Le chef d'orchestre

Le 22 décembre 1894, toute la haute bourgeoise s'était donné rendez-vous autour de la Société Nationale de musique.

Les mœurs évoluaient et Debussy était sorti depuis quelques années de l'anonymat par l'entremise de sa très verlainienne Suite Bergamasque. Il fallait donc être vu pour prouver que Mallarmé ou que les impressionnistes avaient désormais droit de cité dans les cercles intellectuels et bien-pensants.

Quand Gustave Doret, le chef d'orchestre, attaqua le Prélude à l'Après-midi d'un Faune, les sifflets fusèrent rapidement. Non pas à cause du sujet en soi mais par la médiocrité de son interprétation.

Pourtant, il existe une réalité que les gazettes de l'époque n'ont pas rapportée. Tandis que Georges Barrière, le flutiste, entamait son solo, la salle se retrouva un instant plongée dans le noir. Et dans l'obscurité, aussi incroyable que cela puisse paraître, une ombre apparut. Si sombre qu'elle se détachait des ténèbres environnantes.

Seul Huysmans présent ce soir-là se fit le confident de la vision dont il avait été témoin auprès d'un cercle restreint qui avait sa confiance. Il avait publié cette année-là A Rebours, mettant ainsi un terme à sa période naturaliste pour décrire les mœurs décadentes de Des Esseintes. Il était lui-même effrayé que son œuvre ne lui ait joué un mauvais tour.

Il raconta alors qu'il s'était retrouvé virevoltant dans les airs, enlacé à un succube, à entamer une danse dont le caractère tout aussi acrobatique que suggestif  lui laissèrent un souvenir qui oscillait entre l'horreur et la béatitude.