Le Ciel de Lucia
celias
Prologue
Soleil Noir, Regard charbonneux. Lucia rayonne dans sa robe à pois, qui dessine avantageusement ses traits délicats. Son teint pâle tranche avec ses yeux débordant de crayon Khôl. Elle regarde au loin, par-delà les falaises. On dirait un paysage d'éclipse.
Strates géologiques, bas-reliefs, la vision panoramique est grandiose. Lucia est libérée de l'apesanteur et des contingences terrestres.
Aspirée soudain dans un boyau étroit et scintillant, la jeune fille a le souffle coupé. Comme il fait sombre et froid dans les intestins de la terre. Là où la lave a durci depuis longtemps, plus de sang ne sort des entrailles du globe, plus d'éruption.
Sage croûte terrestre pense Lucia frissonnante dans sa petite robe à pois.
Eloigne toi jolie terrienne, retrouve Andrea au gymnasium et étreint les jeunes enfants fragiles et touchants. Petits personnages empêtrés dans leur tenue stérile et qui sautillent tant bien que mal. Tels des Cosmonautes découvrant une planète moins hostile dans cet antre du gymnase.
Zone protégée de la cité des drones.
Meudon La Forêt, Automne 2024
Lucia regarde angoissée le plan de circulation de son parcours jusqu'au stade de Sèvres. Selon le drone Flux~Cité , la fluidité n'est pas de mise ce matin. Les images transmises par l'aéronef tressautent. Les drones cartographes du dôme céleste filment et retransmettent la circulation des milliers de citadins comme autant de filaments lumineux .
Son casque enfilé, la silphyde rejoint son scooter : la circulation va bientôt aspirer Lucia qui a revêtu son blouson thermique, inséré ses oreillettes tampons dans ses conduits auditifs en raison du bourdonnement omniprésent des pales des drones.
Dans la carapace de sa tenue imperméable aux pluies et aux bourrasques, Lucia rabat la visière de son casque et attends patiemment à la sortie du parking du viaduc.. "Si je pouvais me téléporter jusqu'au stade, et direct rejoindre Andrea. J'en peux plus de cet horizon bouché, ce climat déréglé… »
« On a besoin de s'unir avec les charbonneux." Elle tente un soupir, la cage thoracique oppressée de douleurs costales. La motocycliste lève les yeux au ciel, étourdie par le ballet incessant des drones de service ce jour-là.
Les plans de vols des aéronefs civils sont gérés par les hautes tours de contrôle implantées aux quatre coins de la cité. Elles dominent de leur ombre imposante les rues environnantes. Chaque couloir aérien est en effet attribué selon le type d'appareils volant et sa mission, loisirs, commerce, assistance ou surveillance.
Les hautes tours sont reliées entre elles par une super nacelle, drone géant qui darde son oeil de lynx sans relâche sur les flux de véhicules, piétons, marchandises, migrations éperdues...C'est la madone des aéronefs, mère créatrice de ce ciel strié, sifflant et plombant.
Nous sommes bien à Meudon, une des cités franciliennes les plus accueillantes du début du 21 ème siècle. La cité-Jardin , avec sa voute céleste moutonneuse de nuages, le doux piaillement des oiseaux que les drones ont chassé des cités depuis leur autorisation par les USA en 2015. Meudon, la cité merveilleuse, qu'est-t-elle devenue?
Ville assombrie le jour par le vol incessant des oiseaux métalliques, elle devient - négatif photosensible- ultra-éclairée la nuit par les phares dont ces objets volants sont dotés. Les mouvements de foule, flux migratoires autrefois facilités pour les besoins de la production, sont désormais sous contrôle 24h/24. Les quartiers sont quadrillés, surveillés. Les images obtenues sont parfois filtrées, censurées, décortiquées par les ordinateurs de la Super Nacelle pour le bien être des populations.
Revenons à Lucia, qui en tant que secouriste chevronnée, est également équipée de lunettes protectrices. Celles-ci relayent les diffusions aériennes pour qui veut voir les derniers matchs, les dernières actualités et être avertie en ce qui la concerne des dernière alertes. "Un homme d'une cinquantaine d'années a été retrouvé étouffé dans les boyaux d'un puits conduisant aux catacombes. Il cherchait à rejoindre la faction des charbonneux, groupuscule qui cherche à se soustraire à la surveillance des drones, qu'ils estiment néfastes, alors qu'elle œuvre à notre survie".
En vérité, Lucia et ses collègues secouristes ont leur stade qui le permet de se retrouver sans la surveillance des drones et s'y aérer l'esprit : c'est le stade protégé du Fort d'Issy. Son gymnase a été reconverti en sanatorium géant où sont soignés les petits enfants cancéreux de la région.. Ils bénéficient de cette espace protégé loin des drones qui sont trop bruyants de jour et éblouissants de nuit pour les jeunes malades.
Interdit d'y filmer ce qui s'y passe. Afin de protéger les zones de neutralité des stadiums, les drones ont interdiction de survoler les stades dans un périmètre de 5 km et de 1000 mètres d'altitude. Un dôme luminescent impénétrable donne une aura magique à ces Arenas tant prisées. Cette clause est réservée aux Stadiums et ne concerne ni les Théatres, Cirques et autres Zones Commerciales. On suppose que les couvertures protectrices de ces Centres Fermées sont suffisantes pour les habitants des métropoles en bonne santé.
Après avoir scanné son empreinte thermique sur le portique de départ, la jeune motocycliste scrute le ciel d'un air blasé. “Attention, avis aux conducteurs, le passage d'un convoi de Drones pour ravitaillements peut provoquer quelques turbulences sur la zone Sud des Hauts de Seine”, entend-elle dans son casque radio.
