréhension…

Les jours passèrent et elle reprit le rythme de sa vie… Elle recevait de temps à autre une lettre envoyée par Luigi et sa femme… Mélina savait lire et écrire ce qui permettait à Luigi d’assurer une correspondance…

Adélaïde, seule au domaine, reprenait les papiers de son père. Ceux-ci bien rangés suivant leurs caractères dans l’un ou l’autre des tiroirs du buffet lui assurèrent une vie confortable. Pourtant, un jour un homme se présenta et réclama une certaine somme d’argent que le patriarche lui devait… Elle cherchait quelque trace de cette dette (ce qui l’étonnait au plus au point puisqu’il était très méticuleux, il ne laissait rien traîner et en avait les moyens !) elle referma le tiroir chimérique s’exclama « Je crois que cet homme est un imposteur et qu’il en veut à ma fortune… qu’il se casse une jambe s’il a l’intention de revenir chez moi ! ».

Il en fut ainsi ! Elle apprit que l’homme en question, après avoir chargé ses palefreniers de préparer son cheval pour venir chez Adélaïde, fit une chute spectaculaire lorsqu’il monta dessus…L’animal récalcitrant ce jour-là, alors qu’il n’avait jamais bougé, le jeta par terre. La jambe fracturée en plusieurs endroits mis des mois à se consolider…

Une autre fois, elle discutait avec sa vieille gouvernante des ses amies d’enfance, elle évoqua l’envie de revoir Antoinette, amie de jeux de ses jeunes années et déposa un petit mot écrit sur les bancs de l’école dans le tiroir aux oiseaux… Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’Antoinette s’annonça le lendemain, de passage en Vendée ?!

Etrange… plusieurs faits semblables se passèrent.

Elle était toujours seule mais ce bel homme qui la regardait tendrement qui était-il ? Elle le voyait souvent, timide et superbe, lorsqu’elle allait à la messe à l’église du Bourg sous la Roche. Les regards se croisaient, puis se baissaient… se détournaient… Elle se sentait observée et aimait cette sensation nouvelle… Elle commença à écrire une sorte de journal intime qu’elle plaça dans le tiroir aux doux décors… elle ferma celui-ci à clé et ne voulu pas que son secret soit découvert…

Au bout d’un moment elle s’aperçut que ses moindres désirs posés dans son journal se réalisaient… Idem pour ses vœux laissés dans l’autre tiroir, des choses peu agréables arrivaient à ceux qui lui posaient problèmes… Le tiroir aux oiseaux annonçait de bonnes nouvelles et rendait les jours heureux. Alors que l’autre était porteur de malheurs. Elle ne savait si son père avait su les pouvoirs du fameux buffet mais elle comprit enfin le message de Luigi… Pourtant la façon dont étaient rangés les papiers dans les tiroirs laissait penser que son père en avait une idée !

Elle réussit à charmer son bel homme qui devint son mari… Elle invita Luigi à son mariage et lui glissa à l’oreille un merci, elle avait enfin compris ce que voulaient dire les paroles énoncées lors de son départ…

Il eut un sourire qui voulait en dire long… et disparut, soulagé que la belle Adélaïde ait découvert le secret qui protègerait sa vie et celle de sa descendance.

  • Elfée laisse les anges en forme de nuages, en forme de musique. Elfée délaisse la poésie pour un instant le temps d'un charme déposé dans un tiroir. Les arbres qu'Elfée aime bien, elle en a fait un buffet. Mais les anges perchés sur les branches sont passés sous les coups de l'ébauchoir dans les veines du bois, ils n'en ont pas souffert, ils sont toujours là. Merci, une suite? Peut être?

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Persopsy

    Jacques Lagrois

  • merci Fidji, je ne manquerai pas de faire des bisous enrubannés à mes poneys... si tu veux les voir bien enrubannés, va voir sur ma page facebokk (elisabeth vezin-mourcou)...

    Réparé Edwige... merci

    · Il y a plus de 12 ans ·
    75597 1634485936549 1068711961 1786507 3822406 n orig

    elfee

  • Oh ! J'en veux un comme ça ! Oui, belle histoire, (il y a un problème entre la page 2 et 3, un bout de texte disparu), Merci !

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Camelia top orig

    Edwige Devillebichot

  • merci Saki

    · Il y a plus de 12 ans ·
    75597 1634485936549 1068711961 1786507 3822406 n orig

    elfee

  • une bonne histoire très bien écrite!

    · Il y a plus de 12 ans ·
    101 0061 500

    saki

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