Pierre, Ondeline et moi

Paul Eyre

Un trio amoureux imposé ou désiré ? Par qui ?


 

Nous étions comme deux frères. Pierre, l'aîné, le visage carré, le regard brun et dur. Le corps sculpté par les difficultés de la vie.  Moi, mince et plus petit, le visage fin et les yeux clairs. Nous allions de ville en ville. Lorsque l'argent venait à manquer  mon frère choisissait une proie,  la flattait, la frôlait. Puis c'était des baisers passionnés, des étreintes calculées… Enfin, ils allaient dans la chambre que nous avions louée. À son signal, j'y entrais discrètement, j'y trouvais une femme au sourire langoureux assoupie sur les draps, rassasiée de plaisir. Je devais rapidement récupérer bijoux et argent, puis nous disparaissions. Dans ces moments, le désir et la jalousie m'envahissaient mais Pierre  ne devina jamais ma tristesse.  

Un jour, il revint chez nous avec une jeune fille exquise aux courbes gourmandes, au teint diaphane, aux boucles ambrées et au regard lumière. Il l'installa dans notre chambre. Je dû trouver un coin pour moi dans l'appartement. Je les entendais rire, chuchoter, s'aimer avec douceur ou violence. Une nuit, n'y tenant plus, je pénétrai discrètement dans leur chambre. Pierre,  comme s'il m'attendait, me dit : « Je te la prête.» Je ne la désirais pas. Je fis non de la tête. Ce fut elle qui me proposa : « À moins que tu préfères regarder ? ».  Je l'observai féline et souple ployer voluptueusement et docilement sous les mains masculines, répondre à toutes ses suggestions. Je la devinai se délecter de plaisir, qu'il titille ses seins, qu'il descende jusqu'à ses reins, qu'il explore sa féminité. Pierre me dit alors avec un sourire complice : « Vois comme elle ondule et ondoie. Lorsque j'entre en elle, son corps dessine des vagues qui arrivent et se retirent au rythme que je désire jusqu'à ce qu'elles nous submergent, aussi ai-je décidé de la prénommer Ondeline. » Sur un signe de Pierre, elle saisit mes mains, me guida dans les méandres et les contours de son corps. Sa peau était velours et toutes mes réticences s'évanouirent. Elle saisit mon visage, m'embrassa longuement. J'effleurai son ventre, sa toison, nos désirs allaient se rencontrer lorsque Pierre brusquement nous sépara, saisit Ondeline par la taille et s'engouffra en elle. Elle se cambra pour mieux l'accueillir, tout son être tendu vers un but unique : vibrer à l'unisson de son amant jusqu'à la déflagration finale. Au même moment, la braise qui me consumait silencieusement incendia mon corps et m'entraina dans une étreinte solitaire.

 

Au matin, Pierre chantait. Devant mon air triste, il éclata de rire : « Ne t'inquiète pas ce soir ce sera ton tour ! »

 Il tint sa promesse, et le rituel s'installa. Ce fut d'abord des gestes timides, puis plus hardis. Elle me déshabillait lentement, me caressait, léchait mon corps, s'abandonnait à tous mes désirs. Pourtant, au bout d'un certain temps, je n'éprouvai plus guère de plaisir à ces préliminaires. Seule la pénétration me donnait satisfaction. Afin d'attiser mon appétence, Pierre décida que chaque soir, je « préparerai » notre amie. Je devais la laver, la sécher, choisir les parures et les dessous qu'elle porterait, les essences qui parfumeraient sa peau, l'huile qui rendrait plus aisé le passage pour le cas où Pierre voudrait fendre son verso, les jouets qu'il utiliserait. Il voulait être surpris à chaque fois. Ce n'était pas difficile, je connaissais parfaitement ses goûts et ses exigences.

Un jour, il me tendit un mètre de couturière et m'ordonna de  mesurer Ondeline, la hauteur séparant son nombril du pubis, la longueur de ses cuisses, la largeur de son bassin, mais aussi le tour de sa taille, et celui de sa poitrine. Il nota tout minutieusement sur un calepin. Je savais le sort qu'ainsi il lui réservait et j'avoue que j'en éprouvai  une certaine satisfaction.