Sous le ciel obscurci, Lucia demande à MotorBird, le drone d'assistance aux conducteurs, de la guider sur son trajet. La météo n'avait pas annoncé de chutes de boulons , c'est pourquoi Lucia eu le souffle coupé par la violence des impacts sur son casque et sa combinaison protectrice. Son oreillette bruisse d'un léger piaillement de rouge-gorge : c'est Andrea, son collègue historique de secourisme secondés par les Rescue~Drone qui s'adresse à elle: “Sois prudente ma belle, nos oiseaux migrateurs métalliques provoquent un sacré appel d'air venu de la Passerelle de l'Ile St Germain, avec les courants de la Seine ”
Et Lucia de rétorquer : «Comme disait Arthur Conan Doyle, la terre n'a pas la moindre idée de la manière dont elle est utilisée par l'espèce humaine, et je rajouterai : le ciel encore moins ! »
Plissant ses yeux gris, Lucia retrousse ses lèvres ourlées d'un léger duvet blond. Elle suçote fébrilement le bijou qui lui perce la langue. Ce matin, il a un goût métallique et ionique. Trop d'ondes vibratoires l'encerclent. Sa nuque se raidit, son pouls s'accélère, le ciel l'oppresse, ses mauvais démons tapotent narquois au creux de son ventre. Les songes nocturnes de la jeune femme restent imprimés dans son subconscient ; depuis quelques temps, ils affleurent sa conscience et la laisse nerveuse et électrique au réveil. Parfois, elle incrimine les ondes venus du ciel saturé d'aéronefs. Ils interfèrent avec son hypophyse suppose-t-elle. Ces flashes proviennent peut-être au contraire du cœur de la terre. Des messages codés venus des profondeurs souterraines, résonnances démultipliées dans ce monde hyper connecté. Enfin lui semble-t-il se souvenir de ses cours de transmission électro-magnétique. Ou est-ce son imagination débordante qui lui joue des tours.
Les drones fonctionnent à l'énergie solaire et font des villes de véritables Foires du Trône la nuit et des Centres Commerciaux géants le jour. Trop bruyants avec leurs rotors qui brassent l'air, les mini dirigeables embouteillent autant le ciel urbain que les cités le sont sur leurs infrastructures terrestres. Les habitants s'équipent de boules quiès anti-bruit qui atténuent les pollutions sonores. Pour les pollutions visuelles, les urbains sont dotés de lunettes protectrices. Leurs activités se déroulent pour l'essentiel sous les Dômes des Stadiums, mais aussi théâtre, cirques et hyper centres où se concentrent magasins et bureaux. Les logements sont construits sous les ponts, viaducs et parfois bénéficient de dômes privatifs pour les plus aisés.
Les piscines souterraines sont très prisées des habitants qui s'y détendent après le travail, et bénéficient aussi de spas à l'ambiance feutrée et quasi-silencieuse. Les Ciné Max (Sorte de dômes Imax géant) et clubs de sports sous les Arénas offrent des havres de paix également réconfortantes.
Meudon La Forêt, Automne 2014
Meudon La Forêt, surnommée la cité heureuse en cet Automne 2014.
A la pointe Trivaux, un ensemble de villas étagées sur la colline surplombant la forêt faisait la fierté de ses habitants. Le musée-Jardin étalait ses pelouses et ses ateliers d'artistes que les enfants adoraient visiter lors de sorties scolaires. Le ciel bleu était limpide en cette fin d'automne. De jeunes intrépides s'arrosaient de l'eau des bassins qui longeaient la promenade de l'éco quartier.
Lucia bénéficiait de ce bien-être, la jeune étudiante habitait la résidence universitaire de la cité merveilleuse, une des rares agglomérations franciliennes où la vie était encore gaie, solidaire, éco-responsable, et qui traitait les humbles en rois. Elle partageait une chambre avec sa sœur également étudiante sur le pôle technologique.
Depuis lors l'utopie a cédéà la désorganisation. Lucia a développé ses phobies et cette boule au ventre la quitte rarement. Cela a débuté quelques années après l'arrivée des scientifiques de l'Aéronautique attirés par les hauteurs de l'agglomération connue pour son ciel bleue et limpide. Soleil aveuglant, énergie solaire illimitée pour tester les drones et leur tracé aérien. Face au vide juridique de cette époque concernant la circulation aérienne des "systèmes d'aéronefs télépilotés dans l'espace aérien européen", les autorités ont décidé la création d'un contrôleur sur terre, veillant à la sécurité dans le ciel et au respect de l'état de droit sur terre. Si les débuts des robots téléguidés ont été quelques peu erratiques et parfois drôles, l'expérience a connu une suite des plus dérangeantes lorsque leur déplacement a été géré par les tours de contrôle aérien, elles-mêmes surveillées par la super nacelle.
Pour l'instant le ciel n'accueille pas encore les avions de lignes sans pilotes, mais cela semble prévu à l'horizon 2040.
Les ingénieurs de l'aéronautique civile ont implanté ce hub technologique à flanc de coteaux riches en minéraux tels la silice ou l'olivine, pourvues en abondance sur la colline Rodin. Les minéraux d'olivine, connus pour leurs propriétés supraconductrices grâce à l'absorption des molécules isolantes et polluantes, sont souvent présents dans les roches volcaniques.
Par ailleurs, grâce à leur connaissance numérique en mécanique des fluides, les ingénieurs en aéronautique ont produit des drones d'une portance exceptionnelle, ainsi que d'une résistance accrue aux différents liquides ou gaz présents dans l'atmosphère. C'est pourquoi la plupart des turbulences ou phénomènes orageux ont eu une incidence réduite sur la navigabilité des aéronefs.
Les supraconducteurs ainsi obtenus grâce à ces matières premières étaient l'ADN des Drones. Les nanomatériaux issus des minéraux y trouvaient de nombreuses applications notamment dans les transmetteurs de aéronefs. Maniable et malin, le drone est appeléà multiplier les usages et interventions les plus variés : photographe-cinéaste, livreur de colis à domicile, contrôleur aux frontières, surveillance des manifestations. Afin de faciliter la vie de la population urbaine toujours pressée, forcément individualiste, souvent narcissique.
