Le cercle

Corinne Champougny

                              Le Cercle

         Désespéré. Ce petit mot te fait donc venir les larmes aux yeux. Et dehors il pleut, bien sûr, un orage d’été, violent et généreux, tu ne ris plus de cette coïncidence. Je n’aime pas cette gravité, soudaine, et je ne suis plus là. T’apaiser, t’amuser, faire étinceler des cascades de petits éclairs dans tes yeux, te détourner, encore ,te détourner et te garder. Tes mains passent sur le plastique du bureau. Et tout est à écrire, à dire, à hurler, et tout est à faire, à façonner, à. Cette belle rage qui zigzague sur ton visage m’agace. Je ne sais plus mes quinze ans, et c’est très bien.

         Je t’ai entendu lui parler. « Tu sais, le soir, je ne peux plus allumer la télé. Du tout. C’est comme ça, et ne ris pas. » Et lui, l’inséparable, le compagnon d’un toujours bien précoce, n’osait pas sourire, étonné, exilé déjà de ta mémoire. » C’est depuis qu’elle est morte ? Tu m’écoutes ? C’est à cause de ta mère ? Dis ? » Ce serait si facile, une panne. Une panne d’images, de mots, de faits divers, de mort et d’absurdité, une panne de réalité. C’est ce à quoi tu pensais, en rentrant, juste avant l’orage. Avant de t’asseoir ici et de ne plus bouger. Ce n’est pas moi que tu entends, pourtant je ne t’ai pas quitté.

         Tu marchais vite, mon tout petit, je me souviens. Tu allais déjà par des détours de lumière. Flamboyant. D’un de tes regards les arbres s’effeuillaient. D’un de tes pas les chemins volaient. Tu t’empourprais soudain de soleil, étonné. Et sublime d’insolence, étranger tranquille de la mémoire, tu réinventais le temps. L’automne à genoux te rêvait, d’un rêve immense. Ton enfance était mienne, alors. Les mères veulent toutes tenir le vide, le mouvant, l’insaisissable. Le temps. Mais tu reviendras. Et tu pourrais rire, de ton rire d’arc-en-ciel, d’enfant seul, pour de vrai. Replié sur toi même, cassé, recroquevillé, brisé déjà par leurs mots et leurs coups. Tu peux laisser la télévision éteinte, ils t’atteindront, d’un regard ou d’un geste, d’un souffle. Ton adolescence rebelle pliera, douloureusement, ils te voudront semblable, et tu le deviendras. Nostalgique, peut-être amer, tu me rejoindras. Il n’y a pas d’autre solution. Je t’attends.

  • Je rejoins gun giant..." Non, ils ne l'auront pas, peut-être pas"... Merci.

    · Il y a plus de 13 ans ·
    Burton 1 orig

    inta

  • merci; j'adore l'idée de "panne d'images" - ça tomberait bien afin que nos lentes images intérieures puissent circuler jusqu'à nos consciences "vitrifiées"...quant au dénouement, je le combats et dis à l'adolescent "non! ils t'auront pas obligatoirement! il y a un chemin qui brise le cercle et que ne peuvent voir ceux qui sont dedans !"

    · Il y a plus de 13 ans ·
    Crater orig

    gun-giant

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