Le café

Frédéric Cogno

Un café chaud, par mégarde trop sucré, m'accompagne à l'écrit et ironise le goût sombre de sa primitive naissance. Il fume encore, doux fantôme, et ensorcèle son arôme obséquieux, désireux d'archange, d'un prisme mortuaire de mains jointes suppliantes qui montent jusqu'au petit prieuré rose de mes narines...

Inédites visions inhalées! Inavouables sensations d'une saison inconnue jusqu'alors, dépecée par la nuit vengeresse, concassée, poudrée, de débris de miroirs et d'étoiles... Le voici, c'est bien plus qu'un breuvage tonique. Il s'agit du café. Un goût. Un goût non-apprivoisé. Desseins et délires entrecroisés...

C'est un nectar d'abîme en exil, un incube-baigneur gémissant au fleuret régulier des lagunes boueuses et baveuses, vociférant même un crachat de suie lunaire qui, comme une perle de gorge dans la crique aux cercueils de santal brisés, remonte et finit en un long et sinueux soupir, son exode vomitif, pouléché, dentelé, d'une vague en ourlet d'été et de mousson, toute fripée de voix langoureuses.

Qui es-tu? Que fais-tu là en mon âme arrimeuse de voluptés lointaines et sauvages?

Je savoure l'agora d'une jungle démoniaque...

Nonces nus couverts d'incisions femelles, enduits d'huiles précieuses. Les poseurs de bambous, les chasseurs de ténèbres, dansent avec les adonis planteurs sur le vierge brûlis décoré de bois noirs et de fleurs. Ô danses tribales! Scansion des sens et des éveils! Sueur de glaise et d'argile pâmée!...

Un tapis de fumure ancestrale, moisi de pustules arachnéennes, volète, souffle et tousse sur la cendre des crânes. Ceux-là sont rituellement disposés, savamment ordonnés au flambeau, en une étrange procession tournante.

Bientôt, c'est un voile qui s'étend sur les transes exorcistes chères au pugilats des furieux perroquets; un suaire granuleux, chaud et suave, recouvre enfin les décoctions fraîches, rouges et noires, de baies béantes martelées et consacrées par mille tambours d'orages musiciens et chamanes...

Audace éjaculée flagellant les moires et les silences! Noires invectives tressées de lianes amères!

Un GÔUT se nouant, se tordant, se vrillant, s'entortillant sur lui-même et sous ma langue, avec force et caractère, avec patience aussi, calme et sagesse, comme un serpent qui, dans su mue secrète, laisse dans le bénitier noir dun arbre exotique, ses écailles sèches trop brûlées par le soleil d'Equateur... Des écailles naguère gluantes dont on soupçonne encore et toujours les parfums les plus fous, les plus rares, à force d'étouffer à la mort, les chaleurs et les peurs...

Ô café! Violence des floraisons impassibles! Chancre oint sur les pores de la foudre! Gland du jaguar trempé dans la flaque aux armoises! Vulve de la mère jungle secrétant des oraisons de spasme aurifère!

Les flûtes transformées en sarbacanes t'insufflent leurs esprits tandis que tu t'inventes en moi en priant la fièvre des mangues qui, en mes entrailles, finit brassée par les sagaies de venin et de sang...

C'était un excellent café.

  • Vraiment superbe danse du langage, ondulations vibrantes, tourbillon m'entrainant jusqu'à l'ultime goutte. J'ai adoré la conclusion clin d’œil, excuse, presque !!! c'est quelle marque?

    · Il y a presque 12 ans ·
    D9c7802e0eae80da795440eabd05ae17

    lyselotte

  • Voilà un vrai hommage à la langue française, sucré de sensualité aussi mystique qu'érotique, et j'ai envie de dire bravo, délivrons cet arôme suave et magnifique!

    · Il y a presque 12 ans ·
    Fullsizerender

    eleanor-gabriel

  • Très corsé ce café, il décuple l'imagination et me renvois dans une autre vie heureuse, au Katanga ! Bravo pour ce beau texte tout en subtilité !

    Bonne journée Frédéric.

    · Il y a presque 12 ans ·
    Version 4

    nilo

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