Ironie de la situation, c'est à Meudon, cette ville idéale où personne ne souffrait ni de la promiscuité, de l'isolement, ni de l'insécurité, que furent crées par les ingénieurs de l'Aéronautique les premiers drones caméras de vidéo surveillance, les aéronefs de livraison et de secours. Ces petits objets volants de 60 cm d'envergure de moyenne devinrent les nouveaux compagnons de l'homme post-moderne.
Lucia, jeune étudiante en pédiatrie, habitait donc dans la résidence universitaire sous le viaduc qui longe le tracé du Tram. Elle a vite été secouriste volontaire et a passé son brevet de pilote ULM afin de diriger les Rescue Drone, avant que ces aéronefs deviennent gérés par les contrôleurs aériens. Sa vie était rythmée par le passage rassurant des drones de livraison et d'assistance en matériel de survie. Mais aussi des courses alimentaires et des matériels de puériculture livrés à la jeune apprentie pédiatre. Devant ce ciel devenu aire de jeux des robots, l'éveil à la vie des jeunes enfants devint un sacerdoce pour Lucia qui n'hésitait pas à organiser des animations et ateliers dans les stades sur la partie des tribunes inoccupée et isolée pour nos jeunes malades. Revêtir les combinaisons cosmonaute protectrices en cas de risque de contagion était autant de déguisements déclenchant force fous rire pour nos bambins et leur animatrice préférée.
Le tracé aérien des aéronefs autonome était certes régulé dorénavant par la tour de contrôle centrale et non plus par les pilotes au sol. Mais à ce moment-là, Lucia avait entièrement confiance dans ce chef d'orchestre du ciel. Les évènements culturels filmés du ciel soulevaient l'enthousiasme des foules. Ses amis médecins étaient les premiers à se réjouir extatiques faces aux spectacles vivants rediffusés vu du ciel. Filmés sans entraves, libérés des contingences de l'apesanteur, les drones camera rendaient magiques les feux d'artifices et spectacles pyrotechniques destinés à hypnotiser les foules. Les myriades lumineuses ressemblaient à une voie lactée vue du ciel, comme si des milliers d'autres galaxies tournoyaient et descendaient sous les regards des badauds envoûtés. S'affranchir des lois de l'apesanteur, et abolir les frontières et les obstacles, quel sentiment de liberté pour les Cinéastes pionniers, pilotes de Drones. Malheureusement les plans aériens spectaculaires pour diffuser films, évènements sportifs et culturels ont fini par déborder sur l'intimité des spectateurs.
~Une Sillicon Valley à la française~
On est loin de Meudon La Forêt havre de paix qui accueillait les humbles en rois dans l'automne rougeoyant de 2014. Aujourd'hui et depuis lors, l'humanité n'a que les parcelles que les scientifiques ont bien voulu lui laisser. Et ce pour le bien-être de la population, et l'accumulation des biens et services de façon exponentielle.
Au début du 21è siècle, les Élus et notables des Hauts-de-Seine, ont plaidé pour un cluster urbain dans leur département. Le nouveau campus scientifique a coexisté avec des logements, commerces et lieux de vie. Lucia étudiait d'ailleurs dans cette structure High-Tech dont l'attractivité ne s'est jamais démentie malgré les excès futurs. Le secteur académique regroupait les universités scientifiques et économiques. Pour Paris la capitale voisine, ce fut un affront de voir s'installer dans cette cité connexe ce pôle d'innovations. La métropole parisienne n'a pas été choisie car déjà surchargée, sur-concentrée et bien évidemment étouffante sous son horizon déjà bien bas et pollué. C'est dans la perspective d'économie durable et solidaire de cette époque que le nouvel essaim technologique spécialisé notamment dans l'aéronautique civile, s'est implantée sur les anciennes carrières crayeuses de la Butte Rodin à Meudon La Forêt.
Ce furent parmi les plus belles années de Lucia, après une enfance cloîtrée à la capitale. Son ambition était de devenir médecin pédiatre. Une vocation de toujours, le besoin incoercible d'aider les autres et surtout les plus faibles. Sa maman lui avait transmis ce don, elle gardé en effet des générations d'enfants. « Ma puce, les enfants ce sont nos guides, lui répétait-t-elle, « ils voient ce que nous ne voyons plus, aveuglés que nous sommes par nos besoins matérialistes ». Lucia rétorquait boudeuse : « oui, c'est bien beau l'éveil à la vie, mais que la chute est douloureuse. Si je peux aider les petits d'hommes à affronter leur désillusion, je le ferais »
Sa petite sœur la taquinait déjà : « Ce ne sont pas tes petits chiards tout baveux qui vont faire avancer l'humanité. Ils ont la puissance mentale d'une huître. » Lucia l'empoignait gentiment : « Mais tu n'as donc aucun cœur. Y en a que pour tes équations ! Tes maths vont sauver l'humanité peut-être ! »
Les destinées des sœurs se sont ensuite éloignées quelques années sans jamais se quitter vraiment : la jeune ingénieure absorbée par la recherche scientifique appliquée à la robotique et à l'aéronautique. Ses projets captivaient car elle y voyait les moyens d'adoucir la vie de ses concitoyens. Son premier « bébé » ce fut le Bee-Pilot : un mini-drone destiné à livrer le matériel de puériculture aux jeunes mamans débordées. A cette époque Lucia s'était rapprochée de sa sœur; elles travaillaient de concert dans l'univers de la jeune enfance.
Le fonctionnement des premiers drones était très simple et ne s'est jamais démenti, en se perfectionnant simplement d'années en années. Ils volaient grâce à l'énergie solaire et des piles à combustible. Les petits robots volants dotés de cette motorisation hybride œuvraient pour le développement durable.
