Le coeur s'est invité dans le cul

Cathy Galliègue

Te souviens-tu de ces tous premiers soirs, ceux des gestes élégants, des regards profonds, de ta délicatesse, te souviens-tu comme nous nous étions promis de ne pas être les pansements de nos blessures passées ? 

Mon pauvre amour, au moment même où nous nous faisions cette promesse, tu étais déjà collé sur mon échancrure béante. Tu colmatais, tu protégeais, tu soulageais, j'en oubliais la plaie, je me laissais cicatriser doucement, en confiance entre tes mains expertes.

Tu ne t'en apercevais pas, mais tous ces bienfaits dégoulinaient de mon corps au tien, se répandaient sur tes blessures, je les voyais se refermer, chaque jour moins douloureuses que le précédent, tu lâchais du leste, je distillais des petites doses de bonheur sur tes écorchures, je soufflais sur le mal. Nous nous sommes délicieusement réparés.

Ce qui se passait dans ta tête restait inaccessible. J'étais attendrie par ce mystère, cette sensibilité qui suintait de chacun de tes pores. Je ne voulais rien bousculer, ne pas gratter là où ça fait trop mal, juste être à l'écoute de tes yeux et apprendre à décrypter tes sourires.

Tu répondais à mes questions par des questions, une petite pirouette et on change de sujet. Ainsi, nous pouvions passer des nuits entières à parler sans que jamais tu ne dévoiles ce qui se passait réellement entre toi et la dizaine d'habitants qui peuplaient ta tête.

Tu vois comme j'ai été patiente ?

Tu vois comme il faut aimer pour te suivre dans ton tempo, aussi pudiques avec les mots qu'impudiques avec nos corps livrés sans retenue à nos débordements charnels ?

Comment peux-tu me malmener avec autant de gentillesse et d'indifférence ? Comment peux-tu me laisser simplement attendre ce que l'on t'a appris à ne jamais laisser paraître ?

Fous-moi la paix avec tes « Coucou » du bout du monde ! Laisse-moi juste avec mes souvenirs. Garde le ton amour ! Bien au chaud, bien planqué ! Mets ton corps en danger chaque jour mais surtout protège bien ton cœur de mes élans désespérés !

Alors, nom de Dieu ! Mon amour infernal, dis-moi que j'ai tort, dis-moi juste que tu n'as pas assez de mots pour tant d'amour. Dis-le et je te donnerai ma vie, j'accepterai la tienne… les tiennes. Sors de ton bocal, ouvre les vannes !

Je sais que ça bouillonne là-haut, je sais que derrière la façade si calme, c'est la tempête dans ton crâne. Si tu restes coincé là, tu vas boire la tasse de ta vie, te noyer dans ton propre jus et je ne pourrais rien pour toi ! 

Je commence à penser que le cœur s'est invité dans le cul. Et qu'il n'aurait pas dû.»

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