 

Quelques semaines plus tard, il revint accompagné d'un homme portant un coffret en bois de citronnier incrusté de perles d'argent et ceint de fils d'or. Immédiatement, le visage d'Ondeline s'illumina comme celui d'une petite fille qui allait enfin pouvoir ouvrir le cadeau qu'on lui avait depuis longtemps promis. Pierre s'amusa de son impatience et, la retenant dans son élan, lui demanda si elle avait bien réfléchi et si elle était toujours d'accord. Elle acquiesça toute excitée. Il l'embrassa tendrement, et fit signe à l'homme d'ouvrir le coffret. Avant de s'exécuter, ce dernier expliqua :

—     Ce sont les derniers modèles de ma fabrication. J'ai rajouté un double tissu de soie entre lequel est fixé une série de fins ressorts.

 Il demanda à Pierre de vérifier les coutures cachetées de cire rouge, posées d'espaces en espaces. J'y reconnus le sceau de Pierre avec ses initiales dessinées dans un graphisme inimitable. Je savais qu'à la moindre tentative d'effraction, la cire se décachèterait. Ondeline, loin d'imaginer l'utilité d'un tel dispositif admirait éblouie le travail d'orfèvre

—     Choisis le modèle que tu préfères, lui proposa Pierre.

Comme elle hésitait, l'homme intervint :

—     Si je puis me permettre, il saisit une ceinture, l'approcha du visage d'Ondeline, regardez comme les reflets rosés des fils d'archal entrelacés se reflètent à merveille dans son regard émeraude.

—     Voulez-vous l'essayer ? demanda-t-il en s'adressant à Pierre.

—     Ce n'est pas moi qui décide.

L'importance qu'il accordait ainsi à Ondeline la flatta, elle ne put résister à l'envie de lui faire plaisir :

—     Comment la revêt-on ? demanda-t-elle.

—     Simplement sur la chair nue, répondit Pierre, et d'un geste sec, il dégrafa ses

jupons qui tombèrent au sol exposant son sexe au regard de l'étranger. Elle rougit de honte autant que d'excitation d'être à la merci de cet homme par la seule volonté de son bien aimé. Son ventre palpitait de curiosité, de crainte et d'impatience. Elle était irrésistible, je baissai les yeux pour cacher mon trouble.

—     Ses formes sont parfaites, constata l'homme en réajustant ses lunettes pour mieux la soupeser.

 Elle osa à peine demander :

—     Serais-je vraiment libre de mes mouvements ?

—     Complètement, la rassura Pierre, puis il se tourna vers l'homme.

—     Faites, je vous prie !

Pierre s'installa dans un fauteuil, me fit signe de nous servir un verre de cognac, il choisit un cigare dans la boîte que je lui présentai et m'en offrit un m'invitant à m'asseoir à ses côtés.

L'homme prit la ceinture qu'il avait choisie. Elle se fixait à la taille par une chaîne en argent d'une largeur de trois doigts. Au niveau du nombril était fixé un cadenas qui ouvrait ou fermait une lanière en maille de fer qui passait entre les jambes. Au contact des mains de l'homme et du métal froid, Ondeline sursauta, son corps se crispa, ses muscles se tendirent. Le triangle de soie qui lui avait semblé tout à l'heure si agréable recouvrait maintenant son pubis et lui glaçait les sangs. L'homme se baissa pour faire passer l'épaisse lanière entre les jambes et la remonter pour fermer le cadenas, il en profita pour humer, fouiner, goûter l'entrecuisse d'Ondeline, elle le repoussa alors violemment et se réfugia dans les bras de Pierre. Il la rassura, puis, d'un ton sévère, lui dit qu'il était trop tard et qu'elle devait respecter sa parole. Il la remit entre les mains du marchand qui continua ses explications :

—     J'ai amélioré le système et articulé la ceinture aux jointures des fémurs, ainsi elle s'adapte à merveille au corps. Regardez l'ouverture longitudinale, voyez cette mince feuille d'or qui en ourle les bords. C'est ici qu'à la moindre pression, les ressorts se dégageront et que les aiguilles sortiront se croisant  pour protéger l'orifice.

—     Montrez ! lança Pierre.

Ondeline ne comprit pas, je frémis pour elle.