« Mes petits sont éco-responsables, pas comme les tiens », lançait Cornelia à sa sœur alors devenue pédiatre. « On recycle bien le crottin de Cheval, pourquoi pas celui des bébés ? rétorquait Lucia, «Vous n'avez qu'à en faire du steak pour vos scientifiques ! Ils ont toujours le nez dans leurs appareils de mesure : vous pourriez leur faire avaler n'importe quoi ! »
Lucia a tout naturellement rejoint le projet des Rescue Drones quand sa sœur s'y est attelée. Ce fut encore une époque assez douce, les aéronefs dans pilotes n'ombrageaient pas le ciel, ils étaient encore relativement peu nombreux, leur circulation bien contrôlée par la direction générale de l'aviation robotique. Les Tours de contrôle n'étaient qu'au nombre de deux et les ingénieurs ne laissait pas encore la surveillance des drones à un autre drone plus puissant ; celui qu'on surnomme en cet automne 2024 « La Super Nacelle ».
En 2018, les citadins de Meudon étaient encore plein d'utopie sur les services innombrables offerts par les mini-aéronefs de secours notamment. Le ciel de Meudon offrait le joyeux spectacle de drolatiques petits drones décorés par les « hippsters » du marketing, fascinés par ces supports d'une visibilité exceptionnelle.
Ce n'est qu'en 2020 qu'une nouvelle génération de drones est apparue, offrant de plus en plus de pouvoirs à la machine, avec la multiplication des robots volants. Les Scientifiques restaient optimistes sur le ratio coût/avantages de nos drones. Ils offrent plus de service et de rentabilité que de dommages et restriction. Certes, ils sont livreurs, secouristes, urbanistes, mais aussi policiers et supports devenus indispensables aux politiques de déplacements et surveillance des populations. Lucia à cette époque a atteint la trentaine et son inquiétude grandissait quant à l'avenir du ciel et de la terre. Les drones masquaient de plus en plus le soleil la journée en fonctionnant toujours à son énergie, et la nuit devint scintillante et festive, puis totalement aveuglante. Les phares des Drones remplacèrent les réverbères. Ces nouveaux drones plus puissants, plus grands assuraient la nuit tombée la surveillance des sites sensibles, centrales nucléaires, transformateurs électriques, barrages hydrauliques, ouvrages d'art.
~ Rêve récurent : monde onirique de Lucia~
Lucia fait un rêve récurrent. Elle est Place de l'Opéra à Paris, Depuis lors devenue la capitale maudite. Mais en 2014, Lucia appréciait de s'y rendre en RER C. Partie de Meudon, elle descendait à Bir Hakeim et marchait le long des berges de la Seine. Elle traversait les quais, à Pont de l'Alma ou Pont de la Concorde au gré de ses pas. Gravées dans son inconscient, ses marches automatiques peuplent depuis ses rêves obsédants. Et là voilà soudain longeant les grands magasins Bvd Haussman. Dans son monde onirique, les boutiques sont perchées en hauteur sur des esplanades. Une frénésie d'achat s'empare d'elle : elle déambule dans les couloirs de bâtiments anciens presque vides, à la recherche de quelques portiques de fringues épars. Des sacs, accessoires et étoffes apparaissent de façon aléatoire dans un dédale de couloirs hauts de plafonds.
Soudain une euphorie presque palpable s'empare d'elle, suivie d'un bien-être immense qui la submerge. Elle a trouvé la petite robe à pois bleus de ses rêves. Puis elle s'échappe de ces hautes demeures désertées par les clientes. Elle contourne l'Opéra Garnier, blanc immaculé, la place est vidée de sa circulation et Lucia semble chercher son chemin. Son périple la conduit sur une grande artère découchant sur une sorte d'arche. C'est là qu'il lui faut choisir sa voie, son pouls s'accélère, doit-t-elle tourner à gauche ou à droite ? Et son avenir en dépend, c'est toujours la même suffocation qui l'étreint, et elle est attirée irrésistiblement à chaque fois vers la voie de gauche. La ville s'estompe à l'arrière ; la voie bitumée devient poudreuse alors qu'elle s'approche de la partie gauche de l'Arche. La nature succède au goudron, et derrière l'aqueduc qui prolonge l'arche, apparaissent océan, embruns, et falaises. Lucia prend une impressionnante respiration, chaque cellule, alvéole ou même artériole de son organisme sature d'oxygène. Dans son sommeil la jeune fille semble apaisée, ses traits fins comme parcheminés se détendent, sa peau laiteuse est lumineuse.
Lucia a retrouvé le goût de la vie, le sens de l'odorat du toucher et de l'ouïe. Ses quatre sens aujourd'hui sont anesthésiés par les machines, trop bruyantes. Si les robots ont bien dans un premier temps décuplé les sensations virtuelles, aujourd-hui la sensualité primitive s'est étiolée.
Son épopée rêveuse se poursuit à flanc de falaises : la dormeuse soupire d'aise dans son sommeil profond. Les côtes maritimes l'entraînent dans une nouvelle ballade de corniches en corniches. Le ciel est d'un bleu profond, azuré, sain. Seuls quelques mouettes et cormorans pourfendent les airs. Parfois un cerf volant taquine les nuages épars de ses couleurs vives. Voilà un véliplanchiste qui s'extrait des vagues, porté par son parachute ascensionnel. Un petit avion bi_moteur tire une banderole publicitaire : le vrombissement de sa double hélice agace Lucia. « Quoi de plus beau que la terre vue du ciel ? Testez gratuitement notre nouveau robot volant : Le Movie Pilot fera de vos vacances des souvenirs impérissables ! »
Les vacances de Lucia furent toujours jalonnées par des besoins plus terre à terre : la recherche de gargotes où se nourrir et d'abris où se reposer. Ses rêves en sont la retranscription obsédante. Peu importes les baignades, les joggings le long de la plage, les lectures menton collé à la serviette, livre éclaboussé d'embruns et parsemé de grains de sables poisseux crissant entre les pages. Tout moment de détente est conditionné par la perspective bien régulée de l'abri ou du repas.
