Le coq et la coquine

Paul Eyre

Recette coquine pour séduire à feu doux un coq coriace, l'attendrir et le déguster lorsqu'il est à point.


Nul besoin de bière pour réussir cette recette qui ne manquera pas de vous faire mousser pendant longtemps aux yeux de votre convive. Le coq est en revanche indispensable : ce sera bien entendu un vrai coq, pas un coquelet, ni un poulet, encore moins un chapon. Même s'il est souhaitable qu'il ait de la bouteille, n'utilisez pas non plus un vieux coq réchauffé qui vous serait resté sur les bras après vous avoir été généreusement offert par votre belle mère, agricultrice à la retraite. Celui là, donnez le plutôt à votre bonne amie, vieille fille végétarienne convertie au nouveau mouvement décroissant (vous savez il ne faut rien jeter, faire du neuf avec du vieux etc.), qui ne le mangera pas mais risque de le transformer en véritable fumier.

 

Voici quelque recette pour rendre votre coq appétissant, et éviter qu'il ne  devienne trop inconsistant ou coriace, perde de sa saveur, se dessèche et finalement, finisse rance et impropre à la consommation.

 Commencez bien entendu par le plumer. Entendons-nous bien, juste ce qu'il faut. Plumer ne veut pas dire dépecer. Certaines pensent que cela ne se fait pas. Ridicule ! Comment le cuisiner en y laissant des plumes ? Impossible ! Un coq déplumé est nécessaire pour une alliance réussie entre la gueuse et la volaille. Le plumer est primordial pour une bonne cuisson à condition toutefois que ce soit vous personnellement qui vous chargiez de l'opération. Ne laissez à aucune autre le soin de plumer l'animal.

 

Une fois plumé, surtout ne le démembrez pas. N'enlevez ni la crête, ni le bec, il doit pouvoir garder la tête sur les épaules. Et surtout, surtout, ne lui coupez pas les pattes. Soyez attentive à ne pas jouer les écervelées, cela évitera qu'il ne prenne ses jambes à son cou lorsque vous lui présenterez le projet. Ne le roulez pas non plus dans la farine, il ne s'agit pas d'un pigeon. Prévoyez cependant le temps nécessaire à une bonne préparation. Il faut savoir l'attendrir.

Pour cela laissez mariner votre coq quelques heures, voire quelques jours, dans un vin charnu d'une belle robe rouge ardent. Si vous utiliser deux cépages, soyez attentive à l'assemblage, et choisissez bien le cep. Bien planté depuis quelques années, vous pourrez profiter de ses belles expériences, il sera vraisemblablement préférable à un jeune cep qui sera assurément bien droit et vigoureux mais si pressé qu'il ne donnera rien ou seulement quelques gouttes qui manqueront certainement de sel et de piment. Il va sans dire qu'un cep trop vieux, vouté, noué, parfois effiloché à l'extrémité n'a lui non plus aucun intérêt. Tout est dans la mesure.

Pendant que le coq marine, essaimez quelques saveurs subtiles sur la robe. Parsemez-la de mimosa, d'acacia ou d'autres fleurs. Évitez cependant le souci ou le pissenlit, préférez leur  le lys, le coquelicot ou l'éternelle rose. Le bouquet ainsi assaisonné valorisera de tout son arôme votre gros poulet. Portez délicatement quelques-unes de ces  gouttes liquoreuses à vos lèvres pour juger du résultat et rectifier éventuellement.

Pour l'accommodement, n'oubliez pas : des essences discrètes et suaves sont plus incitatives qu'un parfum trop puissant qui risque de lui faire tourner la tête avant même d'avoir goûté au plat. Certaines ajoutent du gingembre. Si vous vous débrouillez bien, avec cette recette, il n'en n'est nul besoin. Un bémol cependant dans cette observation concernant celles qui ne sont pas sûre d'elles. Pas d'erreur, s'il vous plait, le gingembre est toujours préférable au céleri ou à l'ail qui produisent les mêmes effets, mais non les mêmes conséquences. Imaginez un baiser aillé…je crois que vous m'avez comprise. Un carreau de chocolat noir glissé dans son bec aura aussi un bel effet, surtout si avec lui vous le croquez. Quoi que…ce dernier aliment sera encore mieux utilisé, si, délicatement vous le sucez et vous en délectez. Inutile d'aller chercher très loin votre inspiration car n'oubliez jamais qu'une pointe de cannelle, un zeste d'agrume, un brin de fantaisie seront bien plus appréciés qu'un exotisme artificiel ou mal dosé.