Pierre se leva, la plaça face à lui, et comme s'il ne percevait pas son désarroi, il lui enleva son corsage  de sorte qu'elle se retrouva entièrement nue. Il suça avidement la pointe de ses seins, posa ses lèvres sur les siennes, puis lui mordillant l'oreille, lui chuchota : « Merci ». Ce simple contact, la douceur de son souffle, son mât dressé… Il n'en fallut pas plus pour qu'Ondeline chavire, que sa volonté se brise. Elle perdit toute pudeur, sollicita, quémanda plus. Plus de baisers, plus de caresses, elle l'embrassa, l'enlaça, pressa sa poitrine contre lui, enroula ses jambes autour des siennes. Il se dégagea lentement et  s'adressa  à l'homme :

—     Voyez comme cette femme est faible, comme elle aime le sexe ! Je dois la protéger d'elle-même, c'est pourquoi je veux être sûr de mon achat.

—     Qu'elle s'allonge et qu'elle écarte les jambes, et vous constaterez l'efficacité de la ceinture ! s'offusqua le marchand.

Pierre regarda Ondeline, elle s'allongea, il n'avait pas besoin de parler pour être obéi.

L'homme s'assit près d'elle, laissa courir ses mains moites sur les cuisses et remontant jusqu'aux nymphes, tenta d'y insérer un doigt, c'est alors que les petites pointes qui tapissaient le seul endroit laissé libre se hérissèrent et pénétrèrent la chair de la prisonnière lui arrachant un cri de douleur. Elle exigea, puis supplia qu'on lui enlevât l'abominable ceinture.

Pierre ignora sa souffrance. L'homme la fit mettre à quatre pattes sur le lit, et l'on découvrit ses fesses nues entre lesquelles passait  la lanière en maille de fer. Il  prit sa croupe à pleine main, l'écarta au maximum pour achever sa démonstration :

—    Examinez, quelque soit la route, il est impossible d'accéder à votre trésor.

 Lorsque l'homme eut fini de la tourner et retourner, Ondeline avait perdu toute dignité. Elle cherchait le regard de Pierre, lui se contentait de l'admirer, il éprouvait un plaisir intense à la voir ainsi, la ceinture sublimait ses formes délicieuses, et je n'y étais pas non plus insensible. Il eut une moue de satisfaction et se contenta d'un « Parfait ! »

L'homme lui remit la clé et partit. Immédiatement, Pierre l'introduisit délicatement  dans le cadenas, libéra Ondeline, et s'en tenir compte de ma présence pris possession d'elle avec une douceur infinie. La tendresse de ses gestes succédant à la frustration de l'enfermement me bouleversa, et décupla la jouissance d'Ondeline.

 

Le lendemain, je les retrouvai allongés, repus l'un de l'autre, je l'entendis lui demander de ne jamais lui remettre cet objet avilissant. Il répondit d'un « Chut ! » et dirigea  sa verge vers la bouche d'Ondeline qui la laissa glisser entre sa langue et son palais, pour s'en délecter et en extraire le suc. Satisfait, il me désigna la ceinture que je lui donnai, et emprisonna Ondeline en déclarant que désormais, la ceinture resterait à demeure sauf pour la toilette, et lorsqu'il souhaiterait disposer d'elle. Elle pleura silencieusement. Il resta de marbre et me somma de me déshabiller. Voulait-il me laisser jouer avec la nouvelle captive, expérimenter à mon tour l'efficacité de la ceinture, lui arracher des cris de douleur ou  de volupté ? Je savais qu'il n'en n'était rien.  Je revécus en pensée le jour, que j'avais cru horrible, où il était venu accompagné du même homme :

— Avec cette ceinture tu seras enfin libre, m'avait-il dit. Même en mon absence. Tu n'auras plus besoin de te travestir en garçon ou de faire croire que tu es mon frère pour te sentir protégée. Nul autre que moi ne pourra jouir de toi.

L'homme parti, il m'avait fait l'amour avec une extrême délicatesse, attentif au moindre de mes désirs. Il était le seul à me procurer autant de bonheur. Aussi lorsqu'il  avait enfermé Ondeline dans ce carcan de soie et d'argent, et que j'avais reconnu sur la cire rouge la marque inimitable de son empreinte, j'avais ressenti une violente douleur et une terrible humiliation. Je n'étais plus la seule à lui appartenir exclusivement.

 

…Comme je refusai de me dénuder, il me saisit, fit glisser mon déshabillé, me coucha sur le dos, écarta mes cuisses, introduisit délicatement la clé dans le cadenas et me délivra :

—     Tu peux partir ! me dit-il.

Je ramassai  ma ceinture, m'agenouillai devant lui, vassal  devant son  seigneur, et la lui remis afin qu'à son gré, il dispose d'Ondeline ou de moi, ou m'emprisonne jusqu'à nouvel ordre…

 

 

 

 

 

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