Tout semble tracé, c'est comme si elle ne pouvait sortir de son itinéraire ! La jeune vacancière onirique recherche l'antre, le refuge et le restaurant, tous situés étrangement à flancs de falaise. Elle retrouve dans son inconscient ce manque béant de l'antre utérine. Rien que de très banal, somme toute. Arrachée à sa cité merveilleuse, sa maman décédée depuis lors, son papa déplacé dans une autre mégapole, et sa sœur accaparée par sa mission d'ingénieure aéronautique à l'Office National de recherches aérospatiales.
La vie de Lucia n'a rien de cette escapade océanique, revêtue de cette tenue soyeuse et légère qu'était sa petite robe à pois dont elle rêve si souvent. En cet annus horribilis 2024, l'humanité n'a plus que de nom cette essence qui lui fait désormais cruellement défaut.
~ 2024~
Une bourrasque bascule Lucia dans la réalité : elle se retrouve agrippée sur sa bécane, le long de la voie du Tram, bringuebalant à côté des remblais parsemés d'éclats aveuglants des anciennes carrières.
Falaises-Roches-Minéraux-Semi-conducteurs- puces..
L'activité industrieuse et humaine sur terre a fait exploser la teneur en dioxyde de carbone dans l'atmosphère. Les mini dirigeables fonctionnent à l'énergie solaire et donc n'accentuent pas la présence de C02. On a même un temps pensé faire absorber par les aéronefs le surplus de C02pour le recycler en oxygène. Mais cela n'a jamais vraiment fonctionné et était même dangereux : le surplus d'oxygène entrait parfois en combustion avec la chaleur dégagée par l'énergie solaire et faisait exploser les aéronefs comme autant de mini-dirigeables en perdition.
Elle aspire une bouffée azotée dans son casque, la respiration de plus en plus saccadée. Trop d'informations se bousculent dans sa tête, mais sa priorité c'est ses jeunes malades qui l'attendent au Gymnase. Elle panique.
Lucia ressent encore ces fulgurances qui l'obsèdent le long de la journée. Une conversation avec sa sœur lui revient à l'esprit.
« As-tu enfin compris que c'est la terre qui nettoiera le ciel ? », répète Cornellia d'un ton sentencieux de scientifique.
Lucia se souvient ensuite des paroles obscures de sa sœur qui lui assène: « C'est pourquoi il y aura cette explosion volcanique morbide qui certes va asphyxier les drones de sa pluie d'acide sulfurique, mais va condamner et dévaster les populations locales . »
Et Cornellia de poursuivre : « Le Soleil obscurci par les drones a anormalement déréglé le climat. C'est les émissions de Co2 issues de la circulation terrestre qui ont accentué le phénomène de bourrasques. Les drones font de l'ombre et génèrent des courants d'air par leur circulation. Il y a donc deux type de dérèglements à contrer : La pollution visuelle et auditive du ciel , et la pollution chimique et carbonique de la terre. »
Lucia balbutie : « Plus de pollution : nettoyé le ciel des effluves de C02 de la circulation terrestre et des drones producteurs d'ombres et de turbulences fréquentes… Grâce à l'olivine issue de la lave stratifiée dont les minéraux sont des aspirateurs de dioxyde de carbone »
Toutes ces fulgurances qui l'obsèdent vont enfin être partagées avec son ami Andrea. Le trajet est interminable sous les averses et les trombes d'eau. Sa vigilance est heureusement secondée par le Drone d'aide à la circulation. Elle n'en peut plus de ces pluies matinales de plus en plus fréquentes. Ces nuages tourbillonnants, issus des émissions de Co2 dues à l'activité humaine trépidante.
Lucia a parfois l'impression d'être une momie coincée dans un sarcophage.
« L'expérience des drones touche à sa fin. Seuls les humains ultra sensibles ont été détectés par la Super Nacelle et seront envoyés dans l'hémisphère Sud. »
Le pas est vite franchi en effet pour les drones de lire les pensées des humains, disséquer leurs actions, cartographier les flux de populations, en déplaçant les urbains dans métropoles, sorte de colonies regroupant les citadins selon leur capacité, leur âge, ou encore leur richesse.
Lucia conclut « Et si pour organiser un sauvetage de grande ampleur suite à une catastrophe naturelle ou à un accident, les robots ont besoin de repérer le moindre détail, qui pourra s'en plaindre ? »
Personne n'est dupe, dans cette ville ultra connectée, du rôle de la smart city. Son tempérament ultra-sensible lui pèse si souvent dans ce monde robotisé, sa tête est pleine comme une citrouille.
Lucia gémit à voix basse :« Mes petits protégés ! Pourquoi sacrifier ces enfants malades ? »
Et Cornellia de lui répondre : « Tu sais bien que le confort et la liberté de circulation sur terre et dans les airs a toujours supplanté la santé des petits d'homme… »
Lucia est atterrée, et la dernière phrase de sa sœur tourne en boucle dans son esprit :
« Tous tes songes sont implantés par cette mère matrice selon tes inquiétudes et tes préoccupations. »
~Élus des Stades et Charbonneux ~
Les stades, ce sont nos antres utérines, ce sont nos havres de paix. Les miséreux et exclus tentent bien d'y accéder, mais le seul moyen est de se blesser pour s'y faire soigner, et gare à qui simule une maladie.
Lucia a l'aube de ses 40 ans a choisi ce jour venteux et chaotique pour faire bouger les choses sur terre, puisque le ciel lui est hostile.
Alors elle réfléchit aux forces en présence : charbonneux et élus des stades. Quel moyen pour les unir sans se faire remarquer par les autorités ?
Où se cachent-ils ces rebelles souterrains ?
La capitale compte un dédale impressionnant de boyaux souterrains, dont les fameuses catacombes. 1,7 km de galeries souterraines situéà plus de 20 m sous terre, bien plus bas que le métro, hors de portée des ondes quelles qu'elles soient. Moins connu, mais tout aussi protégé est l'abri bunker de la gare de l'Est datant de la deuxième guerre mondiale mais toujours dans un parfais état de conservation. Les ingénieurs dissidents ont rejoints ces lignes de défense obscures mais efficaces, afin de renverser la tendance climatique et sociologique délétères.