Restez raffinée dans la préparation, subtile dans l'assaisonnement, légère dans la décoration. Puis…  Laissez le mariner encore pour lui ouvrir l'appétit.

Une fois bien mariné, réservez-le dans un endroit frais et humide. Par exemple dans la salle de bain. Pendant ce temps préparez vous un bon bain, détendez-vous, faîtes-vous la peau douce. Évitez le lait d'ânesse, sa réputation est usurpée. Utilisez plutôt un parfum en vogue porté par une actrice renommée, belle et jeune de préférence, qui, à  bien y regarder, a quelque chose de vous. Le même grain de beauté sur la joue, les mêmes cheveux châtain clair, les mêmes jambes galbées, cela le fera à coup sûr fantasmer.

Ah, j'allais oublier, avant de le laisser, n'hésitez pas à lier les extrémités de la bête au moyen de cordelettes serrées. Bridée et ligotée, elle n'aura qu'une hâte, celle de vous voir allumer le feu. Faîtes le, jouez l'allumeuse et tenez bien la mèche. Puis quand le feu a pris, laissez la flamme lécher chaque parcelle de peau. Vous verrez qu'il en aura la chair de poule. Et dans ses yeux  observez l'étincelle se raviver. Pour éviter tout risque d'incendie, vous serez attentive à  ne laisser échapper quelques flammèches intempestives.

 

Il s'agit maintenant de choisir la cuisson. Premièrement, évitez la recette éculée de la cuisson en croûte. Entre nous, un mâle encroûté n'a rien d'appétissant. Pas plus qu'un vieux croûton qui, par votre savoir faire, croira, en vain, bénéficier d'une seconde jeunesse. Quoi que, bien accompagné, il ne sera peut-être pas si mauvais. Je le préfère d'ailleurs aux bonnes pâtes, trop souples et trop tendres, en bref, trop malléables.  L'idéal, c'est le mélange des deux. Prenez notre bonne vielle baguette, par exemple, la mie à l'intérieur chaude et moelleuse, bien protégée dans sa tige dorée, qui réchauffe la gorge sans jamais la brûler, que l'on peut dévorer ou seulement mordiller, dont on aime lécher le quignon, quel délice !

Pour ne  pas lui brûler les ailes, allez-y doucement. Faîtes-le mijoter.

Pour cela, évitez les veilles cocottes qui ont souvent servi des plats trop réchauffés. Ni daubière, ni sautoir, vous seriez, et lui aussi, dans le pétrin. Celles qui prétendent que les meilleures soupes se font dans les vieux chaudrons sont de fausses amies. Certes, le potage sera bon mais la cocotte reste ancienne. Si on ajoute à cela un vieux fourneau, il ne manquera plus que les charentaises pour aller faire dodo dès la fin du repas. Croyez-moi, un vieil ustensile a perdu son apprêt, son vernis, en bref l'excitation de la nouveauté, la saveur de l'originalité. Il faut le raviver, impérativement. Vous l'avez compris, ne laissez pas traîner les vieilles casseroles, cela peut s'avérer très désobligeant voire  malvenu. Il serait, en effet, malsain, de resservir les mêmes plats et d'en faire toute une salade. Il resterait sur sa faim. Conclusion : évitez tout ce qui peut rester coincé en travers du gosier ou qui ne serait pas digéré.  

