Le caisson

Frédérique Panassac

Pour mon anniversaire une amie toujours à l’affût des bonnes surprises m’offrit récemment un cadeau qui me plongea dans la plus grande perplexité : un passeport pour un voyage au confins de mon imaginaire. J’allais passer une heure et demie loin du monde, dans le vaisseau d’isolation sensorielle qui me permettrait de « retrouver, redécouvrir, arpenter mon monde intérieur, matrice de ma créativité ». Cet objet de forme ovoïde rappelait en effet un utérus mais il était muni d’un pilotage électrique sécurisé. Je n’avais rien à craindre et pouvais interrompre l’expérience à tout moment. Si le but ultime était de me faire partir à la découverte de mon âme, j’entretenais toutefois quelques doutes quant aux résultats : les philosophes s’affrontaient depuis toujours sur la nature de cette entité, allais-je donc trouver l’essentiel, l’explication de toute chose en quelques instants et ma quête parviendrait-elle à son terme grâce aux artifices d’un inventeur américain dont on pouvait soupçonner que la philanthropie n’était pas sa motivation principale ? Si changement d’état de ma conscience il y avait, ressortirais-je du caisson transformée par les magiques effets du silence en milieu aquatique ? J’entrai dans le caisson et me laissai aller à la douce chaleur de l’eau légèrement salée dont la composition se rapprochait de celle du liquide amniotique. Aucun son, aucune musique, et le noir absolu m’entouraient. Je crus soudain entendre les grelots de la porte bleue de mon enfance. Qui allait maintenant entrer dans mon univers, celui que j’étais censée redécouvrir grâce à mon amie ? Serait-ce le jardinier fruste et bourru, coiffé de son béret, serait-ce au contraire l’architecte des parcs urbains, l’air satisfait, présentant ses dernières acquisitions en matière de plantes résistant à la pollution ? Ou alors l’alpiniste encordé à son camarade qui nourrit le projet de le précipiter dans le vide pour mettre fin définitivement à une querelle plus sentimentale que financière ? Ne serait-ce pas plutôt le collègue irritable qui des années auparavant m’avait gâché la vie à cause d’une absurde concurrence d’emploi du temps ? Le caisson sensoriel était l’endroit idéal pour faire ressurgir ce qui était enfoui, faire face aux mensonges que l’on entretenait sur l’existence et sur soi, et pour faire taire tous les avocats accourus au secours de l’accusé. Le temps passa, je m’endormis, et je rêvai d’un pré constellé de pâquerettes, dans une vallée très calme. Le monde et sa fureur n’avaient plus de prise sur moi. Puis la porte s’ouvrit, je m’éveillai doucement, pleine de sérénité : les choses ne seraient plus jamais identiques à elles-mêmes. C’est alors que, regagnant ma voiture, je vis qu’un papillon d’une funeste espèce s’était posé sur mon pare-brise. Je réprimai à grand-peine une injure à l’encontre de l’humanité en général et des contractuelles en particulier. Il me faudrait encore bien des anniversaires et bien d’autres séances de vaisseau matriciel pour atteindre le bonheur tant recherché.

 

 

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