Malgré sa perspicacité, Lucia est loin de se douter des projets menés ici-bas. Lucia fonctionne par flashes . « Est-ce que la survie viendrait de la nature Andrea ?", chuchote-t-elle dans son casque, en humectant son piercing lingual, « l'homme l'a ravagée, mais elle n'est pas si rancunière, avec ceux qui ont gardé un contact autre qu'intéressé avec ses bienfaits.. »
Les collines des coteaux offrent peut-être les minéraux qui nettoieraient le ciel. Sa sœur lui a souvent parlé des miracles de la chimie. Si le salut du ciel venait tout simplement des ressources de la terre.
« Drones Rescue, Drone Livreurs, Drones Cartographes, Drones Topographes ne sont que des leurres. Les conséquences visibles de leur ballet incessant dans le ciel est d'assombrir , d'éblouir ou d'assourdir les citadins, mais pour la bonne cause : faciliter les échanges commerciaux grâce au fret proposé par les Drones Express, ou surveiller et réparer les réseaux de transport , d'énergie, ou encore les infrastructures et sites sensibles. Les photographes, cinéastes se sont emparés les premiers de l'époustouflant sentiment libératoire des drones Caméra .
Les flux de personnes ont été contrôlés depuis longtemps, maintenant ce sont les flux de données qui s'autoalimentent. Le ciel de Meudon regorge de ces robots espions. Avec pour seul opium du peuple l'émerveillement procuré par le cinéma boréal : telle une aurore dans le ciel obscurci des aéronefs, le sentiment libératoire obtenue par la réflexion des films diffusés sous le dôme céleste ; imagerie amplifiée par les flancs des drones blancs affectés à cette occasion.
Lucia n'a plus qu'une boule dans la gorge dans ces moments-là. La seule échappatoire lui semble être les dédales des catacombes et autres sous-sols riches en minéraux. La silice et l'olivine ont les propriétés décrites par sa sœur : des solutions de dépollution du ciel asphyxié de Co2 à cause de la circulation humaine et de l'activité industrieuse. Et les roches peuvent également nous permettre de se débarrasser des drones ombrageux qui déstabilisent les masses d'air à cause des ondes émises et des vibrations des pales.
Lucia et Andrea, tout comme ces colonies qu'on appelait aussi des mégapoles se débattent, survivent sous l'œil des super-nacelles.
~Andrea Dieu du Stade ~
Andrea est arrivé le premier au stade du Fort d'Issy. C'est une structure oblongue surmontée d'un halo lumineux et dotée des dernières technologies en matière de santé et premiers secours. Le stade est une construction entièrement autonome, une ville dans la ville. Le bâtiment se situe dans les remparts du Fort d'Issy, vaste éco quartier de 12 hectares hébergeant environ 4000 habitants parmi les plus privilégiés. Très orientés vers les nouvelles technologies, ses résidents disposent de vastes demeures surmontées de dômes dans lesquelles sont diffusés d'apaisantes images célestes.
Le jeune Andrea âgé du haut de ses 25 ans est certes d'une beauté sculpturale, mais surtout très efficace. Il ne s'en laisse pas conter. Statue animée loin d'être de marbre, tel un personnage de Michel Ange, Andrea a une solide formation médicale.
Sa technique médicale est de rechercher les transformations biochimiques spécifiques aux tumeurs et métastase dans le but de parvenir à guérir un jour les petits patients leucémiques de Lucia.
Sa vocation le porte aussi à secourir les humains victimes de catastrophes naturelles : inondations, tornades, pluies diluviennes provoquent épisodiquement des afflux de sans-abris venus chercher refuge au stade.
Arrivé à la porte d'entrée après avoir traversé le pont levis digne des plus aboutis des châteaux forts médiévaux, il rejoint le vestiaire. Tel un chevalier des temps modernes, il revêt sa tenue de travail. Le costume stérilisé du personnel soignant consiste en une salopette bleue azur surmontée d'une blouse orange. Si un risque important de contamination existe, alors nos secouristes se protègent avec la combinaison cosmonaute rendue célèbre depuis la pandémie d'Ebola.
Andrea cligne ses beaux yeux vert de gris, ébloui par l'intensité lumineuse de la voûte céleste. Il se frotte les oreilles et articule exagérément pour ses dégourdir la mâchoire : « Nous y voilà, nous y voilà… Je t'attends Lucia ! », tout en caressant son menton ombré d'une légère pilosité. Besoin de se détendre après ce trajet éprouvant, besoin de parler à Lucia.
Plus de vilains coucous métalliques vrombissants, point de ciel bas, noir des ombres des drones sifflants. Ici on a l'illusion du passé, même si le ciel est faux, les stades sont couverts. Les comètes sont des images projetées. Il s'agit de tracés de GPS .
En enfilant sa tenue de soignant, Andrea est équipé d'un traceur. C'est en ce bel Automne 2014 que tout a commencé, avec les premiers joueurs de rugby équipé par une micro puce inséré dans le tissu de sa tunique, au niveau des omoplates pour suivre leur rythme cardiaque, leur déplacement, leur température. En 2024, il s'agit d'une seconde peau électronique au graphène, sorte de tatouage qui permet de suivre en continu les données physiologiques d'une personne.
~Révélation de Lucia ~
La jeune quadragénaire secoua sa longue chevelure blond vénitien. Des mèchettes fouettèrent le visage d'Andrea lorsqu'elle s'approcha pour l'embrasser.
Quelques enfants l'entourèrent : « Lucia, Lucia ; on se déguise en cosmonautes ? »
Ce sont des petits leucémiques que Lucia a pris en affection, elle les enlace et leur chuchote qu'elle a des choses importantes à régler avec son ami Andrea.