Pour le saisir à point, aidez vous plutôt d'une jolie sauteuse lisse et colorée, joyeuse, peut-être même un peu vicieuse. Jetez-y le vieux coq (un trait de brutalité bien employé ne nuit jamais). Mais attention, n'oubliez pas qu'il ne s'agit pas d'un chapon déjà gros et gras. A vous d'attendrir le gallinacé et pour qu'il ne reste pas de glace, réchauffer le à vif, puis lentement enduisez le d'huile. Évitez le beurre ou la crème, préférez le saindoux ou plutôt les seins doux que vous passerez et repasserez généreusement sur le derme tel un onguent au parfum délicat au goût d'ambre et de myrrhe.

 Laisser le coq lentement revenir. De temps en temps, écartez les cuisses pour vérifier la cuisson. Attention, cette opération risque d'entrainer, une réaction prématurée. Restez maitresse de la situation. Les cuisses doivent rester fermes et tendres à la fois, douces et accueillantes. Lorsqu'elles prennent une belle couleur dorée, oindre à nouveau la peau pour bien la faire briller. Soyez attentif au regard. C'est à ses yeux qu'on apprécie la fraicheur et la santé d'un animal. S'il vous parait pâle et indifférent, n'hésitez pas à tâter le croupion, à le pincer s'il le faut. Si cela n'a aucun effet, vous pouvez employer le fouet, battez fort mais pas longtemps, vous verrez ses couleurs se raviver, et la bête sera à point. 

 

Les préliminaires passés, ce sera à vous de jouer. Le séduire, et réduire à petit feu sa volonté. Là encore soyez inventive, innovez, ne l'accompagnez pas de haricots verts ou d'asperges longilignes. Encore moins de patates : ni Amandine en robe des champs, ni Bernadette en chaussons, elles seront vraiment trop nature. Surtout pas de Charlotte en robe de chambre, ce sont de véritables remèdes à  l'envie. Si vous tenez à servir le fruit défendu retiré de la terre, préférez largement des Roses des sables ou des Fleurs de pêcher, ou mieux encore les Belles de Fontenay, car même si elles ne durent qu'un an, elles font merveille.  Inspirez vous de l'une d'elles, distinguez-vous. Soyez jolie et souriante. Un zeste provocante. Au choix, vous porterez une guêpière, un bustier ou un joli corset négligemment délacé, des portes jarretelles, ça va de soi. Ou, mieux encore, une robe du soir à même la peau.

Enfin, n'oubliez pas une lumière tamisée, une ambiance feutrée sur un fond musical. Pensez aussi à la présentation. Apprenez à jouer de la mandoline pour dessiner de belles formes rondes et voluptueuses. Pour la décoration : deux pommes à la chair ferme seront très appréciées. Nul besoin de les assaisonner, sauf peut-être sur le sommet. Posez-y deux soupçons de lait rosé. Ceint de ces deux fruits généreux votre poulet sera mieux installé qu'un coq en pattes.

 

Ainsi, une fois que vous l'avez laissé bien mariner, longtemps mijoter, ne le laissez pas reposer, ne le faites plus miroiter. Entreprenez :

Débarrassez le coq de sa carapace autrement il ne fera pas de vieux os, laissez le se rincer l'œil en oubliant de fermer une pression de votre corsage, en laissant une mèche de  cheveux chatouiller votre joue, peut-être même, pour les cas extrêmes, servez-le en petit tablier blanc enfilé à même la peau. Et passez à l'action. Enlevez vos talons aiguilles que vous avez obligatoirement mis, laissez glisser vos bas, et caressez négligemment son pied sous la table, montez jusqu'à la grappe de sa vigne, donnez lui à goûter, à la coupe de vos lèvres, un vin gouleyant et léger qui glisse bien en bouche, effleurez accidentellement ses mains. Chantez si votre voix vous le permet. Une voix chaude fait des merveilles, demandez à Lili Marlène. Et même entre deux plats, dansez pieds nus sur la table, sauf s'il a vu « Et Dieu créa la femme », la comparaison serait insoutenable.

Bref, Servez-le aux petits oignons, arroser le de votre amour, transformez-vous en véritable gueuse et  je vous garantis que votre vieux volatile retrouvera son appétit et vous dévorera plus d'une nuit si vous en avez réellement envie.

Essayez, vous m'en direz des nouvelles !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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