-« Alors t'as encore eu des rêves prédictifs ? »
Elle haussa les épaules, elle avait eu une drôle de suite à son rêve récurrent cette nuit, celui où elle contourne l'arche et se retrouve au bord de l'océan. Elle avait choisi cette fois d'aller à droite de l'arche, et s'est retrouvée glissant dans un puits sombre et poussiéreux.
Cette fois elle n'avait pas le souffle léger et les traits détendus de la dormeuse apaisée. Elle était tombé dans les catacombes et un mystérieux interlocuteur s'est adressé à elle, frissonnante, glacée jusqu'aux os.
Maintenant il n'y a vraiment plus de ciel, jusque aux fin fonds des entrailles parisiennes, que des dédales sombres, dans lesquelles déambule alors Lucia.
Dans cette nouvelle aventure onirique Lucia porte sa petite robe à pois dans les travées des catacombes. Étrange tenue pour ce rendez-vous mystérieux avec le Charbonneux en chef ! Une voix résonne sous les voûtes obscures. Des bruits de clapotis, des flashes la font frissonner. « C'est moi, Lucia, j'ai choisi de vous rejoindre, de dépasser mes peurs.. »
La voix caverneuse lui répond : « Tu veux comprendre pourquoi la terre regorge de richesses inemployées à bon escient »
« Où êtes -vous ? Aidez-moi ! Je n'en peux plus de ce ciel voilé le jour et scintillant la nuit »
Elle sanglote : « Marre de cette vie cloitrée, cette civilisation délétère qui accentue le nombre de nos malades en manque de lumière naturelle. »
Elle renchérit : « Notre ciel, tel que nous l'avons connu en ce début du 21è siècle, il me manque.. Ce ciel, il est perdu pour tous nos concitoyens des Métropoles.. »
La voix enrouée reprend : « On en a besoin, ils nous aident Lucia ».
Lucia hoquette : « Qui ça, Les drones ? Ils fonctionnent à l'énergie solaire, ils pompent tous nos minéraux pour les circuits de leurs composants. Je n'ai plus de ressources pour soigner mes malades. »
La voix s'époumone : « Les drones nous aident Lucia ! Veux-tu vivre uniquement d'amour pur , de ciel clair et d'eau fraîche ? Les aéronefs nous facilitent tellement la vie qu'on ne pourrais plus s'en passer. Ils ont permis la rationalisation des ressources et d'aider à soigner tes enfants, quoique tu en dises ! »
Lucia marmonne : "Il est normal qu'ils nous livrent les médicaments, après nous avoir cloîtré au Gymnasium… »
Andrea s'impatiente, Lucia semble ailleurs, elle s'empêtre dans son récit.
-Mais que font les charbonneux ? , relance-t-il
Andrea attend la suite de la révélation nocturne de sa collègue :
La voix dans mon rêve m'a dit : « Es-tu prête à entendre la vérité, celle de l'expérience ultime et de ses dommages collatéraux ».
« Ils cherchent des minéraux pour éclaircir et dépolluer le ciel. C'est l'olivine verdâtre, minéral présent en abondance dans le sol qui a tous leurs suffrages. «
-« L'olivine permet d'absorber la dioxine de carbone présent dans l'atmosphère et ainsi de réduire le niveau des températures et donc de diminuer sécheresse, tornades et autres catastrophes climatiques. Ainsi grâce à la capture du Co2 l'ère déréglée de la fin du premier quart du 21 è siècle retrouverait le bien être du début du siècle. »
-« C'est tout ? », Andrea semble déçu.
-« Il y a bien une autre piste envisagée par les scientifiques terrés et terreux, s'inspire de l'éruption du Mont Piratubo dans les Philipines au XXè siècle, plus exactement en 1991. Le nuage de dioxine émis à l'époque par l'éruption avait généré de fines gouttelettes d'acide sulfurique éparpillées dans la haute atmosphère. Ces gouttelettes avaient agi comme des mini miroirs réfléchissant les rayons dardés par le soleil vers l'espace. Il s'agit de déclencher une éruption volcanique artificielle en ayant le moins de dommages collatéraux possibles. Les drones seront privés d'une partie de leur énergie solaire et s'affaibliront enfin. «
Andrea approuve et poursuit lentement comme pour se convaincre :
-Or, L'olivine est le minéral dominant des péridotites, roches constituant le manteau. L'olivine est le premier minéral à cristalliser lorsqu'un magma refroidit. C'est pourquoi il est souvent présent dans les basaltes. Il peut cristalliser à une température d'environ 1 000°. C'est le premier minéral de la suite réactionnelle.
Lucia se rappelle les paroles de sœur.
-« Et si nous fusionnions ces deux idées, puisque l'olivine est une roche volcanique, pourquoi ne pas profiter de ses propriétés réfractaires pour anéantir ces horribles drones et retrouver le ciel d'antan. »
La toiture du stade semble très proche tout d'un coup. Avant de reprendre sa forme initiale, vision flottante, fatigue grandissante.
Lucia est comme possédée, mais Andrea sent bien que cela n'a pas de sens : les drones ne résisteraient pas au souffle de l'explosion d'un volcan mais cela reviendrait à condamner une partie de la population, celle de toute la région Ile-de-France , consumée, vitrifiée pour le salut du ciel sans drones.
Lucia est comme possédée : « Il y a un ailleurs.. »
« La colonie la plus débrouillarde sera l'élue et le ciel sera à elle : un stade de la taille d'une nation tenu secret dans la planisphère sud, protégée des intempéries dues aux émissions de C02 et à la circulation des aéronefs » Cette drôle d'espérance tourne en boucle dans l'esprit de Lucia depuis des semaines. Elle peut enfin se confier à Andrea. Car ses songes deviennent pour Lucia des visions prémonitoires qui la laissent pantelante et pleine d'espoir. La face de la cité merveilleuse est déjà condamnée. Le nuage gris qui surplombe en permanence la pointe Trivaux a raison des nerfs de la jeune secouriste. Elle rêve d'un ailleurs.
Andrea est très loin, comme retiré en lui-même, ses yeux bleus assombris comme opaques, vert de gris, insondables.
« On a la solution sous nos pieds », rappelle la jeune femme, les traits tirés, mais les pupilles dilatées. « Dans les profondeurs de la terre, nos alliés à la rescousse »
Andrea est sombre, décalqué, tout est clair soudain pour lui, et sa pauvre amie lui inspire une peine incommensurable.
-« Je crois qu'il faudrait des années voir des siècles à l'olivine pour aspirer toute la pollution : cette idée est absurde voyons Lucia ! Ce sont les sbires de ta sœur qui t'ont mis ces idées en tête ? »
« Il va falloir qu'on descende rapidement ». Andrea est sorti brusquement de sa torpeur. L'espace semble rétréci, les drones bruissent dans le lointain, la capsule de l'Arena va les enfermer.
Dans son cerveau en ébullition, Lucia revoit en accéléré les images des premiers drones de services. La vie en avait été facilitée. Livraison des courses à domicile, robot prodiguant assistance et premiers secours. Mais aussi les spectacles ahurissants pris du ciel libérés de toutes entraves d'espace et de mouvements.
Comme de concert, Andrea et Lucia lèvent leur regard vers le dôme constellé d'étoiles. La voûte céleste artificielle semble s'élargir puis rétrécir sous leurs yeux fatigués.
Les deux secouristes s'accordent une minute de rêverie. Les vrombissements des aéronefs ne sont plus qu'un vilain souvenir. Les enfants jouent avec d'autres secouristes dans l'atrium du Gymnase. Leurs éclats de rire fusent dans l'air confiné.
« Le programme Soleil Noir ! Noir comme le charbon », Andrea a dit ces mots dans un souffle.
« -La super-Nacelle a le pouvoir ultime, la gestion de tous les traceur, comme celui que j'ai dans mon tatouage seconde peau en graphène.
, « -L'olivine et la silice servent à fournir les semi-conducteurs insérés dans tous les équipements, les vêtements de travail. Ils ne nous fourniront aucune liberté, je n'avais pas compris pourquoi j'avais si peu loin de l'océan, alors que je pensais que les catacombes étaient le bastion des scientifiques rebelles. »
Andrea renchérit :
« -Les charbonneux n'existent pas, toutes ces fausses informations étaient là pour toi pour te faire croire en la possibilité d'une rébellion.. »
Lucia se souvient de flash lors de sa descente nocturne dans les catacombes. C'est un autre tour de passe-passe de la super nacelle : ces faux scientifiques retournent les cerveaux des gens hyper sensibles comme toi.
Lucia pense à sa moto garée au sous-sol, elle sent le sol se dérober sous ses pieds.
Andrea lui presse doucement l'épaule.
« -Surveillance, ciel bouché, ronde infernale des drones. Soleil caché, climat déréglé, ondées, bourrasques.. »
Lucia aspire doucement l'air tiède et ronronnant fourni par la climatisation. Leur quotidien, leur routine entre désillusion et résignation. Ses dédales oniriques…
Les humains de la Cité Radieuse ne connaissent plus qu'un ciel sillonnés de drones, solution des Autorités pour gérer les flux, éviter la pagaille, assurer la sûreté et la gestion des infrastructures.
Le ciel n'est plus bleu depuis longtemps, les UV sont artificiellement fournis par les phares des drones.
« Et les Stadiums ? » Murmure Lucia perdue, comme recroquevillée en elle-même.
« - Les stadiums sont des prisons, des illusions de liberté »
La super Nacelle supervise la société : le ciel est quadrillé, elle connait la Métropole Élue. La concession de la ville a été entièrement déléguée à l'aéronef coordinateur : tel un dirigeable issu des récits visionnaires de Jules Vernes, la Super Nacelle gère, attribue les Stadiums.
Lucia reprends un peu pieds, elle a vu tout ça dans le sous-sol des charbonneux, dans ce monde onirique, et elle a cru à la liberté, quand on lui faisait comprendre que tout était perdu depuis longtemps. Sa petite robe à pois n'est plus son habit de liberté depuis si longtemps, elle est en mission, elle avait la solution sous ses yeux, sa tenue de travail, sa moto, tout est tracé.
Les concitoyens de la Cité-Jardin seront parqués dans les Stadiums au ciel artificiel et recrutés comme eux par les ingénieurs déguisés en rebelles des souterrains », les poursuivants jusque dans leurs rêves.
Les hommes ont besoin de se croire libres, même si la réalité la plus criante est là tous les jours pour leur prouver le contraire.
Mais pourquoi aller dans les souterrains, catacombes ? Un centre protégé d'un dôme, ou une Arena aurait suffi.
Lucia a très mal à la tête. Elle glacée jusqu'aux os. Les os comme les ossements des catacombes. Le plus grand ossuaire du monde. En le formulant à voix basse elle voit toutes les scènes qui peuplent ses rêves prendre place comme dans un puzzle géant. Froid glacial qui s'immisce jusque dans sa moelle épinière . Corneilles tournoyantes au dessus des falaises abruptes. Vertiges extrême et inconfort.
Les petits leucémiques ont ce que l'on appelle le cancer des os ; qui se diffuse dans le sang. Les petits d'homme sont atteints dans leur racine, leur substance, leurs squelette se décalcifie. D'où son obsession pour les catacombes ?
Quel mélange son cerveau a produit ? Le sang, les molécules, la lave du corps, les olivines ?
Elle s'effondre, Andréa ! Elle cherche son regard bleu vert insondable.
Lucia sens une légère pression sur son épaule.
Les enfants l'entourent, revêtus de leur tenue de cosmonautes.
Le gymnase est grouillant de monde : il sent une légère odeur de renfermé et de sueur.
Elle se retourne, Andrea lui sourit.
Elle ne verra plus jamais le ciel, sauf dans le bleu vert limpide de ses yeux.